Le Liban s’est-il plié devant les pressions américaines en décidant de remettre en liberté Amer Fakhoury, ancien cadre de la milice pro-israélienne de l’Armée du Liban-Sud, pourtant accusé de collaboration avec Israël et de torture contre les détenus dans la prison de Khiam dont il était le commandant ?
La question se pose dans certains milieux politiques, alors que le jugement émis lundi par le tribunal militaire dans cette affaire a suscité un tollé. Ce verdict, rendu quelques mois après le retour de Amer Fakhoury au Liban en septembre dernier, stipule l’abandon des poursuites contre celui qui est connu sous le nom de « boucher de Khiam », dans la mesure où les crimes pour lesquels il est poursuivi ont été prescrits.
Pour le moment, une chose est sûre : dans une volonté manifeste d’absorber la colère populaire, le juge Ghassan Khoury, commissaire du gouvernement près la Cour de cassation militaire, a formulé un pourvoi contre le jugement, réclamant à la Cour de cassation de rouvrir le procès contre M. Fakhoury. Sauf que, contrairement aux attentes de certains, cette démarche ne serait pas à même de freiner la mise en exécution du verdict du tribunal militaire, confie une source informée à L’Orient-Le Jour.
Il reste que sur la base d’une plainte déposée par nombre d’anciens détenus à la prison de Khiam, dont Soha Béchara, le juge des référés de Nabatiyé, Ahmad Mezher, a émis hier une décision interdisant à Amer Fakhoury de quitter le Liban, et ce pendant deux mois, par toutes les voies maritimes, terrestres et aériennes. En soirée, la chaîne LBCI rapportait des informations selon lesquelles Amer Fakhoury serait rapatrié dans la nuit de mardi à mercredi à bord d’un avion privé en provenance d’Athènes.
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La souplesse du Hezbollah
C’est surtout dans les milieux politiques que la décision de libérer « le boucher de Khiam » a suscité de vifs remous, déclenchant une nouvelle phase de la querelle devenue chronique entre le pouvoir en place et ses détracteurs. D’autant plus que des informations ayant circulé dans les médias indiquaient que c’est sous l’effet de fortes pressions américaines que l’ex-cadre de l’ALS a été remis en liberté. Une possibilité que n’exclut aucunement Hanine Ghaddar, analyste politique au sein du Washington Institute. Dans un entretien accordé à L’Orient-Le Jour, elle explique que l’administration Trump a longtemps œuvré pour que Amer Fakhoury soit libéré, dans la mesure où il s’agit d’un citoyen américain considéré comme pris en otage à l’étranger. « C’est certainement à la faveur d’un marché dont on ne saura jamais les principaux points que cette décision a été prise », explique encore Mme Ghaddar. Dans certains milieux proches de Washington, on assure en outre que Amer Fakhoury n’aurait pas été libéré sans une approbation implicite du Hezbollah. Il aurait donc tacitement approuvé le verdict du tribunal militaire en contrepartie d’une éventuelle réduction des sanctions sévères contre le parti chiite, estime-t-on dans ces milieux où l’on croit savoir aussi que c’est dans le même but que le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, qui avait longtemps occupé le poste de ministre des Affaires étrangères, serait intervenu dans ce dossier.
D’ailleurs, le département d’avocats au sein du Hezbollah a publié un communiqué qui n’est guère à la hauteur de la gravité de l’affaire Fakhoury, surtout pour un parti qui affirme lutter contre Israël et ses agents. Les avocats du parti chiite se sont contentés de dénoncer le verdict du tribunal militaire, et d’appeler à ce que des recours en invalidation contre ce texte soient présentés. Le texte rappelle aussi que les crimes pour lesquels Amer Fakhoury est poursuivi ne peuvent tomber sous la prescription, invitant le Parlement à avaliser un projet de loi prévoyant quelques amendements au code pénal actuellement en vigueur et selon lequel M. Fakhoury a été jugé.
Dans une optique strictement politique, le Hezbollah semble soucieux de ne pas s’en prendre au pouvoir en place, notamment au chef de l’État Michel Aoun et au leader du CPL Gebran Bassil. Bien au contraire. Contactés par L’OLJ, des milieux proches du parti pro-iranien estiment que l’affaire Fakhoury prouve que le cabinet de Hassane Diab n’est pas celui du parti. Et d’appeler à « purifier » le pouvoir judiciaire des magistrats qui se soumettent aux pressions américaines. Dans les milieux politiques proches du Hezbollah, on croit savoir que le dossier de Fakhoury a été renvoyé vide au tribunal militaire, d’où la décision de remise en liberté émise par le juge Hussein Abdallah lundi.
De son côté, Gebran Bassil a sciemment évité de commenter les rumeurs portant sur son rôle dans l’affaire Fakhoury, se contentant d’assurer dans un communiqué qu’il « ne connaît pas » l’ex-responsable de l’ALS, estimant que les informations rapportées par les médias locaux sont « infondées ».
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« Le poison de la présidentielle »
Pour sa part, l’opposition est montée au créneau pour stigmatiser ce qu’elle perçoit comme « un scandale », tout en s’en prenant au pouvoir en place. C’est dans ce cadre que s’inscrit un virulent tweet du leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt. « À l’heure où les crises économique et sanitaire battent leur plein, l’avocat du diable proche des cercles de décision trouve la meilleure façon de remettre le collaborateur (d’Israël) Amer Fakhoury. Quel est, dès lors, l’intérêt des nominations judiciaires et de l’indépendance de la justice ? Avec tous mes respects pour le président du Conseil supérieur de la magistrature et aux magistrats qui ont jugé l’agent. C’est le poison de la présidentielle », a-t-il tonné, dans ce qui a sonné comme une pique à Gebran Bassil.
À son tour, Mohammad Hajjar, député du courant du Futur du Chouf, a, tout comme plusieurs dignitaires chiites, stigmatisé « les deux poids, deux mesures » qui veulent que l’on libère un criminel et qu’on emprisonne des gens pour avoir exprimé leurs opinions sur les réseaux sociaux.
Quant aux représentants des anciens prisonniers de Khiam, ils ont critiqué dans un communiqué le verdict du tribunal militaire et appelé à la formation d’une commission d’enquête pour mettre les points sur les i dans ce dossier.
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commentaires (10)
LA SOUPLESSE DU HEZBOLLA. MAINTENANT QUE L,IRAN A BESOIN DU FMI TROP DE CHANSONS VONT CHANGER DE REFRAIN.
LA LIBRE EXPRESSION
17 h 16, le 18 mars 2020