Le Liban vit désormais à l’heure du coronavirus. Après les dernières décisions du gouvernement, notamment au sujet de la mobilisation générale et de l’obligation de rester chez soi sauf en cas d’extrême urgence, personne ne peut plus ignorer la gravité de l’épidémie ni croire qu’il peut encore la braver. Un nouveau concept est désormais entré dans nos vies : « la distanciation sociale » (rien à voir avec la politique de distanciation à l’égard des conflits interarabes). Selon ce concept, il faut autant que possible prendre ses distances avec les autres et se replier sur soi ou sur son cercle le plus rapproché, en évitant les contacts sociaux élémentaires qui sont une des particularités de nos sociétés. « Je reste chez moi pour protéger les miens, ou pour me mettre à l’abri », c’est un peu le comportement adopté aujourd’hui.
Mais dans cette ambiance qui encourage et justifie l’égoïsme et l’individualisme, il y a des gens, eux, qui préfèrent miser sur l’action solidaire. Comme le disent les vieux proverbes, c’est dans les périodes de crise que la véritable nature de l’individu apparaît. S’il est égoïste, on le sent plus lorsqu’on est soi-même dans le besoin, et s’il est généreux, on n’en prend réellement conscience que lorsqu’on est en difficulté.
Au Liban, et en dépit de toutes les critiques adressées par les médias, à la fois aux responsables et aux citoyens, il y a aussi un véritable élan de solidarité qui est apparu ces derniers jours.
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À mesure que l’épidémie prenait de l’ampleur, des initiatives individuelles ou collectives ont commencé à apparaître. Il y a eu d’abord la démarche initiée par un groupe de jeunes non affiliés à un parti ou une ONG qui, dans la banlieue sud, ont commencé à répandre sur les réseaux sociaux leurs numéros de téléphone, se déclarant prêts à fournir ce dont ils ont besoin à ceux qui sont contraints au confinement à domicile et qui n’ont personne pour les aider. Très vite, ce qui n’était qu’une démarche limitée à un quartier précis a pris de l’ampleur et les jeunes se sont organisés pour se partager les quartiers de la banlieue sud. Les partis politiques, Amal et le Hezbollah notamment, ont rapidement essayé de s’approprier l’idée, en principe pour mieux l’organiser et lui donner plus de poids. Mais les jeunes ont préféré garder leur indépendance dans l’action, assurant qu’il s’agit d’une initiative humanitaire, sans plus.
Cette première action, d’abord limitée à Haret Hreik et Hay Jamous, s’est par la suite étendue. D’autres jeunes ont voulu reprendre l’idée à leur compte. Dans les villages éloignés, dans le Sud et dans la Békaa, où de nombreux Libanais se sont réfugiés, estimant que l’atmosphère y est plus saine, car il y a moins de monde qu’en ville, des jeunes se sont aussi mis au service des plus démunis et des plus isolés.
Aussitôt, les partis ont décidé de leur côté de recueillir des dons pour constituer des colis d’aides aux plus défavorisés. Amal et le Hezbollah ont ainsi distribué des matières dites de première nécessité dans certains villages et dans certains quartiers de la banlieue sud.
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Sous la pression des jeunes volontaires désireux d’agir mais ne disposant pas de grands moyens, certaines municipalités ont décidé de prendre la situation en main. À Nabi Chit (caza de Baalbeck) par exemple, ou Ansariyé (caza de Tyr), les municipalités ont procédé à des recensements des habitants pour voir qui a besoin d’aide, avant de constituer des équipes de volontaires bien protégées qui se rendraient chez eux pour les aider. À Baalbeck et à Ghobeyri, les municipalités ont aspergé les rues de désinfectant, sachant que toutes ces mesures ne remplacent pas les précautions individuelles. Mais elles montrent une volonté d’agir qui répond à la demande des jeunes.
De même, le Courant patriotique libre a lui aussi, depuis samedi, et à la suite du plan annoncé à l’issue de son congrès annuel, mobilisé ses volontaires pour créer un vaste mouvement de solidarité. Les enseignants ont été invités à préparer des cours filmés qui seront mis en ligne. Des membres du parti sont en train de faire le tour des villages, chacun dans sa région, à la recherche de lieux qui pourraient être transformés en centres de quarantaine. C’est ainsi qu’un hôtel dans une localité de la Békaa-Ouest a décidé de mettre une aile (et plus si besoin) à la disposition du ministère de la Santé. De même, à Jbeil, un centre médical s’est proposé pour faire des tests de dépistage du coronavirus gratuitement. Des volontaires du CPL s’emploient aussi à distribuer dans les villages des gels antiseptiques et des masques de protection. Selon une source du parti, il y a un formidable élan de solidarité. Des dizaines de jeunes non partisans sont en train de se présenter devant leurs permanences pour demander ce qu’ils peuvent faire pour aider leurs concitoyens. Les jeunes ont recours aux partis ou aux municipalités parce qu’il y a peu de structures pour une action collective.
Le CPL a aussi reçu beaucoup de dons en nature, notamment du matériel antiseptique, et il s’apprête à ouvrir un compte bancaire pour les dons en espèces. Les jeunes se mobilisent aussi pour aseptiser les lieux de culte... Ils veulent à tout prix agir et souvent, ils demandent des conseils pour savoir comment canaliser ce dynamisme et cette bonne volonté.
Le courant du Futur a aussi suivi le mouvement, annonçant qu’il organise, en collaboration avec l’« Association de Beyrouth pour le développement », une campagne de distribution de produits alimentaires pour aider les familles dans le besoin. Même chose pour le Parti socialiste progressiste qui multiplie les distributions de rations alimentaires dans la Montagne.
Il faut encore évoquer les parlementaires qui ont décidé de donner leur salaire pour les besoins de la Santé, Fadi Alamé à l’hôpital Rafic Hariri, Chamel Roukoz à l’hôpital de Bouar et Farid Boustany à la Caisse nationale pour la recherche scientifique.
En dépit de tous ses aspects négatifs, cette épreuve a donc provoqué une véritable dynamique de solidarité chez les jeunes et les citoyens en général. Au point que les partis politiques, décriés depuis le mouvement du 17 octobre, y voient l’occasion de reconquérir la base populaire.
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commentaires (9)
Pffft, l'habituelle rengaine pré-digérée, à quand un nouveau décrypteur objectif et inspiré?
Christine KHALIL
23 h 38, le 17 mars 2020