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Société - Protestation

À Roumié et Qobbé, la colère gronde

Révoltés par l’annonce de la libération de Amer Fakhoury, les détenus s’insurgent également contre les conditions sanitaires de leur détention, en ces temps d’épidémie, et réclament une loi d’amnistie

Dans l’enceinte de la prison de Roumié, en 2006. Archives AFP/Ramzi Haïdar

Dès l’annonce, mardi, de la décision de la justice de remettre en liberté l’ex-responsable de la milice pro-israélienne de l’Armée du Liban-Sud Amer Fakhoury, après avoir abandonné les charges de torture de prisonniers à la prison de Khiam en 1998, des émeutes ont éclaté dans la prison centrale de Roumié.

La décision de la libération du « tortionnaire » de Khiam, comme l’appellent les anciens détenus de ce centre d’incarcération, a été, semble-t-il, la goutte qui a fait déborder un vase trop plein dans ces milieux carcéraux surpeuplés et souffrant de conditions de vie inhumaines.

Plus tôt dans la journée, et avant même l’annonce de la libération de Amer Fakhoury, les parents des détenus dans la prison centrale de Qobbé à Tripoli s’étaient massivement rassemblés vers midi pour dénoncer le manque d’hygiène et l’absence de mesures appropriées dans les prisons à l’heure du coronavirus qui risque de faire des ravages dans les prisons. Devant l’entrée de la prison de Qobbé, les proches des détenus ont laissé éclater leur colère et réclamé la décontamination des prisons et l’adoption d’une loi d’amnistie promise depuis des années mais reléguée aux oubliettes.

Dans une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux, les familles des prisonniers évoquaient le contexte malsain de l’incarcération de leurs proches et le problème de la promiscuité dans les centres de détention, faisant état d’un détenu qui venait de décéder à la prison de Qobbé.


(Lire aussi : La trêve ou la crève ?, l'éditorial de Issa GORAIEB)


« Inacceptable »

Les informations relatives à l’affaire Fakhoury n’étaient pas encore parvenues à leurs oreilles. C’est en début d’après-midi que la nouvelle sur sa libération imminente a commencé à circuler, provoquant un séisme à la prison de Roumié cette fois-ci, où les prisonniers souffrent de conditions d’incarcération similaires, voire pire comme en témoignent plusieurs travailleurs sociaux au fait de la vie dans cette prison qui compte près de 10 000 détenus. « À Roumié, les prisonniers sont entassés les uns sur les autres », confie a L’OLJ une ancienne volontaire sociale qui connaît les lieux.

C’est en soirée, vers 21 heures, que le soulèvement a débuté, dans le bâtiment B et celui des mineurs, où les détenus ont saccagé les lieux et déclenché des feux dans leurs cellules. « Pour ces détenus, la libération d’un prisonnier considéré comme un criminel plus dangereux que la plupart d’entre eux est inacceptable », commente pour L’OLJ le criminologue et auteur de plusieurs études sur les prisons Omar Nachabé. L’expert affirme être entré en contact avec l’un des membres des forces de l’ordre affecté à Roumié. Il souligne, en citant ce dernier, « l’état de confusion » dans lequel se trouvent les gardiens de prison face à l’indignation ressentie par les détenus suite à la décision de remettre en liberté l’ancien commandant de la prison de Khiam, tandis que nombre de détenus attendent, depuis des années, de bénéficier d’une amnistie générale. « Nous les comprenons. Que peut-on répondre à leur indignation ? » lui a confié l’un des gardiens. Le garde a également déclaré à M. Nachabé que les forces de sécurité avaient reçu des instructions pour œuvrer en vue de « calmer la situation, éviter toute confrontation avec les prisonniers et de faire en sorte qu’aucune goutte de sang ne soit versée ».

Toutefois, hier dans l’après-midi, la direction des Forces de sécurité intérieure faisait état de deux blessés dans les rangs des détenus, après son « intervention pour imposer l’ordre » suite à des « actes de vandalisme » à Roumié. « Les blessés ont été transportés à l’hôpital pour être soignés », ajoute le texte.


(Lire aussi : Affaire Fakhoury : le Liban s’est-il plié aux pressions américaines ?)

Mesures à venir

Face aux risques de propagation du coronavirus, le ministère de l’Intérieur a décidé, il y a quelques jours, d’interdire les visites dans les prisons. Une mesure « insuffisante », selon M. Nachabé, dans la mesure où cette « interdiction n’a pas été appliquée à tout le monde et que des milliers de kilogrammes de nourriture et de provisions continuaient d’être acheminées dans les prisons sans aucune mesure d’hygiène prise en amont », dit-il. Lundi, les FSI ont annoncé une série de nouvelles mesures pour les établissements pénitentiaires du pays afin d’assurer que le coronavirus ne se propage pas parmi les prisonniers. Ces mesures incluent notamment la désinfection des mains de tous les gardiens et visiteurs, des visites limitées à un membre de la famille par détenu, l’installation de parois de verre et l’interdiction de toute entrée de nouveaux détenus dans les établissements carcéraux.

Hier, une réunion urgente a, en outre, regroupé notamment le président de l’ordre des médecins, Charaf Abou Charaf, le bâtonnier de Beyrouth, Melhem Khalaf, le commandant de la prison de Roumié, le général Ibrahim Hanna, et un représentant de l’Organisation mondiale de la santé, pour plancher sur la situation dans les prisons libanaises. M. Abou Charaf a démenti la rumeur selon laquelle un prisonnier serait mort à Tripoli en raison du coronavirus. Le détenu est décédé des suites d’une insuffisance cardiaque dont il souffrait depuis un certain temps.

Les participants à la réunion ont longuement évoqué les mesures urgentes supplémentaires qui seront mises en place pour assurer la décontamination des lieux et les interventions sanitaires requises. Parmi les décisions prises, l’affectation de deux médecins et de deux infirmières à chaque milieu carcéral pour suivre au quotidien la santé des détenus.

Pour sa part, Me Khalaf a annoncé lundi « la possibilité pour le conseil de l’ordre de mettre en place un système d’urgence, comprenant notamment du matériel d’aseptisation, en vue de faire face au danger sanitaire qui menace les prisons en raison de la surpopulation carcérale ».


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