Deux infirmiers de l’équipe affectée à l’étage aménagé pour la prise en charge des patients du nouveau coronavirus.
Ils ont toujours été en première ligne de contact avec les patients. Mais depuis la détection du premier cas d’infection au nouveau coronavirus au Liban, le 20 février, leur rythme de vie a pratiquement basculé. À l’hôpital universitaire Rafic Hariri, ils sont près de 80 infirmières et infirmiers à prendre soin de ces patients, avec dévouement, mettant leur vie sociale et familiale en berne.
Wahida Ghalayini est la responsable du département des soins infirmiers au troisième étage de l’hôpital, « aménagé en 24 heures pour accueillir les patients » contaminés par le nouveau coronavirus. « L’équipe des infirmiers n’a pas hésité un instant lorsqu’on lui a demandé si elle acceptait d’être affectée à cet étage, confie-t-elle à L’Orient-Le Jour. Elle l’a fait parce qu’elle croit fermement à sa mission. »
Elle raconte que cet étage est complètement isolé de l’hôpital, avec une entrée aux urgences et deux ascenseurs séparés. « Les portes sont fermées pour empêcher que quiconque à part l’équipe médicale n’y entre, affirme-t-elle. Nous avons aussi créé en 24 heures une salle d’opération, une autre pour la dialyse, un laboratoire, un dépôt pour stocker les médicaments, les fournitures et les équipements médicaux et l’avons aussi doté d’un centre de radiologie avec un CT scan. Cet étage est ainsi devenu indépendant et complètement isolé du reste de l’hôpital. »
Il compte quatre pavillons de seize chambres chacun, en plus d’une unité de soins intensifs formée de huit chambres à pression négative et d’un département d’isolation avec quatre chambres à pression négative. Dans ces chambres, l’air est filtré et la pression est inférieure à celle extérieure. De ce fait, les virus y sont bloqués. Dans cet étage, les mesures de prévention sont strictes. « Tout est jetable, même les plateaux des repas et les couverts pour éviter tout contact avec les employés, explique Mme Ghalayini. Pas un seul papier ne sort de cet étage, même les consignes données aux patients. Ils les prennent en photo sur leur téléphone mobile. Idem pour les formalités administratives qui sont effectuées sur les téléphones aussi. Nous ne voulons pas risquer de transmettre le virus en dehors de l’étage. Par ailleurs, les patients en quarantaine ne portent pas de blouse blanche mais leurs propres vêtements que nous lavons sur place, selon des critères bien définis, après les avoir mis dans des sacs hydrosolubles. Quant au personnel, il a été dispensé du pointage. Il ne quitte l’étage qu’après avoir pris une douche et changé de vêtements. »
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Manque de reconnaissance
Les patients ne reçoivent pas de visites et « des agents des forces de l’ordre sont postés à l’entrée de ce département pour empêcher les intrus d’y entrer », précise Mme Ghalayini. « Pour alléger dans la mesure du possible la situation d’isolement dans laquelle ils se trouvent, une télévision a été installée dans chacune des chambres, ajoute-t-elle. Une connexion internet leur est également assurée à longueur de journée, ce qui leur permet de rester en contact avec leurs familles. Une infirmière, responsable de l’éducation, leur fournit des conseils et des recommandations. Nous leur assurons aussi un soutien psychologique, ainsi qu’au personnel infirmier, d’autant que la situation dans laquelle ils se trouvent est stressante. »
Et les défis que rencontre le personnel infirmier ne sont pas des moindres. « Je m’occupe plus des affaires administratives et moins des patients. Malgré cela, depuis le début de l’épidémie au Liban le 20 février, je n’ai plus revu ma mère, confie Mme Ghalayini. Je ne veux pas prendre le risque de lui transmettre le virus, sachant que nous prenons toutes les précautions. Je ne reçois plus personne. Mon mari médecin et moi évitons les sorties. Pour changer d’ambiance, nous effectuons un petit tour en voiture et rentrons chez nous. Parmi l’équipe, de nombreux infirmières et infirmiers ont choisi de rester sur place, à l’hôpital. Ils ne sont plus rentrés chez eux depuis l’apparition de l’épidémie. Avec tout cela, les gens trouvent un moyen de nous harceler. Lorsqu’ils nous croisent, certains nous disent, non sans ironie : “Vous les gens du corona, restez loin.” C’est vexant. »
Le personnel infirmier doit également gérer l’humeur des patients, et certains sont trop exigeants. Sans parler des conditions de travail stressantes. « Nous avons de longues heures de travail, poursuit Mme Ghalayini. Les combinaisons et le matériel de protection que nous endossons sont encombrants et sont en nylon. Nous sommes toujours en hiver, nous arrivons à les supporter. Mais avec l’approche de la saison chaude, ils constitueront une source de chaleur et même la climatisation n’aidera pas à les supporter. De plus, nous mettons plus d’une demi-heure pour les retirer. Nous le faisons sous la surveillance d’une tierce personne qui s’assure que nous ne touchons rien. Jusqu’à présent, pas une seule personne de l’équipe n’a contracté le virus et c’est une grande réalisation. »
Pour la responsable, le plus grand défi et source de stress restent toutefois « les critiques qui nous ciblent, malgré tout ce que nous offrons ». « Nous avons réussi à aménager cet hôpital en 24 heures, mais depuis le début de l’épidémie, nous n’avons droit qu’à des jugements défavorables, insiste-t-elle. C’est triste, d’autant que nous avons été les premiers et les seuls à mener cette lutte contre l’épidémie. Nous sommes en première ligne de contact avec les patients. Nous nous occupons d’eux avec amour, éthique et conscience, alors qu’il est notoire que les employés et le personnel de l’hôpital universitaire Rafic Hariri n’ont toujours pas obtenu leurs droits. À cela s’ajoute cette attitude condescendante qu’on adopte à l’égard des infirmiers et infirmières. Depuis le 20 février, de nombreuses mères ne se rendent plus chez elles. Elles ne s’occupent pas de leurs maris et enfants pour rester au chevet des patients. Avec le manque d’infirmières et infirmiers à l’échelle nationale, nous les obligeons parfois à assurer des heures supplémentaires et à s’occuper d’un plus grand nombre de malades, avec tout ce que cela entraîne comme effort physique et mental. Malgré cela, personne n’apprécie notre travail. Plus encore, nos droits sont bafoués, alors que sans nous, l’hôpital ne peut pas fonctionner. »
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commentaires (9)
Merci du fond du cœur.
Christine KHALIL
17 h 39, le 13 mars 2020