Avec plus de 65 cas de coronavirus au compteur, et des mesures plus strictes annoncées par le gouvernement, les Libanais se posent la question de savoir si leur pays et leur système de santé, public et privé, sont prêts pour le pire. Du côté des lits d’hôpitaux disponibles et des chambres d’isolement consacrés aux cas du coronavirus, outre les 122 lits de l’hôpital gouvernemental Rafic Hariri, où en sont les hôpitaux publics et privés ? L
e directeur général du ministère de la Santé Walid Ammar indique à L’OLJ qu’outre les chambres mises à disposition à l’hôpital Rafic Hariri, un hôpital gouvernemental dans chaque mohafazat est actuellement aménagé en collaboration avec des hôpitaux universitaires. « Sans compter que des hôpitaux privés ont déjà réagi par eux-mêmes, certains s’apprêtent à créer des unités et d’autres ont d’ores et déjà commencé à accueillir des patients atteints de coronavirus, dit-il. C’est d’ailleurs dans leur intérêt. »
Sleiman Haroun, président du syndicat des hôpitaux privés, n’est pas de cet avis. Il pense qu’il est inconcevable que tous les établissements prennent en charge des cas de coronavirus. « On ne peut disséminer les malades du coronavirus, très contagieux, dans tous les établissements, dit-il à L’OLJ. Cela n’a été fait dans aucun pays, même la Chine a construit deux hôpitaux pour contenir le virus. Et puis tous les établissements n’ont pas l’architecture qui leur permet de créer un espace d’isolement, comme cela est le cas à l’hôpital Rafic Hariri. Il faut savoir également que nos hôpitaux accueillent beaucoup d’autres patients, de 7 000 à 8 000 en moyenne, qui sont souvent dans un état bien plus grave que ceux atteints de coronavirus. Nous ne pouvons permettre le mélange. »
M. Haroun précise que l’action des hôpitaux est décidée en collaboration avec le ministère de la Santé. « C’est ainsi que nous avons commencé à collaborer aux tests du coronavirus, parce que le laboratoire de l’hôpital Rafic Hariri ne peut plus gérer les cas existants, souligne-t-il. Nous avons ainsi demandé aux quatre grands hôpitaux universitaires de Beyrouth d’ouvrir leurs laboratoires pour ce genre de tests. D’un autre côté, nous avons manifesté notre volonté d’aider les hôpitaux gouvernementaux concernés, que ce soit par des équipements ou à travers le personnel médical. »
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La primauté de la prévention
Malgré les propos de M. Haroun, il semble que nombre d’hôpitaux privés se soient engagés sur la voie de l’aménagement d’ailes spécialisées à l’instar de l’Hôtel-Dieu, du LAUMC, de Notre-Dame des Secours, de l’AUH et d’autres.
Sami Rizk, directeur général du LAU Medical Center-Rizk Hospital, l’un des quatre hôpitaux universitaires de Beyrouth, dit comprendre les appréhensions du président du syndicat, mais assure que les hôpitaux « ne se soustrairont pas à leur obligation en cas de nécessité », révélant que son établissement « est en train de préparer un étage avec 17 chambres à pression négative (où l’air est filtré et la pression est inférieure à celle extérieure, d’où le fait que les virus y sont bloqués) ». Jusqu’à nouvel ordre, comme beaucoup de grands hôpitaux, cet établissement reçoit tous les jours des cas suspects qui sont confinés à l’isolement dans des espaces aménagés aux urgences, puis sont testés en vue d’être transférés, le cas échéant, à l’hôpital Rafic Hariri. « Outre les tests dans nos laboratoires, le ministère a demandé aux hôpitaux universitaires de former les équipes médicales et soignantes des hôpitaux gouvernementaux dans les régions, précise-t-il à L’OLJ. Nous nous sommes occupés de l’hôpital de Bouar (Kesrouan), puisque la LAU est basée à proximité. »
Malgré toutes ces perspectives, qu’adviendra-t-il si les cas de coronavirus explosent et se comptent par centaines ou par milliers ? « Là nous aurons un problème, cela est sûr, affirme M. Haroun. Mais il n’est pas nécessaire d’en arriver là. Il faut savoir que le ministère n’a pas les ressources nécessaires pour suivre tous les cas de quarantaine à la maison. Voilà pourquoi il est crucial que les gens comprennent leur part de responsabilité et aident l’État en respectant les consignes de prévention, qui sont désormais connues de tous. » Le Dr Ammar pense qu’en cas de multiplication des contaminations, « le Liban suivra l’exemple des autres pays, en d’autres termes les cas peu alarmants seront en quarantaine à la maison au lieu d’être hospitalisés ». Pour résumer, il souligne que « la situation n’est pas pire au Liban que dans nombre de pays européens, jusque-là nous avons pu contenir le virus et retarder la transmission communautaire (à l’intérieur du pays) ».
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Un problème qui date d’avant le coronavirus
S’il existe un point d’interrogation sur le nombre de lits disponibles, que dire des équipements médicaux ? Rony Abdel Hay, importateur d’équipements médicaux et membre du syndicat, rappelle que « la crise avait déjà débuté avant même l’apparition du coronavirus au Liban ». Il fait référence à la crise des devises qui empêche d’importer des quantités suffisantes de matériels médicaux. « Avec l’avènement de l’épidémie, la demande de respirateurs et de tout ce qui s’y rapporte s’est accrue, notamment les pièces détachées et les consommables, tels les filtres, par exemple, poursuit-il. Or nous sommes déjà en situation de manque, il n’y a plus de stocks suffisants ni chez les fournisseurs ni dans les hôpitaux. »
M. Haroun confirme : les hôpitaux libanais possèdent, selon lui, quelque 850 respirateurs dont 10 % sont désormais non fonctionnels étant donné le manque de pièces détachées. On se retrouve donc avec 750 respirateurs environ, dont quelque 500 sont utilisés dans d’autres cas, ce qui nous laisse environ 250 qui pourraient être mis à la disposition de malades du coronavirus. « Les stocks sont très bas partout », souligne-t-il. Quant à M. Rizk, il déplore que « cela fait six mois que les fournisseurs n’ont pas pu placer des commandes de produits jetables », soulignant toutefois que les hôpitaux de Beyrouth sont relativement épargnés par la pénurie.
M. Abdel Hay, pour sa part, met en cause les fonds bloqués en devises étrangères, notamment au niveau de la Banque du Liban et des banques, qui se rejettent la balle. « En temps normal, les hôpitaux ont besoin de ressources de l’ordre de 20 à 30 millions de dollars par mois, explique-t-il. Bien que nous soyons parvenus à un accord avec la BDL, nous n’avons pu, jusqu’ici, assurer que 2 à 3 % des besoins depuis le début de la crise financière. » Il note que le procureur général Ghassan Oueidate, en collaboration avec le procureur financier Ali Ibrahim, a mis la main sur le dossier depuis hier.
Qu’est-il possible de faire dans l’urgence et combien de temps faudrait-il pour renouveler le stock, le cas échéant ? « En temps normal, il fallait d’un à trois mois pour se faire livrer les stocks, souligne M. Abdel Hay. Or, aujourd’hui, plusieurs facteurs entrent en ligne : d’une part, après le discours du Premier ministre Hassane Diab concernant le défaut de paiement des eurobonds, les fournisseurs à l’étranger ont mis un terme à nos lignes de crédit, et n’acceptent plus que des paiements en liquides et en avance. D’autre part, la crise est mondiale, et la demande pour les équipements médicaux a augmenté partout. »
Dans ce tableau sombre, une initiative louable : selon M. Abdel Hay, un groupe d’importateurs a proposé d’aider bénévolement l’hôpital Rafic Hariri, que ce soit par des services, des équipements ou des fonds.
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Mais évidemment que le liban est prêt à tout. Vous savez quoi , le Liban est toujours prêt à tout. NA !
13 h 16, le 12 mars 2020