Des combattants syriens soutenus par la Turquie sur un tank à Saraqeb, dans la province d'Idleb, le 27 février 2020. AFP / Bakr ALKASEM
Au moins 33 soldats turcs ont été tués jeudi à Idleb, dans le Nord-Ouest de la Syrie, dans des attaques attribuées par Ankara au régime syrien mais auxquelles la Russie, parrain de Damas, aurait pu aussi participer. Depuis le 3 février dernier, une escalade sans précédent oppose les forces turques à celles de Damas. Ankara a déjà perdu plusieurs dizaines de soldats dans des affrontements avec le régime. Avec les morts d’hier, le bilan de ceux que la Turquie présente comme des "martyrs" s’élève à 53 depuis le début du mois.
Jeudi soir, le chef de l'État Recep Tayyip Erdogan a convoqué un conseil de sécurité extraordinaire à Ankara, en présence notamment du ministre de la Défense, du chef de l'armée et du patron des services secrets, selon la présidence. Et dans une première opération de représailles, la Turquie a bombardé, dans la nuit de jeudi à vendredi, des positions du régime de Bachar el-Assad, selon la présidence turque. Dans une déclaration publiée par Anadolu, le directeur de la communication du Saray (palais présidentiel turc), Fahrettin Altun, a par ailleurs exhorté la communauté internationale à "prendre ses responsabilités" à Idleb. Le chef de la diplomatie turque s'est pour sa part entretenu hier soir avec le chef de l'OTAN, Jens Stoltenberg.
Le ministère russe de la Défense a, de son côté, déclaré que quand les militaires turcs ont été "pris sus le feu des soldats syriens", ils se trouvaient "au sein d'unités combattantes de groupe terroristes" et dans une zone où "ils n'auraient pas dû se trouver".
Cette attaque pourrait porter un grand coup à la relation entre la Turquie et la Russie, de plus en plus fragile depuis le début du mois. Le point sur la situation avec Soner Cagaptay, spécialiste de la Turquie au sein du Washington Institute.
(Lire aussi : Erdogan exclut tout recul de la Turquie à Idleb)
Dans quel contexte russo-turc cette attaque s’est-elle déroulée ?
Si une participation russe à cette attaque était confirmée, cela représenterait un revirement historique dans les relations entre Ankara et Moscou. Tuer des dizaines de soldats turcs, surtout dans un contexte où Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine sont en de bons termes, ne peut en aucun cas être accepté par la Turquie. Si tout cela était confirmé, cela entrerait dans l’histoire comme une erreur de calcul grossière de la part de Poutine.
La Russie n’a pas tué de soldats turcs (ottomans à l’époque) depuis la Première Guerre mondiale. Depuis le coup d'État manqué de juillet 2016, Moscou a essayé de gagner le cœur de la Turquie et d’Erdogan. Poutine a opéré un changement historique dans la politique russe à l'égard d'Ankara pour profiter de la distanciation de la Turquie vis-à-vis de l’Ouest et a cessé d'intimider Ankara. Si la Russie a participé aux frappes contre les soldats turcs, jeudi, cela mettrait fin à cette politique et réorienterait la relation Ankara-Moscou vers son état initial d’hostilité réciproque.
Comment expliquer cette attaque contre les soldats turcs ?
Poutine semble avoir fait une erreur de calcul. Il semble qu'il ait pensé qu’Erdogan était trop occupé par ses affaires économiques et politiques en Libye, où il soutient le gouvernement de Tripoli contre les forces du maréchal Haftar appuyé de son côté par la Russie, et qu’il pourrait réussir à le pousser dans ses derniers retranchements, en Syrie, en attaquant. Mais pousser les Turcs à se retirer est une chose, tuer des troupes turques en est une autre.
Comment Ankara peut-il désormais réagir ?
Tout dépendra de l’attitude des États-Unis et de l’OTAN. Dans le cas où la Turquie dispose de leur aide, cela va l’encourager à mener des opérations et avancer sur le terrain. Cela représente en outre une occasion en or pour Washington d’humilier le régime syrien, de le faire payer pour ses crimes et de faire reculer Poutine. C’est une opportunité pour lui de casser les liens profonds entre Ankara et Moscou.
Mais si la Turquie ne reçoit pas de soutien, cela va profondément saper ses relations avec ses voisins. Cela vaut aussi pour les relations entre la Turquie et les Européens. La Turquie vient de dire qu’elle n’empêchera pas les réfugiés syriens qu’elle accueille sur son territoire, et ceux à venir, de se rendre en Europe par les voies terrestres et maritimes. Mais cela risque de provoquer la colère des Européens et d’augmenter le sentiment anti-turc en Europe. Cela pourrait profondément miner les relations turco-européennes. C’est le moment pour l’Occident de venir à la rescousse de la Turquie.
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commentaires (12)
Saint Vladimir ne perd jamais une bataille, c'est le meilleu sgratège mondial
Chucri Abboud
13 h 40, le 29 février 2020