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Droit d’ingérence

La scène, largement relayée sur les réseaux sociaux, paraît surréaliste : sur une route du nord de la Syrie, un blindé américain, drapeau US au vent, empêche (comme dans une course-poursuite) un véhicule militaire russe de le dépasser. Une scène qui paraîtrait cocasse en temps normal, n’était l’inqualifiable tragédie humanitaire que vit la population du nord de la Syrie depuis plusieurs semaines.

Les armées étrangères – russe, turque, américaine, iranienne (par le biais des pasdaran)… – se bousculent sur le territoire syrien ; Israéliens et Russes se partagent presque en harmonie l’espace aérien pour donner libre cours à leurs bombardements aériens bien ciblés ; les multiples milices chiites non syriennes inféodées à Téhéran (Hezbollah en tête) sévissent sans vergogne contre les civils… C’est à l’ombre de cette trame de fond que la Syrie est en proie, de surcroît, à un tri démographique de grande envergure et à un vaste déplacement de population. Et pour faciliter cette opération, des villes entières sont réduites en un champ de ruines sous les coups des tapis de bombes larguées régulièrement par l’aviation russe.

« La guerre, c’est la guerre », nous dira-t-on, en précisant que dans une situation de conflit armé ou dans le jeu des nations, il n’y a pas de place pour la morale ou l’angélisme primaire. Certes… Une nuance s’impose, toutefois. Il est légitime de prendre les armes pour lutter contre une occupation ou pour renverser un tyran sanguinaire, mais dans le cas spécifique de la Syrie, les armées russe, turque, israélienne et les organisations télécommandées par Téhéran s’entre-déchirent la dépouille syrienne, détruisent des villes, mènent des raids aériens intensifs contre les hôpitaux, provoquent des déplacements massifs de population… le tout dans le seul but de faire progresser des objectifs géostratégiques propres à ces puissances et dont le peuple syrien n’a cure. Le mouvement de révolte contre la dictature du régime Assad est passé dans un tel contexte au second plan.

La realpolitik est par essence cynique et amorale, mais accepter sans sourciller que les rapports entre pays soient régis de la sorte en dehors de toute valeur et de tout repère reviendrait à donner libre cours à la loi de la jungle dans son aspect le plus sauvage et le plus inhumain. Les développements en cours en Syrie, notamment dans la région d’Idleb, sont répugnants d’un point de vue moral, certes, mais ils posent surtout, aussi, un problème politique de base. L’ampleur des actes de violence visant la population civile et la dimension de la catastrophe humanitaire à laquelle le monde assiste sans crier gare ne font que semer les germes d’une dangereuse relance du radicalisme islamique d’une part, et de l’aggravation d’une instabilité géopolitique chronique d’autre part.

Les fondements d’une solution négociée et les aspirations du mouvement de soulèvement populaire semblent, plus que jamais, renvoyés aux calendes grecques. Place aux grandes manœuvres, militaires et autres, auxquelles se livrent les puissances régionales et internationales qui ont transformé le terrain syrien en un immense abcès de fixation permettant à chacun de placer ou de faire avancer ses pions, sans aucune considération d’ordre humanitaire.

Le mutisme observé par la communauté internationale face à une telle situation ne peut déboucher que sur des dérapages démentiels et incontrôlés au niveau du recours à la violence, loin de tout repère ou garde-fou. C’est parce que les médias, la société civile, l’opinion publique et certains pays occidentaux se sont cantonnés dans une attitude de « laisser faire, laisser aller » que Vladimir Poutine, à titre d’exemple, s’est permis de réitérer en toute impunité dans les villes syriennes le funeste précédent de Grozny.

D’une manière plus générale, est-il rationnel aujourd’hui, si l’on désire rétablir un minimum de stabilité dans la région, de s’abstenir de dénoncer le fait bien établi que près de 900 000 civils ont été jetés sur les chemins de l’exode en quelques semaines, comme l’a relevé le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres ? Des enfants sont littéralement morts de froid, gelés sur les routes après avoir fui les bombardements sauvages. Selon la Défense civile syrienne, depuis le début de l’année et jusqu’à la date du 19 février, les forces russes, et accessoirement les unités syriennes, ont lancé plus de 11 100 attaques contre des objectifs civils dans les zones d’Idleb, d’Alep et de Hama, dont 2 200 raids aériens, 32 attaques aux bombes à fragmentation, 605 attaques aux barils d’explosifs et 8 000 bombardements aux missiles et à l’artillerie lourde.

Ces faits et chiffres ne justifient-ils pas le droit d’ingérence dont Bernard Kouchner s’était fait le porte-étendard dans les années 80 et qui est aujourd’hui relégué aux oubliettes? Il ne s’agit évidemment pas de lancer de nouvelles aventures militaires. Mais il existe à n’en point douter tout un éventail de moyens de rétorsion et de dissuasion non létaux susceptibles d’empêcher que les bombardements systématiques d’installations hospitalières, la transformation de villes entières en champs de ruines, les déplacements de population et la politique bien orchestrée de tri confessionnel soient perçus comme de simples faits divers.

Le monde est devenu un grand village, dit-on souvent. L’important aujourd’hui est qu’il ne se transforme pas irrémédiablement en une jungle livrée à des rapaces sauvages sans foi ni loi.

La scène, largement relayée sur les réseaux sociaux, paraît surréaliste : sur une route du nord de la Syrie, un blindé américain, drapeau US au vent, empêche (comme dans une course-poursuite) un véhicule militaire russe de le dépasser. Une scène qui paraîtrait cocasse en temps normal, n’était l’inqualifiable tragédie humanitaire que vit la population du nord de la Syrie...

commentaires (5)

Où sont la Palestine, Jérusalem-Al Qods là-dedans ? Idleb n'est pas en Palestine.

Un Libanais

16 h 14, le 25 février 2020

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Commentaires (5)

  • Où sont la Palestine, Jérusalem-Al Qods là-dedans ? Idleb n'est pas en Palestine.

    Un Libanais

    16 h 14, le 25 février 2020

  • ALLER CHERCHER LA LOGIQUE DANS LE CHAOS ET LE BORDEL QUI SEVISSENT AUJOURD,HUI DANS PRESQUE TOUT LES PAYS DU MONDE. IL N,Y A PAS UN PAYS QUI EN ECHAPPE. NOUS SOMMES EN PLEINE TROISIEME GUERRE MONDIALE AVEC DES EPICENTRES DEFINIS MAIS MONDIAUX.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 01, le 25 février 2020

  • La Parisienne: Certains persistent à vouloir ignorer que la stratégie du régime Assad a été, au cours des années 1018 et 2019, de "nettoyer" le territoire alaouite de ses djihadistes et des opposants politique, en poussant leurs combattants, leurs familles, clans et tribus ralliées vers la province d'Idleb. Le but est de les regrouper et de les faire sortir vers la Turquie, principalement. Mettre le focus uniquement sur la question humanitaire est une manière d'apporter un soutien aux djihadistes. Des analyses plus équilibrées sont nécessaires.

    Saab Edith

    10 h 35, le 25 février 2020

  • Vous écrivez avec une grande pertinence : ...""Israéliens et Russes se partagent presque en harmonie l’espace aérien pour donner libre cours à leurs bombardements aériens bien ciblés ; les multiples milices chiites non syriennes inféodées à Téhéran (Hezbollah en tête) sévissent sans vergogne contre les civils… C’est à l’ombre de cette trame de fond que la Syrie est en proie, de surcroît, à un tri démographique de grande envergure et à un vaste déplacement de population."" Il n’y a pas de guerre propre, et quand le pot de fer touche le pot de terre, ce sont les civils qui payent les pots cassés, ça on le sait, nous Libanais, plus que d’autres dans la région. La partition de la Syrie en cantons confessionnels, qui peut le nier, et les milices mercenaires s’emploient à mettre en place cette partition, et quand à la fausse note, un drone performant pourrait intervenir. Merci pour votre analyse, Mr. Touma, et bonne journée... C. F.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    09 h 03, le 25 février 2020

  • En réalité Mr Touma vous dénoncez quoi au juste ? Vous n'étiez pas obligé d'écrire si c'est pour dire n'importe quoi.

    FRIK-A-FRAK

    06 h 24, le 25 février 2020

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