Le gouvernement Diab lors de la séance nocturne au Parlement.
C’est un Parlement bunkérisé, conspué, protégé par une armada d’agents de l’ordre et complètement sourd aux cris de rage de la population, qui a accordé hier sa confiance au gouvernement de Hassane Diab par 63 voix contre 20, et une seule abstention de la part de Michel Daher, député de Zahlé.
Ce sont naturellement les principaux parrains du cabinet, majoritaires à la Chambre, qui lui ont accordé leur confiance, à savoir le Courant patriotique libre, le tandem Amal-Hezbollah, les Marada et la Rencontre consultative. Quant aux Forces libanaises, au courant du Futur et au Parti socialiste progressiste, ils ont privé la nouvelle équipe de leur confiance.
Jamais dans l’histoire du Parlement libanais, la rupture entre le peuple et ceux qui sont censés le représenter n’a été aussi flagrante qu’hier. Alors que la rue scandait comme un seul homme, « pas de confiance, pas de confiance », la majorité parlementaire accordait la sienne à l’équipe Diab, au prix de près de 400 blessés, parmi les milliers de manifestants qui, à quelques centaines de mètres, tentaient de bloquer le passage aux députés pour les empêcher d’accorder la confiance à un cabinet qui ne répond pas à leurs vœux et dans lequel ils voient une reproduction du précédent.
Envers et contre tous les efforts du mouvement de contestation, le président de la Chambre Nabih Berry est une fois de plus parvenu à imposer sa volonté et celle du camp qu’il représente, au mépris des règles constitutionnelles de rigueur. Le chef du législatif, soucieux d’assurer le quorum requis pour la tenue de la réunion (initialement prévue à 11 heures), soit la majorité simple de 65 députés, s’est empressé de déclarer la séance ouverte à 11h45, en présence de 58 députés seulement à l’intérieur de l’hémicycle, ce qui a eu pour effet de provoquer un tollé au sein de l’opposition parlementaire. Le chef des Kataëb Samy Gemayel a dénoncé une atteinte à la Constitution. L’explication fournie plus tard par le président de la Chambre se rapportait à la présence des députés du bloc Joumblatt et des Forces libanaises au Parlement. En fait, il avait appelé le chef du PSP pour solliciter son aide à ce niveau et ce n’est finalement qu’avec l’arrivée de quatre députés du bloc joumblattiste et des sept parlementaires FL que le quorum a été atteint. Tentant de justifier la décision de M. Berry, le vice-président de la Chambre Élie Ferzli a expliqué dans une déclaration télévisée que le chef du législatif est en droit d’ouvrir la séance parlementaire si les députés sont présents au siège du Parlement, et pas nécessairement à l’intérieur de l’hémicycle. Il faisait ainsi allusion aux députés FL, réunis peu avant la séance dans l’une des salles du Parlement.Waël Bou Faour, député joumblattiste de Rachaya, a tranché la question une fois pour toutes. Interrogé par la LBCI, il a assuré que quand les quatre députés joumblattistes, Fayçal Sayegh (Beyrouth), Akram Chehayeb (Aley), Hadi Abou el-Hosn (Baabda) et Bilal Abdallah (Chouf), ont fait leur entrée à l’hémicycle, la séance avait déjà commencé. « Puis, je les ai rejoints », a-t-il ajouté.
(Lire aussi : Le PSP tangue entre l’opposition et le réalisme politique)
À son tour, Walid Joumblatt a réagi sur son compte Twitter. S’il a tenu à assurer que la participation à la réunion parlementaire relève de la pratique démocratique, il a posté en soirée un tweet virulent dans lequel il a décoché une nouvelle fois ses flèches en direction des FL et du courant du Futur. « Il est beau de constater que les partis qui prétendent s’opposer au gouvernement ont laissé le Rassemblement démocratique seul face aux accusations d’avoir assuré le quorum, alors que cela n’est pas vrai. En témoignent aussi bien les médias que les péripéties de la réunion », a écrit le leader druze, ajoutant : « Quelle coïncidence de voir les protagonistes en question converger avec ceux qui veulent régler des comptes politiques avec nous, pour continuer à jouer les innocents. »
Prenant la parole au début de la réunion, Nabih Berry a dénoncé « les agressions perpétrées par les manifestants contre Salim Saadé, député du Parti syrien national social (qui avait annoncé lundi qu’il boycotterait la réunion, mais qui s’y est rendu malgré un œil au beurre noir), et les voitures des députés et ministres, invitant le mouvement de contestation à s’expliquer à ce sujet ». Pas un mot, cependant, sur les manifestants grièvement blessés durant les heurts avec les forces de l’ordre.
(Repère : Les principaux points de la déclaration ministérielle)
La séance a dès lors consacré le divorce total entre la contestation et les parlementaires. Et pour cause : les députés qui se sont succédé à la tribune ont, pour la plupart, eu recours à la rhétorique habituelle, à l’exception des députés de l’opposition. De nombreuses interventions n’étaient en outre absolument pas à la hauteur de la gravité de la crise qui secoue le pays depuis plusieurs mois.
Le chef du gouvernement Hassane Diab a donné lecture de sa déclaration ministérielle, critiquée depuis son adoption jeudi dernier parce qu’elle ne comprend pas de mesures concrètes en matière de réformes économiques. Un point que Hadi Abou el-Hosn a évoqué dans son intervention. « Le Rassemblement démocratique n’accordera pas sa confiance au gouvernement, parce qu’il est convaincu que cette équipe ne pourra pas tenir ses promesses », a-t-il dit, ajoutant : « Nous avons plusieurs remarques concernant cette déclaration ministérielle dépourvue de toute vision économique. »
À son tour, Mohammad Hajjar a tiré à boulets rouges sur le nouveau cabinet et sa déclaration ministérielle. S’exprimant au nom du groupe parlementaire du Futur, M. Hajjar s’en est pris au cabinet, estimant que le texte aurait pu être « valable pour la période d’avant le 17 octobre », date du début du soulèvement populaire. « Ce n’est qu’un texte qui expose de grandes lignes et des idées générales, et qui ne s’attarde pas sur les décisions à prendre pour résoudre la crise économique et financière, à l’heure où le peuple ne s’intéresse plus à ce que disent les députés et réclame une approche différente », a poursuivi le parlementaire, soulignant que son parti n’accorderait naturellement pas la confiance à l’équipe de Hassane Diab.
La distanciation
Même son de cloche du côté de Sethrida Geagea, députée FL de Bécharré. Prenant la parole, elle a fait savoir que son parti n’accordera pas la confiance à la nouvelle équipe ministérielle, mais elle a tenu à préciser que « les FL attendent les décisions du nouveau cabinet ». « Si elles sont bonnes, nous nous en féliciterons, sinon nous serons de farouches opposants », a-t-elle averti, rappelant que le pays souffre d’une « crise économique et financière inédite », et appelant à ce que les mesures nécessaires soient prises sur ce plan. Et Mme Geagea d’insister « sur le respect de la politique de distanciation du Liban par rapport aux conflits régionaux, parce qu’il est sage de focaliser les efforts sur la résolution des crises internes ».
À l’instar de Sethrida Geagea, Michel Moawad (Zghorta) a évoqué la question de la distanciation. Assurant qu’il n’accordera pas la confiance au gouvernement, il a évoqué l’épineuse question du positionnement du Liban par rapport aux conflits de la région. Il a expliqué que la distanciation signifiait préserver les liens d’amitié avec tous les pays, et ne pas s’ingérer dans leurs affaires intérieures. « Sur ce plan, nous divergeons avec le Hezbollah sur le mécanisme à adopter, dans la mesure où nous estimons que cela devrait faire partie d’une entente élargie autour d’une stratégie nationale de défense », a expliqué M. Moawad.
De son côté, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil a accordé au gouvernement « une chance, et non la confiance ». Détaillant certaines mesures à prendre au niveau économique, M. Bassil n’a pas mâché ses mots en appelant « à changer le système politique qui devrait être axé sur la laïcité ainsi que sur la décentralisation administrative ». Le chef du courant aouniste a également tancé « ceux qui appellent à l’adoption du système des trois tiers pour remplacer la parité islamo-chrétienne ».
La surprise Raad
Mais c’est surtout Mohammad Raad, chef du groupe parlementaire du Hezbollah, qui a créé la surprise en déclarant que le gouvernement « ne ressemble pas à son camp politique ». « Mais nous avons facilité la formation de ce cabinet et nous estimons que ses composantes sont capables de s’entendre sur des visions communes ». Durant la séance nocturne, plusieurs députés FL ont pris la parole, puis Fayçal Karamé (Tripoli) a accordé la confiance au gouvernement au nom de la Rencontre consultative sunnite. Une position que Jihad el-Samad (Denniyé), membre du groupe parlementaire, n’a pas adoptée, estimant qu’il s’agit d’un « cabinet des conseillers », dans ce qui sonne comme une critique implicite au processus gouvernemental dans son ensemble. A contrario, Hagop Terzian (Tachnag, Beyrouth) a accordé la confiance au nom des députés arméniens.
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commentaires (10)
IL EST EVIDENT QUE LES 3 GROUPES QUI SONT VENU AU PARLEMENT ET ONT ASSURE AINSI LE QUORUM ET LA CONFIANCE PAR CONSEQUENT DE CE MINISTERE SONT DES COMPOSANTS DE LA MEME CLIQUE QUI A VOLE LE PAYS DURANT TOUTE CES ANNEES ET ONT DU AVOIR DES ASSURANCES DE LA PART DU CHEF QUI TRONE SUR LE PARLEMENT DEPUIS 29 ANS QU'IL FERA PASSER SOUS SILENCE LEURS MEFAITS COMMUNS CECI DIT SEUL CEUX QUI ONT DECLARE NE PAS VENIR ET SE SONT ABSTENUS DE VENIR SONT LES SEULES PERSONNES PROPRES DANS TOUT CE PARLEMENT CAD LES KATAEB PAULA YACOUBIAN FREM AT ROUKOZ ( a moins que j'en ai oublie un ou deux ) VOILA LES LEADERS DE DEMAIN ; IL EST TEMPS QUE LES MANIFESTANTS COMMENCENT A SE METTRE EN GROUPE AVEC DES LEADERS CAR POUR DES ELECTIONS MEME PAS ANTICIPEES IL FAUT DU TEMOPS POUR POUVOIR S'ORGANISER ET GAGNER
LA VERITE
15 h 47, le 12 février 2020