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Liban - Reportages

Dans le centre-ville de Beyrouth, les manifestants opposent leur détermination à un pouvoir bunkérisé

Selon la Croix-Rouge, 373 personnes ont été blessées dans la répression des manifestants.

En sus des gaz lacrymogènes, les forces de l’ordre ont eu recours aux canons à eau contre les manifestants. Photo João Sousa

Le centre-ville de Beyrouth s’est transformé en véritable scène de bataille hier matin, entre des milliers de manifestants qui ont tenté d’empêcher les députés de parvenir au Parlement pour voter la confiance au gouvernement de Hassane Diab, et les forces de sécurité qui ont eu recours à une pluie de gaz lacrymogènes, aux canons à eau, aux balles en caoutchouc et aux matraques pour les disperser, selon les journalistes de L’Orient-Le Jour sur place. Malgré la détermination des manifestants, un nombre suffisant de députés a pu parvenir au Parlement pour assurer le quorum et que soit ouverte la séance. Mais celle-ci restera dans les annales, car près de 400 personnes ont été blessées en tentant de s’opposer à l’arrivée des représentants du peuple à l’hémicycle, transformé en forteresse retranchée.

Les protestataires s’étaient regroupés dès 7h en plusieurs points du centre-ville pour tenter de bloquer les accès du Parlement : près du bâtiment du quotidien an-Nahar, près de la base navale, du côté de Riad el-Solh ou encore du côté de Zokak el-Blatt, à proximité du Grand Sérail. Et dès le matin, les forces de sécurité n’ont pas lésiné sur les tirs de grenades lacrymogènes et les canons à eau, pour dégager les manifestants, également bousculés voire matraqués.


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Désormais habitués aux méthodes répressives des forces de l’ordre, certains manifestants étaient venus équipés de casques et de masques à gaz, tandis que d’autres avaient le visage couvert de foulards. D’autres étaient venus avec des oignons, pour tenter de contrer l’effet des gaz. Dans le centre-ville se trouvaient des manifestants venus de Beyrouth, mais aussi de la Békaa ou encore de Tripoli. Ces derniers avaient commencé à affluer dès lundi soir dans le centre-ville, où ils ont campé malgré le froid pour être sur le pied de guerre dès ce matin. Des militants de la capitale avaient annoncé sur les réseaux sociaux être disposés à les héberger pendant la nuit, alors que des églises et des mosquées du centre-ville leur avaient ouvert leurs portes. Un groupe de quelque 300 manifestants du Liban-Sud ont pour leur part quitté Saïda à bord de dix bus tôt le matin pour se joindre aux protestataires.

Les points de tension à travers le centre-ville sont nombreux : sur la route côtière, face à la base navale, un grand nombre de manifestants en colère criant « pas de confiance » ont été bousculés sans ménagement par l’armée. D’autres protestataires se sont regroupés vers Zokak el-Blatt ainsi que sur le Ring, et dans le quartier de Kantari, où l’armée et les forces de sécurité étaient déployées en force.


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« Nous sommes là depuis 1 heure du matin. C’est important de montrer qu’on est mobilisé, qu’on n’a pas confiance », affirmait un jeune venu de Tripoli avec ses camarades. « Nous n’avons qu’une demande simple, un gouvernement de technocrates et d’indépendants, mais elle n’a pas été réalisée, disait pour sa part Tamara Rassamni, une manifestante. Mais ce n’est pas surprenant, car comment demander à ceux qu’on veut faire tomber de former un nouveau gouvernement ? Ce n’est pas logique ! »

Souheir est venue en brandissant une énorme pancarte sur laquelle elle a inscrit « pas de confiance ». « Ce gouvernement n’est qu’un clone du précédent, avec de nouveaux noms. Nous venons faire entendre notre voix, dire que nous ne voulons pas d’une telle équipe. »

Sur le tunnel menant de Hamra vers le Ring, de jeunes manifestants ont bloqué la route dans les deux sens. « On ne veut pas accorder la confiance au gouvernement, on va faire le maximum pour les empêcher d’accéder au Parlement. On veut juste faire entendre notre voix, nous n’avons pas de travail, pas de maison et eux ont placé leur argent en Suisse », disait l’un de ces jeunes venus de Beyrouth, Hamza. C’est d’ailleurs grâce à sa pancarte, sur laquelle était écrit « la décision nous revient » avec le hashtag « pas de confiance », qu’une manifestante, Rana Fakhoury, a évité d’être touchée directement par une grenade qui s’est fichée dans son message.


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« Ils protègent les voyous »
À Zokak el-Blatt, des échauffourées ont opposé les manifestants aux forces de l’ordre au passage du véhicule transportant le ministre de l’Environnement et du Développement administratif, Damien Kattar, en route pour le Parlement. Le 4x4, visé par des jets d’œufs, a réussi à s’infiltrer dans le périmètre du Parlement, où les forces de l’ordre ont escorté le véhicule. Le député Salim Saadé (Parti syrien national social) a eu moins de chance : il a été blessé à la tête et hospitalisé, après que des contestataires ont attaqué sa voiture à coups de pierres et lui ont lancé des œufs, au niveau de l’hôtel Phoenicia. Quelques heures plus tard, le député s’est tout de même rendu au Parlement où il a pris la parole, s’excusant avec humour pour son retard avant d’être applaudi par ses collègues.

C’est surtout du côté de Zokak el-Blatt que la plupart des députés semblent être entrés au Parlement, malgré les centaines de manifestants mobilisés dans le secteur. Pour ce faire, ils ont profité du chaos créé par l’irruption de partisans du mouvement Amal, qui ont commencé à lancer des pierres depuis les toits de ce quartier sur les protestataires. L’armée a alors fait usage de gaz lacrymogènes, et plusieurs députés se sont faufilés vers le Parlement. « Les voyous d’Amal nous attaquent et l’armée nous a abandonnés », criait un manifestant en colère. « Nabih Berry est un voleur ! » répétaient les manifestants, un slogan qui suscite depuis le début de la contestation la colère des partisans de M. Berry, président de la Chambre et du mouvement Amal.

Des femmes ont interpellé les forces de l’ordre, leur lançant : « Vous n’avez pas honte ? Vous êtes en train de protéger les voyous ! »


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Partout ailleurs, devant l’immeuble d’an-Nahar ou à Riad el-Solh, les forces de sécurité ont fait un usage intensif de gaz lacrymogènes, recouvrant ces zones d’une épaisse fumée sans parvenir à disperser les protestataires. Malgré la détermination des manifestants, le quorum a été atteint vers 11h45, heure à laquelle la séance a été ouverte.

« Pas de confiance au gouvernement! Pas de confiance au président de la République ! Pas de confiance au chef du gouvernement ! Kellon yaani kellon ! » criait un manifestant à l’aide d’un haut-parleur pour galvaniser les protestataires devant l’immeuble d’an-Nahar. « Le peuple libanais s’adresse à la communauté internationale. Nous refusons d’accorder la confiance à ce gouvernement », a-t-il ajouté, alors que les manifestants entonnaient l’hymne national au milieu des applaudissements.

Non loin de là, des protestataires en colère ont mis le feu au siège de la BLOM Bank d’où s’élevait une épaisse fumée noire, alors qu’un tintamarre emplissait l’air dans le secteur de Riad el-Solh, les protestataires tapant sur des casseroles ou sur les palissades en métal.

En début d’après-midi et alors que les discours des députés réunis dans un Parlement bunkérisé et déconnecté de la rue s’éternisaient, les forces de l’ordre ont délogé à coups de grenades lacrymogènes les manifestants massés à proximité de la mosquée el-Amine ainsi que ceux qui se trouvaient devant la bâtiment d’an-Nahar, les repoussant vers le quartier voisin de Saïfi.

Selon un bilan de la Croix-Rouge en fin d’après-midi, 373 personnes ont été blessées, dont 45 ont été évacuées vers des hôpitaux de la région, tandis que les autres étaient traitées sur place. Les journalistes ont eu aussi droit à leur lot de violence, notamment le photographe Jad Ghorayeb, blessé à la bouche par une balle en caoutchouc, selon le centre SKeyes. Des journalistes d’OTV, la chaîne du CPL de Gebran Bassil, figure conspuée par la contestation, ont également été agressés par des manifestants.



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