De gauche à droite : le président de l’Association des banques, Salim Sfeir, le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, le ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, et le président de la commission parlementaire des Finances, Ibrahim Kanaan, au Parlement le 26 décembre 2019. Photo ANI
La question de transferts de fonds qui auraient été, selon la presse, effectués récemment par certains dirigeants politiques libanais vers des banques suisses, pour un montant de plusieurs milliards de dollars, a été longuement évoquée hier lors d’une réunion rassemblant plusieurs responsables des secteurs financier et bancaire. Le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé a notamment annoncé qu’il allait prendre toutes les mesures nécessaires pour faire la lumière sur cette affaire, notamment en créant une commission d’enquête. Citant des sources à Berne, des informations diffusées dans la presse libanaise font état depuis mardi de transferts effectués par neuf responsables politiques vers la Suisse, au cours des quinze derniers jours. Selon des informations rapportées par le quotidien britannique The Independent dans sa version en arabe, le Parlement suisse doit étudier prochainement l’origine de ces transferts.
La question de ces transferts a fait polémique au cours des derniers jours, alors que dans le cadre de la sévère crise de liquidités que traverse le Liban, les clients des banques sont soumis à d’importantes restrictions bancaires, des plafonnements de leurs retraits en livres libanaises et de grandes difficultés pour obtenir des dollars américains. Face à cette crise, le taux de change de la livre libanaise a grimpé en flèche auprès des changeurs, atteignant jusqu’à 2 000 livres pour un dollar, tandis que le taux officiel observé par les banques reste stable, entre 1 515 et 1 520 livres le dollar.
S’exprimant à l’issue d’une réunion ayant rassemblé M. Salamé, le ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, le président de la commission parlementaire des Finances, Ibrahim Kanaan, et le président de l’Association des banques, Salim Sfeir, le gouverneur de la BDL a annoncé qu’il prendrait toutes les mesures nécessaires pour enquêter sur les versements effectués vers l’étranger en 2019. « Évidemment, les gens sont libres de faire ce qu’ils veulent de leur argent, mais si certains fonds sont suspects, nous devons le savoir », a-t-il ajouté. « Nous devons d’abord confirmer que ces transferts ont effectivement quitté le Liban, puis nous prendrons des mesures judiciaires, si nécessaire », a-t-il encore souligné. Pour sa part, le président de l’ABL a affirmé n’avoir aucune information concernant des transferts de fonds vers l’étranger.
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Rupture d’égalité entre les déposants
Contacté par L’Orient-Le Jour pour réagir à ce sujet, l’avocat spécialisé en droit des affaires, Nabil Zakhia, explique que si de tels transferts bancaires ont été autorisés par les banques locales, il s’agirait « d’une rupture d’égalité entre les déposants, manifestement abusive. Même si il n’y a pas de contrôle légal des capitaux et que ces mesures restrictives sont laissées à la discrétion des banques, elles ne peuvent être arbitraires ». « La Commission de contrôle des banques peut facilement connaître les montants et la date de ces transferts présumés. Le cas échéant, la Commission spéciale d’investigation (CSI) devra diligenter une enquête sur la licéité de ces fonds, étant donné les sommes exorbitantes se rapportant à des personnes politiquement exposées », poursuit Me Zakhia.
Face à un creusement continu de la balance des paiements (flux de biens, de services et de capitaux entre le pays et le reste du monde), que la BDL a dû couvrir en puisant dans ses réserves en devises, les banques avaient vu leurs quotas journaliers de devises fournis par la BDL réduits. Elles avaient donc fini par limiter dès septembre les retraits de dollars à travers les distributeurs automatiques et les guichets, avant d’être contraintes d’imposer ensuite des mesures restrictives sur les retraits, les transferts à l’étranger et les opérations de change, et ce en l’absence d’un contrôle formel des capitaux. Ces mesures restrictives ont fini par être harmonisées par l’Association des banques, mais n’ont aucune valeur légale, car un contrôle des capitaux doit émaner de la BDL ou du Parlement.
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Le député Hassan Fadlallah (Hezbollah), qui a également assisté à la réunion de la commission des Finances et du Budget à laquelle a participé Riad Salamé, s’est, lui, interrogé : « Sera-t-il possible de faire revenir ces fonds qui ont été virés » en Suisse ? Selon M. Fadlallah, des versements suspects de 9 milliards de dollars auraient été faits dans des banques suisses, en plus de deux milliards associés à des prêts contractés au nom de personnes résidant au Liban. Le gouverneur de la BDL « s’est engagé à former une commission d’enquête » sur cette affaire, a poursuivi le député. « S’il s’avère que ces fonds sont illégitimes, c’est-à-dire qu’ils proviennent de la corruption ou d’opérations d’enrichissement illicite, il faudra s’assurer qu’ils seront renvoyés au Liban », a-t-il dit. « Si ces fonds reviennent au Liban et viennent s’additionner aux fonds présents dans les banques, cela créera assez de liquidités pour permettre aux citoyens ordinaires de récupérer leur argent et rétablira la confiance entre les citoyens et les banques », a ajouté le député Fadlallah. Il a encore souligné que la crise des liquidités que connaît le Liban est fortement liée « à l’augmentation indécente du taux de change entre la livre et le dollar » dans les bureaux de change.
Interrogé par ailleurs sur la possibilité d’une modification du taux de change entre la livre et le dollar, M. Salamé a déclaré : « Personne ne peut savoir » ce qu’il va se passer. Un peu plus tard, des sources au sein de la BDL ont indiqué que les propos de M. Salamé « ne signifient en aucun cas un changement dans le taux de change officiel de la livre libanaise établi à 1 507,5, mais concernaient les taux de change pratiqués par les bureaux de change ». « La politique de la BDL est toujours en vigueur et elle consacre la stabilité de la livre dans les transactions bancaires », poursuivent ces sources.
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15 h 44, le 29 décembre 2019