Rechercher
Rechercher

Économie - Crise

Presque sans surprise, Fitch sanctionne une nouvelle fois le Liban

L’agence considère que les perspectives d’amélioration de la situation dépendent d’une combinaison de facteurs positifs sur lesquels il est difficile de miser.

La Banque du Liban a été plusieurs fois la cible de l’action des manifestants.

Habitué pendant des années à « défier les lois de la gravité », comme l’a souligné la Banque mondiale à plusieurs reprises, le Liban a de plus en plus de plomb dans l’aile. L’agence de notation Fitch a en effet dégradé hier la note souveraine du pays de « CCC » à « CC ». L’agence américaine, l’une des trois principales avec Moody’s et Standard & Poor’s, a également répercuté cette baisse sur les notes des banques libanaises qu’elle évalue (Bank Audi et Byblos Bank).Fitch considère désormais très « probable » que le Liban procède à une restructuration de sa dette publique ou « fasse défaut » à ses prochaines échéances. Des scénarios envisagés en raison de « l’incertitude aiguë » concernant la situation politique du pays, des « mesures informelles de contrôle de capitaux » mises en place par les banques et de l’impact sur les entrée de capitaux de la baisse de confiance des déposants et investisseurs envers le secteur bancaire. Mercredi, Bloomberg a indiqué que pour beaucoup de détenteurs d’obligations d’État, le fait que le pays restructure ses « 87 milliards de dette » n’était plus qu’une question de temps.


Impact limité
Bien qu’elle constitue un nouvel avertissement sérieux adressé à la classe politique, dont la rupture avec la population s’est cristallisée par les manifestations qui se poursuivent depuis le 17 octobre, « les plus importantes depuis une décennie », cette nouvelle dégradation de la note souveraine du pays par Fitch devrait avoir un impact limité. « L’augmentation du risque pays a déjà été prise en compte par le marché », confirme à L’Orient-Le Jour le directeur du département de recherche de Bank Audi, Marwan Barakat. Même son de cloche du côté d’un économiste libanais. « Cette dégradation est anecdotique. La situation économique et financière du pays est déjà dramatique », lâche-t-il, soulignant qu’elle pénalise moins les citoyens que les restrictions bancaires qu’ils subissent depuis la fin de l’été. Il souligne en outre qu’il existe une importante « zone grise » dans la façon dont les agences de notation évaluent les économies des pays. « S’ils se basent sur des critères objectifs, ces rapports cachent souvent une motivation politique », assure-t-il.

La décision de Fitch n’aura donc en principe pas d’incidence sur les ratios de solvabilité des banques, qui ont déjà été rabaissés quand les obligations d’État du pays sont passées des notations de catégorie B (qui regroupe les emprunteurs dont la solvabilité va de moyenne à incertaine) à C (risque très important de non-remboursement sur le long terme à situation de faillite). Idem pour les restrictions bancaires déjà mises en place par la Banque du Liban et les établissements de crédit depuis la fin de l’été et qui ont contribué à faire fluctuer au-delà de 2 000 livres le cours du dollar dans les bureaux de change, alors que son prix est toujours officiellement fixé à 1 507,5 livres (1 515/1 518 pour les transactions bancaires).

Enfin, les marchés ont moins réagi à la dégradation de la note du pays par Fitch, qui était quelque part attendue au regard des maigres avancées réalisées dans le processus de formation du gouvernement, qui reste bloqué par des tensions politiques depuis la démission du Premier ministre Saad Hariri fin octobre, qu’à une autre annonce survenue le même jour. « Les rendements moyens des eurobonds libanais (les titres de dette en devises) qui augmentent avec le risque du pays ont en fait baissé de 29 % mercredi à 28 % hier, suite à l’annonce des discussions entre M. Hariri et des responsables du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale », fait encore remarquer Marwan Barakat. Relayées sur le compte Twitter du bureau du Premier ministre sortant, ces discussions ont porté sur la possibilité que les deux organisations fournissent leur assistance technique au Liban pour élaborer un « plan urgent de sauvetage » lui permettant de sortir de la crise économique et financière qu’il traverse. Une tendance confirmée par Reuters qui, citant MarketAxess, a indiqué que les prix eurobonds arrivant à échéance en 2020 et ceux de 2037 s’étaient respectivement appréciés de 2,5 et 2 cents de dollar pour atteindre 88,02 cents et 47,45 cents pour un dollar (contrairement aux rendements, les prix des titres de dette baissent quand le risque pays augmente).



(Lire aussi : Crise : Hariri demande l’assistance technique de la BM et du FMI pour élaborer un "plan de sauvetage")


La circulaire n° 536
La décision de Fitch survient moins de 24 heures après que Moody’s a partiellement dégradé les notations des trois banques libanaises qu’elle évalue – Bank Audi, BLOM Bank et Byblos Bank – de Caa2 à Ca – tout en maintenant sa surveillance sur les établissements libanais. La dégradation de la situation économique et financière du pays a déjà été sanctionnée cette année par les trois grandes agences de notation américaines. Tout comme Fitch, Moody’s avait déjà abaissé la note du Liban à deux reprises en 2019 (de B3 à Caa1 en janvier, puis Caa2 en novembre ; S&P l’a dégradée de « B- » à « CCC » le mois dernier).

Outre l’instabilité politique et l’absence de perspective de résolution des tensions à court terme, l’agence a également justifié la dégradation de la note du pays en citant les indications laissant craindre une forte récession de l’économie, tout comme l’émergence d’un marché de change parallèle et « l’échec de la Banque du Liban à pleinement assurer le service de ses obligations en devises ». Fitch a expressément fait référence sur ce point à la circulaire n° 536 du 4 décembre par laquelle elle s’est autorisée à régler en livres 50 % des intérêts sur des certificats de dépôt et des dépôts bancaires en devises, comme facteurs augmentant la pression financière sur le pays.

Fitch estime dans ce contexte que les réserves brutes de devises de la BDL devraient atteindre 28 milliards de dollars à fin 2019, soit une baisse de 4 milliards de dollars, et continueront de s’effriter en 2020, en raison des « importants besoins de financement extérieur » et des 2,5 milliards de dollars d’eurobonds – titres de dette en dollar émis par le Liban – arrivant à échéance au cours de cet exercice. Le Liban s’est acquitté en novembre de sa dernière échéance de 2019, d’un montant de 1,5 milliard de dollars. La prochaine est prévue pour mars prochain (1,2 milliard de dollars).

L’agence voit en outre les importations diminuer de moitié, pour se situer dans une fourchette allant entre 8,5 et 9,5 milliards de dollars. Elle souligne par ailleurs que les réserves nettes de devises de la BDL sont en réalité négatives en raison des engagements financiers de la Banque centrale vis-à-vis des établissements bancaires du pays, qui s’élevaient selon elle à 67 milliards de dollars à fin septembre, dont 18 milliards de réserves obligatoires.

Fitch précise que les avoirs étrangers de la BDL – en dehors des 13,4 milliards de dollars de réserves d’or – sont largement liquides, tandis que ses engagements en devises vis-à-vis des banques ont « des maturités moyennes plus longues ». Elle considère cependant que les réserves de devises diminueraient « beaucoup plus rapidement si les banques pouvaient puiser dans leurs dépôts à la BDL pour répondre aux demandes de leurs déposants ». Une situation qui est à l’origine de la mise en place des mesures informelles de contrôle des capitaux instaurée par les banques, qui ont en outre été contraintes d’utiliser leurs réserves de liquidités à l’étranger. Celles-ci ont reculé de 3,6 milliards de dollars par rapport aux 8,4 milliards qu’elles affichaient en octobre.



(Lire aussi : Moody’s dégrade partiellement les notations de trois banques libanaises)


Toujours pas d’aide débloquée
Sur le plan des finances publiques, Fitch indique que si le Liban a toujours honoré le service de la dette, sa situation budgétaire semble de moins en moins tenable. Elle mise sur un ratio déficit/PIB de 9,3 % à fin 2019 (contre 7,5 % anticipé dans le budget pour l’année en cours) avec un surplus primaire marginal et considère que ce dernier devrait atteindre 5 % du PIB sur les quatre prochaines années pour stabiliser les comptes.

Si elle considère toujours qu’un consensus politique combiné à la mise en place de réformes budgétaires crédibles et le déblocage d’aides extérieures substantielles contribueraient à améliorer la situation du pays et rétablir la confiance des déposants, l’agence admet néanmoins que ce scénario « dépend d’une combinaison de développements positifs » qu’il est difficile de tenir pour acquis. Fitch rappelle que les fonds promis par les donateurs présents lors de la conférence de Paris d’avril 2018 (CEDRE) n’ont toujours pas été débloqués et préfère ne pas tenir compte des aides promises par certains pays du Golfe ces derniers mois, en raison de la place du Hezbollah au Liban, dans un contexte de tensions entre l’Iran, qui soutient le parti chiite, et l’Arabie saoudite notamment, qui le considère comme une organisation terroriste. Fitch note enfin que la possibilité que le pays sollicite l’aide du Fonds monétaire international conduira « presque certainement » le Liban à restructurer sa dette.

Fitch n’exclut pas en revanche de rehausser la note du pays en cas de déblocage des financements extérieurs promis, sans que cela ne soit conditionné à une restructuration de la dette ; au lancement des réformes attendues pour assainir les finances publiques et restructurer l’économie ; ou encore à une résurgence des dépôts non résidents dans le système bancaire local. Elle n’hésitera pas en revanche à la dégrader davantage si les indications confirment le scénario d’une restructuration ou d’un défaut imminents.


Lire aussi

Comment se déroule une restructuration de dette, selon Camille Abousleiman

Pour la Banque mondiale, les pertes liées à la crise sont « énormes » pour l’économie libanaise

Repenser la réforme pour relancer l’économie

Situation financière : la Banque mondiale ne mâche plus ses mots

Restitution des fonds détournés : a-t-on vraiment besoin d’une nouvelle loi ?

Habitué pendant des années à « défier les lois de la gravité », comme l’a souligné la Banque mondiale à plusieurs reprises, le Liban a de plus en plus de plomb dans l’aile. L’agence de notation Fitch a en effet dégradé hier la note souveraine du pays de « CCC » à « CC ». L’agence américaine, l’une des trois principales avec Moody’s et...

commentaires (6)

Faut surtout pas continuer avec les vieilles rengaines de mettre la faute sur le dos dÍsrael. Les gisements au large du Liban sont la. Suffit de commencer a les exploiter sans attendre, mais bien sur fallait avant se diviser les gateaux.... Classe politique corrompu!

IMB a SPO

15 h 28, le 13 décembre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • Faut surtout pas continuer avec les vieilles rengaines de mettre la faute sur le dos dÍsrael. Les gisements au large du Liban sont la. Suffit de commencer a les exploiter sans attendre, mais bien sur fallait avant se diviser les gateaux.... Classe politique corrompu!

    IMB a SPO

    15 h 28, le 13 décembre 2019

  • Meme les chiffres conspirent contre nous a en entendre quelques uns. L'Economie etudie des faits et des chiffres, que certains ne comprennent clairement pas.

    Toni Pantaloni

    11 h 20, le 13 décembre 2019

  • LES PRESSIONS PLEUVENT. LORSQUE LE BOEUF TOMBE TOUS LES BOUCHERS ACCOURENT LES HACHES ET COUTEAUX A LA MAIN.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 21, le 13 décembre 2019

  • Les réserves obligatoires des banques ,et l'argent des déposants dans les banques constituent -ils les réserves de la BDL? On attend des clarifications concernant le rapport de Fitch. Espérons que ce n'est pas vrai.

    Esber

    08 h 52, le 13 décembre 2019

  • Est ce qu'il pourrait pas nous Fitch la paix ? Ces organismes sangsues qui ne nous apportent rien de bon.

    FRIK-A-FRAK

    01 h 49, le 13 décembre 2019

  • Pourquoi est-ce que le sujet des revenus potentiellement possibles par l'exploitation du gaz naturel n'est pas pris en compte et plus généralement si peu évoqué par la presse? Est-il possible que le Liban soit victime d'un chantage international en faveur d'Israel? On vous sauve de la faillite et vous laissez Israel se servir? Moi j'espère qu'après le départ des Kellon, l'effondrement financier des milices pro iraniennes et une faillite retentissante de l'état et de la BDL il sera possible d'utiliser les revenus du gaz pour redémarrer l'économie.

    El moughtareb

    00 h 37, le 13 décembre 2019

Retour en haut