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Liban - Reportage

À Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané, une révolte qui unit, mais pas trop...

Le soulèvement a poussé des habitants des deux quartiers voisins de Tripoli à manifester côte à côte, sans effacer leurs différences.


Voitures incendiées au lendemain des batailles entre Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané, en juin 2011. Photo d’archives L’OLJ

Les portraits géants des dirigeants politiques qui ornaient les façades des immeubles décrépits à Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané se font de plus en plus rares depuis le début du soulèvement populaire. En novembre dernier, un groupe de jeunes manifestants avait pris l’initiative d’arracher des portraits des zaïms traditionnels dans la capitale du Liban-Nord, et les habitants les avaient imités dans les différents quartiers.

Seuls les portraits de jeunes hommes victimes des affrontements violents et récurrents entre ces deux quartiers historiquement rivaux, frappés de messages élégiaques, résistent à tout changement dans le paysage. Les balafres laissées par les balles et les obus sont elles aussi toujours visibles. Car entre 2011 et 2014, une vingtaine de rounds d’affrontements fratricides ont fait rage, sur fond de conflit syrien, entre Bab el-Tebbané, quartier à majorité sunnite, et Jabal Mohsen, à majorité alaouite. En 2015, la réconciliation a eu lieu entre les deux quartiers voisins grâce à l’initiative de l’armée libanaise et des principales figures politiques des deux camps.


Les mêmes revendications

Dès le déclenchement du soulèvement populaire, le 17 octobre, Hassan Saleh, jeune ingénieur de Jabal Mohsen, et son meilleur ami Ahmad, de Bab el-Tebbané, ont manifesté côté à côté sur la place el-Nour, haut lieu de la protestation à Tripoli, scandant les mêmes slogans. Les premiers jours du soulèvement, Hassan participait aux manifestations sans trop réfléchir : « Nous sommes descendus dans la rue comme tous les Libanais pour les mêmes motifs tels que le chômage, la pauvreté et la corruption qui ronge les institutions de l’État », affirme-t-il à L’Orient-Le Jour.

Depuis qu’il a terminé ses études en génie civil, Hassan Saleh n’a pas réussi à trouver un emploi dans son domaine. « Je suis le premier ingénieur dans ma famille », dit-il en arpentant les ruelles du souk à Bab el-Tebbané. Il salue quelques commerçants au passage et fait remarquer que les clients se font de moins en moins nombreux depuis le début de la crise financière. « Pourtant, c’est le souk des plus pauvres où les prix sont les moins élevés », indique-t-il.

Au cœur du souk, qui est fréquenté également par les habitants de Jabal Mohsen, il explique que les jeunes de son quartier ont participé aux protestations en partie parce qu’ils veulent prouver qu’ils sont de bons citoyens comme tous les autres et pour tenter d’effacer cette image de combattants qu’on leur attribue.

« Nous ne faisons pas partie de la génération de nos parents qui a fait la guerre », affirme de son côté Rim Abou Chach, une jeune femme âgée de 20 ans, originaire de Jabal Mohsen et étudiante en communication et médias. Et de poursuivre : « Il est vrai que je suis jeune mais j’ai mes idées et mes convictions, et je suis descendue dans la rue pour m’exprimer. » Rim explique qu’elle a voulu découvrir ce qu’était une révolution, ce que signifiait d’avoir une place de la révolution dans sa ville, de brandir des pancartes et de scander des slogans qui leur ressemblent. La jeune femme cherchait aussi à briser le tabou qui entoure la participation des femmes de son quartier dans des rassemblements publics. « J’ai insisté à participer en tant que femme et j’ai même regroupé une trentaine de filles de mon quartier en parvenant à convaincre leurs parents de leur permettre de descendre place el-Nour », raconte-t-elle avec fierté.

Mou’men Haddad, un jeune homme de 25 ans, dit avoir été le premier habitant de Bab el-Tebbané à lancer un appel aux Tripolitains pour descendre dans la rue. Pour lui, la révolution est le début d’une solution à la situation dans laquelle se trouve le pays. « Depuis le début de la révolte, les gens sont devenus plus conscients de leurs droits et de leur capacité à changer leur situation », lance-t-il avec enthousiasme, avant d’ajouter : « Avant, ils étaient debout, les bras ballants, à regarder la classe politique voler leur argent et détruire leur avenir. » Le jeune homme est impliqué à fond dans le mouvement et n’hésite pas à participer à beaucoup d’actions sur le terrain. « La révolution consiste à paralyser le pays afin d’arracher nos droits aux politiciens », dit-il. Et de poursuivre : « Je crois que les Libanais doivent nous rejoindre dans le blocage des routes et la pression sur le pouvoir politique. Cela vaut mieux que de nous disputer sur comment faire la révolution. »


(Lire aussi : Tripoli marche contre la sédition)


Une perception différente

Bien que les jeunes des deux quartiers voisins, situés des deux côtés de la rue de Syrie et qui ont en commun la même misère, revendiquent les mêmes droits, leur perception de la révolution n’est pas identique. Hassan Saleh, qui était très enthousiaste les premiers jours de la révolution, s’est ensuite abstenu de participer aux rassemblements sur la place el-Nour pour plusieurs raisons. « J’ai entendu par coïncidence un groupe d’hommes dire du mal des habitants de Jabal Mohsen, je ne me suis plus senti à l’aise dans la foule », dit-il avant de poursuivre : « Ensuite, j’ai remarqué que les orateurs répétaient des slogans qui avaient fortement marqué la révolution syrienne, ce qui m’a rendu sceptique. » Pour la communauté alaouite, qui soutient le régime Assad, la reprise de slogans tels que « Yalla erhal » (Dégage) est un rappel de la révolte syrienne. Pour le jeune homme, ces comportements ainsi que les injures lancées contre le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui d’ailleurs étaient lancés par des fauteurs de troubles, pourraient effrayer une bonne partie des habitants de Jabal Mohsen. Mou’men Haddad dit comprendre les inquiétudes de Hassan : « Certaines personnes ont beaucoup à reprocher à la révolution mais il ne faut pas baisser les bras et vider les rues parce que c’est ce que recherche le pouvoir politique. » Pour lui, la révolution n’est pas parfaite, mais il ne faut pas céder aux tentatives de la classe politique de semer la discorde entre les Libanais. Hassan avoue avoir participé à un rassemblement qui a eu lieu dans son quartier où les habitants ont tenté de faire leur propre révolution. « Mais je me suis tout de suite rendu compte que faire notre révolution dans notre quartier ne ferait que renforcer le sentiment de marginalisation que ressentent les alaouites », révèle-t-il, avant de poursuivre : « J’ai donc arrêté de participer à ces rassemblements qui ont cessé de toute façon. »

Rim, quant à elle, n’a jamais cessé de participer aux manifestations. « C’est avec une amie de Bab el-Tebbané que j’ai organisé des activités pour enfants sur la place el-Nour et j’ai continué à y aller parce qu’il est grand temps de construire notre propre vision de ce pays », estime-t-elle.

La révolution des plus pauvres ?

Selon Sara el-Charif, directrice de la section Liban de Ruwwad al-Tanmiya, une ONG qui vient en aide aux populations vulnérables et qui a ses locaux rue de Syrie, l’implication des habitants de Jabal Mohsen et Bab el-Tebbané dans le soulèvement est décevante. « Je m’attendais à ce que les habitants des régions les plus pauvres et les plus démunies soient en première ligne de la révolte à Tripoli, d’autant que ces deux quartiers en particulier ont connu des rounds de violence insensés », déplore-t-elle avant de poursuivre : « Mais la réalité est autre, puisque bon nombre des habitants sont toujours attachés aux figures politiques soit par le biais de services qu’ils leur rendent, ou alors tout simplement par appartenance communautaire. »

Pendant le week-end, des habitants des deux quartiers ont organisé une marche dans la région pour afficher leur refus du communautarisme et leur attachement au vivre-ensemble. « Il ne sera pas facile de nous débarrasser de la classe politique libanaise mais nous continuerons quand même à nous battre pour que les Libanais comprennent finalement qu’ils ont été, pendant toutes ces années, un instrument entre les mains des politiciens et de leurs projets », conclut Rim Abou Chach.


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commentaires (3)

C'est pourtant à Tripoli qu'on trouve les plus gros milliardaires et en plus grand nombre.

FRIK-A-FRAK

11 h 19, le 23 décembre 2019

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Commentaires (3)

  • C'est pourtant à Tripoli qu'on trouve les plus gros milliardaires et en plus grand nombre.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 19, le 23 décembre 2019

  • LES ANCIENNES PLAIES NE SONT PAS ENCORE CICATRISEES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 32, le 23 décembre 2019

  • Les libanais commencent a comprendre que leur pire ennemi n est pas le libanais d une autre confession,c est le chef de leur propre confession qui les manipule afin de maintenir le statut quo et s enrichir toujours plus sur le dos des misereux.

    HABIBI FRANCAIS

    06 h 11, le 23 décembre 2019

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