Le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil a feint hier de tirer son épingle du jeu, affirmant qu’il ne participerait pas à un gouvernement techno-politique tel que celui que propose Saad Hariri, auquel il prédit un échec certain au cas où il serait formé. Toutefois, en milieu de raisonnement, et par égard selon lui à ceux qui refuseraient de participer à un gouvernement dont le bloc parlementaire chrétien le plus fort serait absent, M. Bassil a proposé une alternative à une telle formule : il s’est dit partisan d’un gouvernement entièrement composé de visages nouveaux, y compris au niveau de la présidence du Conseil. Ce gouvernement, a-t-il ajouté, tout en étant formé de technocrates, refléterait également les équilibres politiques tels qu’ils ont été dessinés par les précédentes législatives.
À quelques jours des consultations parlementaires contraignantes prévues lundi à Baabda, à la veille d’un discours attendu aujourd'hui du secrétaire général du Hezbollah, et quelques heures aussi après s’être réuni avec le président de la Chambre, qui a affirmé qu’il ne participera pas à un gouvernement dont le CPL serait absent, il paraît évident que la prise de position de M. Bassil est une manœuvre et non une proposition sérieuse de solution, une façon de tirer le tapis de sous les pieds de Saad Hariri.
Gebran Bassil a lancé en effet une attaque en règle contre le Premier ministre sortant, qu’il a accusé de chercher à jouer « le jeu de la conformité au pacte » au niveau de la nomination du chef du gouvernement tout en essayant de s’en dégager au niveau de la formation de son équipe.
Il va de soi que la position de M. Bassil n’est pas une position de principe, mais une sorte de contre-manœuvre politique, notamment au ballet de l’élimination successive de trois de ses rivaux par M. Hariri. Le côté manœuvre éclate aussi de toute évidence, le projet de M. Bassil ne faisant aucune place aux choix et aspirations du soulèvement populaire. Enfin, il n’a pas été question dans le discours de M. Bassil de la personnalité que le CPL nommera lundi lors des consultations parlementaires.
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Double insistance
Plus profondément, c’est la double insistance d’abord de M. Hariri à chercher à imposer un gouvernement de technocrates dont le chef du CPL serait absent, ensuite du tandem chiite à vouloir un gouvernement présidé par Saad Hariri, le leader le plus fort de la communauté sunnite, qui semble avoir forcé M. Bassil à agir comme il le fait. Et ce faisant, c’est peut-être au Hezbollah qu’il chercherait à forcer la main plutôt qu’au Premier ministre sortant. Or, l’instance du Hezbollah s’explique de trois façons. D’abord, ce parti est attaché au modus vivendi conclu avec M. Hariri en 2014, en vertu duquel ce dernier, accordant à la stabilité interne du Liban la priorité sur toute autre question, avait accepté de mettre entre parenthèses, comme un problème à dimension régionale, la question des armes du parti chiite. En deuxième lieu, et comme de juste, la présence du courant du Futur à la tête du gouvernement assure au Hezbollah la couverture sunnite dont il a besoin vis-à-vis de ses adversaires ou ennemis politiques, à l’intérieur comme sur le plan arabe et international. Enfin, la présence de M. Hariri à la tête d’un gouvernement est la meilleure garantie que les clés du coffre aux aides internationales finiront par être confiées (ou prêtées… sous condition).
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Dans l’attente du Hezbollah
Le CPL a-t-il mieux à proposer ? Parviendra-t-il à ses fins ? En tout cas, il ne faut pas oublier qu’à un moment donné, il a joué la carte d’un gouvernement monochrome reposant sur la majorité numérique dont il peut se prévaloir sur le plan parlementaire. Toutefois, le Hezbollah avait catégoriquement rejeté cette option, se montrant attaché à ce qu’il considère comme un acquis non négociable de l’accord de Taëf, à savoir la formation d’un gouvernement d’union nationale.
En tout état de cause, les observateurs attendent impatiemment le discours que doit tenir aujourd’hui le secrétaire général du Hezbollah. Selon une source généralement bien informée, Gebran Bassil aurait coordonné son action avec ce dernier. On en aura le cœur net aujourd’hui. Mais il est douteux que le parti chiite décide de contrer le courant sunnite dominant, tel qu’il s’est exprimé en particulier par la voix du mufti Abdellatif Deriane. Et il lui sera tout aussi difficile d’accepter de participer à un gouvernement dont les deux grands partis représentatifs de la communauté chrétienne, le CPL et les Forces libanaises, auxquels s’ajoutent les Kataëb, seraient absents.
Sur un plan plus tactique, on assure de source informée que le CPL tentera de donner une majorité plutôt étriquée de l’ordre de 70-75 voix à Saad Hariri au cours des consultations de lundi. Il aurait ensuite l’intention d’agiter la rue pour faire tomber avant même qu’il ne soit formé le gouvernement de technocrates retenu comme option par M. Hariri. Et la ronde pourra ensuite reprendre.
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De grâce, arrêtons ce déferlement de haine et d’insultes. Ce monsieur représente que nous le voulions ou non une partie non négligeable de libanais, comme vous et moi. Son groupe parlementaire est le plus important de notre « honorable » assemblée. Nous avons le droit et même le devoir d’exprimer notre désaveu quant à sa politique, mais nous avons aussi le devoir de respecter ses opinions, sans faire de procès d’intention, tout comme le titre de OLJ le suggère.
14 h 28, le 13 décembre 2019