La nouvelle vague des printemps arabes a retenu les leçons des échecs de la première. Elle est pacifiste, porte un discours laïc et national et refuse toutes interférences étrangères. Son succès est néanmoins entravé par des forces au pouvoir qui refusent de céder la place malgré la pression de la rue, et qui ont, contrairement à celle-ci, les moyens de leur politique.
Les situations au Liban, en Irak et en Algérie sont différentes par bien des aspects. Mais dans chacun de ces cas peuvent aujourd’hui se poser les deux mêmes questions : comment sortir de l’impasse ? Et est-il envisageable pour cela de faire un compromis avec les pouvoirs en place ?
En Algérie, une élection imposée par le pouvoir et rejetée par une large partie de la population a eu lieu hier dans des conditions aussi tendues que burlesques, dans le but de donner une façade de légitimité au régime militaire qui a la main sur le pays. En Irak, les manifestants continuent de descendre dans la rue depuis le 1er octobre, malgré la répression des autorités qui a déjà fait 450 morts, pour demander un renouvellement de la classe dirigeante et un changement de Constitution, mais les forces pro-iraniennes refusent de céder le moindre pouce. Au Liban, au 58e jour de la révolte, les partis du 8 Mars s’opposent à la formation d’un gouvernement indépendant et à l’organisation d’élections législatives anticipées, tandis que le Premier ministre sortant Saad Hariri mise sur une stratégie inverse pour prendre la tête d’une équipe ministérielle indépendante.
Dans les trois cas, les demandes de la rue sont on ne peut plus légitimes. Celle-ci réclame un État moderne et démocratique, basé sur la justice sociale et la redistribution des richesses. Mais les révolutions ne se gagnent pas qu’en fonction de leur moralité et de leur droiture. Le rapport de force est toujours déterminant et les pouvoirs en place, tant en Algérie qu’en Irak et au Liban, peuvent compter sur lui non pour contrer frontalement la révolte – ils sont eux-mêmes dépassés par la vague –, mais pour tenter de l’étouffer en bloquant le processus et en misant sur l’épuisement.
À moins qu’un nouveau facteur important – possiblement interne mais surtout externe – ne change la donne, il y a fort à parier que l’armée algérienne ne donnera pas les clés du pouvoir à des indépendants, et que les alliés de l’Iran au Liban et en Irak ne permettront pas qu’un pouvoir sur lequel ils n’ont pas de contrôle émerge dans ces deux pays. À partir du moment où ce constat est dressé, deux choix s’offrent aux manifestants : poursuivre dans une logique jusqu’au-boutiste pour tenter de faire craquer les forces les plus résistantes avec le risque néanmoins que la situation dérape et que la crise économique s’aggrave ; ou bien passer un compromis avec le pouvoir et gérer la transition sur le long terme avec le risque d’être les dindons de la farce.
Les révolutionnaires soudanais ont choisi la seconde option, en passant au mois d’août dernier un accord avec les militaires, encouragés par les puissances extérieures. Passer un compromis avec « l’ancien régime » est fâcheux à bien des égards. Cela confère une certaine légitimité à ce dernier et permet aux causes du problème de prétendre être dans le même temps la solution à celui-ci. Cela empêche, ou au moins complique, la mise en place d’une justice transitionnelle, indispensable à l’ouverture d’un nouveau chapitre. Mais le compromis est parfois la seule façon de sortir du choix entre l’impasse et la guerre. À condition que le pouvoir en place puisse accepter cette logique.
Les Syriens, même s’ils l’avaient voulu, n’avaient pas le choix, le compromis étant par nature impossible avec le régime Assad. Rien ne permet d’affirmer qu’il est aujourd’hui possible en Algérie, en Irak et au Liban. L’armée algérienne ne semble toujours pas prête à accepter ne serait-ce que de partager le pouvoir. Les milices pro-iraniennes en Irak ont durci ces derniers jours la répression et ne montrent aucun signe de vouloir faire la moindre concession. Le Hezbollah, seule force ayant les moyens de mener une entreprise contre-révolutionnaire au Liban, apparaît plus enclin à faire des compromis, mais à des conditions tellement rédhibitoires qu’elles sont presque impossibles à accepter pour les forces révolutionnaires. Le compromis entre ces derniers et le pouvoir est d’autant plus difficile au Liban qu’il doit d’abord tenir compte d’un autre compromis, cette fois entre les différentes formations politiques, qui transforme le problème en une espèce de casse-tête chinois.
Dans les trois situations, la question du compromis doit être envisagée pour ne pas risquer de perdre sur toute la ligne. Mais elle ne peut être réellement prise au sérieux que si, et seulement si, l’initiative vient des pouvoirs en place.
commentaires (3)
La Revolution ne mènera à rien si elle reste pacifiste . Si vous cherchez le guerre civile, dites -le tout de suite , afin que je puisse plier bagages S'il vous plaît !
Chucri Abboud
14 h 23, le 13 décembre 2019