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Liban - Rencontre

Melhem Khalaf à « L’OLJ » : Je me considère comme un cri d’espoir

Le bâtonnier croit à la politique des petits pas de nature à déboucher sur une meilleure application des textes et des procédures allant dans le sens d’un respect des droits de l’homme.

« Gouverner, c’est rendre justice, et sans la justice, les patries tombent », affirme Melhem Khalaf. Photo Michel Sayegh

Le bureau du bâtonnier au Palais de justice et le petit salon avoisinant ne désemplissent pas. Depuis son élection le 17 novembre à la tête du barreau de Beyrouth, Melhem Khalaf a déclaré le mardi « Journée portes ouvertes » et les avocats, jeunes ou mûrs, stagiaires ou chevronnés, défilent à un rythme qui affolerait n’importe qui ! Sauf lui, qui enchaîne depuis bientôt un mois les journées interminables, qui commencent à 7h30 et finissent vers 23h, dans un souci évident d’agir vite en profitant du formidable élan d’espoir provoqué par son élection.

De mémoire d’avocat, le bureau du bâtonnier n’avait plus connu une telle affluence depuis des années, mais Melhem Khalaf refuse de se laisser entraîner dans les comparaisons. Il est tout concentré sur sa mission et ses nouvelles responsabilités. Pour lui, son élection à la tête du barreau n’est pas vraiment un couronnement de carrière, comme c’est généralement le cas, mais une nouvelle étape dans son parcours de militant pour les droits de l’homme. « C’est la poursuite de mon combat », dit-il. Il ne pouvait donc pas laisser passer la journée du 10 décembre (Journée mondiale des droits de l’homme) sans s’exprimer sur la question. Tout en ayant une vision claire de ce qu’il faut faire et du Liban dont il rêve et auquel il aspire, Melhem Khalaf croit à la politique des petits pas. « Il faut faire de petites choses, les unes après les autres, pour atteindre ensuite les grandes. L’essentiel est de rebâtir la confiance et cela doit se faire pas à pas. »

Sa priorité est donc de commencer par rétablir la confiance dans l’avocat qui, au même titre que beaucoup d’autres fonctions ou postes, suscite la suspicion. « Nous devons passer de la mentalité ottomane à celle des droits de l’homme », dit-il.

Et cela commence par des principes de base. Il a par exemple commencé par réclamer l’application de l’article 47 du Code de procédure pénale, qui stipule que toute personne arrêtée a le droit d’avoir un avocat, lequel peut être mandaté immédiatement. Dans ce but, il a discuté avec le parquet qui disait : les avocats peuvent rencontrer la personne arrêtée, mais ils n’ont pas le droit d’assister à l’interrogatoire préliminaire. Pour Melhem Khalaf, l’avocat rencontrerait la personne arrêtée dans quel but, sinon celui de la soutenir lors de l’interrogatoire ! Mais l’impression générale est que l’avocat cherche à apprendre à la personne arrêtée ce qu’elle doit dire. Et c’est justement cette impression que le nouveau bâtonnier veut changer en rétablissant la confiance entre les trois piliers de la justice : les magistrats, les avocats et les auxiliaires de justice. Il a d’ailleurs déjà obtenu du procureur général près la Cour de cassation Ghassan Oueidate une circulaire interdisant aux policiers de s’emparer des données personnelles contenues dans le téléphone portable d’une personne arrêtée sans une autorisation préalable du parquet...

C’est une petite victoire et Melhem Khalaf est confiant qu’il y en aura d’autres, toujours dans l’esprit de redonner confiance dans l’avocat. « Pour cela, il faut aussi, dit-il, que l’avocat lui-même ait confiance en lui-même et soit conscient du fait qu’il n’est pas un simple technicien, mais l’exemple du bon citoyen parce qu’il est aussi la porte d’accès à la justice. »

Selon Melhem Khalaf, le retour de la confiance dans le Liban et entre les Libanais doit commencer par le barreau où l’avocat doit prendre conscience qu’il est là pour aider à l’application de la loi, non pour contribuer à la contourner, comme certains pourraient le croire.

Le nouveau bâtonnier s’est fixé 60 jours pour obtenir de premiers résultats, et cent jours pour les consolider. « Nous sommes en train de poser les jalons d’un second centenaire, dit-il, et je sens un grand enthousiasme chez les jeunes et moins jeunes, pour construire, sortir du négativisme et se diriger vers le positif. »

M. Khalaf est conscient du fait que les structures du barreau sont un peu anciennes et il souhaite les moderniser, mais il ne veut pas entreprendre de grandes actions médiatisées, préférant se contenter de petites initiatives qui, accumulées, rassurent et produisent des résultats concrets. « Le serment des avocats, leurs valeurs, leur éthique les placent sur le devant de la scène, précise-t-il. Nous sommes les gardiens des libertés fondamentales et des droits de l’homme. » Il espère ainsi que tous ceux qui se sentent exclus doivent pouvoir frapper à la porte du barreau de Beyrouth. C’est dans cet esprit qu’il compte poursuivre la visite des prisons du Liban, qui sera suivie d’un état des lieux général. Les détenus qui n’ont pas d’avocat en auront immédiatement un et lorsqu’ils sont encore en prison pour de petites amendes, la solidarité des avocats pourrait les aider et faciliter leur remise en liberté. Il en sera de même pour ceux qui sont encore en prison parce qu’il leur manque une petite formalité... Le bâtonnier estime que chaque détenu a le droit d’avoir un procès équitable. C’est plus important que la loi d’amnistie. Il y a d’ailleurs une salle de tribunal à la prison de Roumieh qui n’a jamais été occupée. Il faut l’utiliser pour accélérer les procès...


(Lire aussi: Naufrageurs dans la tempête, l'éditorial de Issa GORAIEB)


Melhem Khalaf espère donc accumuler les petites démarches, pour parvenir à « percer les horizons » et créer ainsi l’espace nécessaire pour que la justice soit rendue. Il entreprend d’ailleurs dans ce but des contacts avec le Conseil supérieur de la magistrature et précise qu’il est écouté. Ce qui est rassurant et permet d’augurer d’un fonctionnement plus sain de la justice. Il ajoute : « C’est très important, car gouverner, c’est rendre justice et sans la justice, les patries tombent. »

Les efforts du bâtonnier ne s’arrêtent pas toutefois à la justice. À partir de là, il souhaite relancer les institutions publiques. Faisant partie, comme il le dit, de la génération de la guerre, il a trop souffert du « non-droit » et du « non-État ». C’est pourquoi il s’accroche aujourd’hui au droit et aux institutions.

Dans ce contexte, il confie avoir une vision précise et globale des institutions en général. Selon lui, la démocratie repose sur trois principes : la séparation des pouvoirs, l’alternance du pouvoir et le contrôle des pouvoirs. Or les trois sont bafoués. Par exemple, depuis l’accord de Doha (2008), il a été convenu de former le gouvernement à l’image d’un mini-Parlement. Ce qui est contraire à la séparation des pouvoirs et à leur contrôle. Une des conséquences, c’est une mainmise sur le pouvoir judiciaire. De même, les parties au pouvoir se sont entourées d’un nombre d’entrepreneurs dont ils sont devenus les commissionnaires. Tout le système fonctionne désormais sur cette base. Mais plus grave encore que tout cela, c’est le droit de veto accordé à toutes les parties. Au point que le système de gouvernement repose désormais sur la logique du blocage.

« Il faut en finir avec cette logique qui ligote le pouvoir », assure Melhem Khalaf, et mettre du positif là où il n’y a pour l’instant que du négatif.

« Nous sommes dans une crise institutionnelle, économique, sociale et financière. Mais en sortir n’est pas impossible et le barreau a un rôle important pour reprendre le fanion de l’espérance. Il faut simplement penser différemment et agir différemment, tout en restant loin de toute exclusion, et en privilégiant le dialogue, puisque c’est là le fondement même du Liban. »

On le voit comme une figure de la révolution et Melhem Khalaf se contente de répondre avec cette humilité qui le caractérise : « Je me considère comme un cri d’espoir. Je vois loin, mais j’agis à petits pas, avec raison et mesure. »


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Le bureau du bâtonnier au Palais de justice et le petit salon avoisinant ne désemplissent pas. Depuis son élection le 17 novembre à la tête du barreau de Beyrouth, Melhem Khalaf a déclaré le mardi « Journée portes ouvertes » et les avocats, jeunes ou mûrs, stagiaires ou chevronnés, défilent à un rythme qui affolerait n’importe qui ! Sauf lui, qui enchaîne depuis...

commentaires (5)

Bravo continuez comme ça

Eleni Caridopoulou

21 h 17, le 11 décembre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • Bravo continuez comme ça

    Eleni Caridopoulou

    21 h 17, le 11 décembre 2019

  • Une lueure au bout du tunnel. Espérons qu'elle devienne une flemme pour éclairer ce pays. Car la justice est le flambeau d'une nation et le socle d'un pays civilisé. BON COURAGE MONSIEUR

    Sissi zayyat

    12 h 28, le 11 décembre 2019

  • Il faut espérer que le milieu dans lequel vous évoluez ne vous mette pas les bâtons dans les roues. Sinon bon courage dans cette rude mission.

    Citoyen

    12 h 17, le 11 décembre 2019

  • VOUS SEREZ JUGE SUR LES ACTES. POUR LE MOMENT LES PAROLES SONT ENCOURAGEANTES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 21, le 11 décembre 2019

  • C'EST TRÈS ENCOURAGENT, L'ESPOIR FAIT VIVRE. IL NOUS FAIT RÊVER MAÎTRE KHALAF. EN AVANT DONC.

    Gebran Eid

    00 h 54, le 11 décembre 2019

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