Samir Khatib annonçant son retrait de la course pour la présidence du Conseil, dimanche, depuis Dar el-Fatwa. Mohammad Azakir/Reuters
La mise en scène orchestrée dimanche soir, à partir du perron de Dar el-Fatwa, au cours de laquelle le mufti de la République, Abdellatif Deriane, s’est prononcé en faveur de Saad Hariri pour former le prochain gouvernement, a suscité une levée de boucliers hier dans plusieurs milieux politiques.
On reproche à Dar el-Fatwa, ce faisant, d’avoir instrumentalisé l’opportunité de l’annonce du retrait de la course de Samir Khatib, l’homme d’affaires pressenti pour former le prochain gouvernement, pour avaliser la candidature de M. Hariri, en arguant d’une entente « musulmane » à ce propos, outrepassant ainsi les dispositions constitutionnelles en occultant le rôle du Parlement pour la désignation d’un Premier ministre. À l’issue d’une réunion avec le mufti de la République, M. Khatib avait créé la surprise dimanche en se rétractant, avant de déclarer avoir « été informé par le mufti que ses concertations avec les membres de la communauté musulmane ont abouti à un consensus pour la désignation de Saad Hariri ». M. Khatib s’était ensuite rendu à la Maison du Centre pour informer M. Hariri de la position du mufti et officialiser son retrait.
La rencontre consultative, qui regroupe les députés sunnites proches du camp du 8 Mars, a aussitôt réagi en dénonçant, dans un communiqué, une « confiscation de la vie politique par des responsables religieux, qui met fin au rôle des institutions constitutionnelles, à leur tête celui de la Chambre des représentants ». Pour les membres de la rencontre, cette attitude porte également atteinte à la fonction spirituelle des instances religieuses, dont la mission est d’« œuvrer à l’unification et non en vue de la discorde ».
C’est dans le même sens que le ministre d’État sortant pour le Commerce extérieur, Hassan Mrad, issu de la même formation, a déploré le fait que Dar el-Fatwa puisse montrer un tel parti pris en faveur de M. Hariri. « Il est regrettable de constater que le siège du mufti de la République, Dar el-Fatwa, qui est censé être une référence pour tous les Libanais, devienne la référence sectaire d’une seule et unique maison libanaise, la Maison du Centre », a tweeté M. Mrad.
La prise de position affichée par Dar el-Fatwa aurait également embarrassé au plus haut point les anciens chefs de gouvernement, Fouad Siniora, Tammam Salam et Nagib Mikati, qui, depuis la démission de M. Hariri, le 29 octobre dernier, ont enchaîné les réunions et les communiqués pour exhorter les protagonistes à respecter Taëf et les procédures en matière de formation du gouvernement. Les anciens responsables avaient notamment dénoncé le contournement des institutions et les manœuvres auxquelles s’était livré le chef de l’État, Michel Aoun, accusé d’outrepasser les prérogatives du Premier ministre en voulant former le gouvernement avant même la désignation de son chef.
(Lire aussi : Tractations gouvernementales : retour à la case départ, le décryptage de Scarlett HADDAD)
« Une erreur monumentale »
Selon une source politique informée, ce qui s’est passé à Dar el-Fatwa est une atteinte claire à Taëf et à l’objectif des consultations parlementaires contraignantes en vue de la désignation d’un Premier ministre. « Dar el-Fatwa a commis une erreur monumentale en se livrant à un double jeu : d’un côté, l’instance religieuse s’est évertuée à défendre les prérogatives du Premier ministre en matière de formation du gouvernement, hypothéquées par Baabda. Mais, d’un autre, le mufti fait dire à Samir Khatib que la rue sunnite est parvenue à un consensus sur la désignation de M. Hariri, violant par là même à son tour les dispositions de la Constitution », souligne la source.
On apprenait hier que les anciens chefs de gouvernement envisagent de publier, dans les prochains jours, un communiqué pour « rectifier le tir », en prenant soin toutefois de ne pas incommoder outre mesure l’instance religieuse, ni M. Hariri, indirectement pointé du doigt comme celui qui aurait inspiré cette mise en scène.
Contacté par L’OLJ, M. Siniora a tenté de minimiser la portée de la prise de position du mufti, en précisant que la déclaration faite par M. Khatib en son nom « ne fait que refléter l’avis de Dar el-Fatwa qui a le droit, à l’instar de n’importe quel autre citoyen libanais, d’exprimer son opinion à l’égard d’un candidat ».
« Cooptation »
Les critiques qui ont ciblé Dar el-Fatwa ont été également formulées dans les milieux chrétiens et chiites, qui ont stigmatisé « une emprise du pouvoir religieux sur les institutions ».
Un responsable chrétien indépendant qui a requis l’anonymat a estimé que le soutien du mufti à la candidature de Saad Hariri risque de constituer un précédent dangereux. « Cela signifie qu’à partir d’aujourd’hui, chaque instance religieuse au Liban peut à son tour prétendre au droit de coopter ses responsables politiques », a-t-il ironisé.
C’est une position voisine qu’a soutenue un député chiite ayant, lui aussi, requis l’anonymat. « Je constate avec regret que les communautés sont devenues plus fortes que l’État, et se placent désormais au-dessus de la Constitution », a-t-il dit, dans une allusion aussi bien à l’attitude de Baabda qu’à celle de Dar el-Fatwa.
« Malheureusement, la Constitution et la loi sont devenues un simple point de vue parmi d’autres. Ce sont parfois les mêmes qui changent d’interprétation, dès lors que leurs intérêts sont en jeu », déplore le député. Dans un communiqué, la « Rencontre des partis et forces nationaux » qui regroupe le Hezbollah, Amal, les Marada, le Parti social national syrien, le Parti démocratique libanais de Talal Arslane et le Courant patriotique libre, a dénoncé à son tour d’une même voix « l’instrumentalisation des communautés dans les échéances constitutionnelles », estimant qu’une telle manœuvre « est à même de saper les règles constitutionnelles ».
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C'est bizarre, je ne vois personne ici placer dans la même phrase les mots corruption et Hariri… Hello les Révolutionnaires (en carton)??? Y a qqun???
11 h 37, le 11 décembre 2019