Nous avons comme une impression que le mouvement de rue se dégonfle depuis quelque temps. Quelle est votre lecture de la situation ?
Le mouvement de rue en est à son cinquante-quatrième jour. Il est normal que les manifestants soient fatigués, d’autant que le temps ne joue pas en leur faveur. D’une part, ils doivent assumer leurs responsabilités familiales et professionnelles, n’ayant pas d’autre forme de financement. D’autre part, ils subissent de plein fouet la crise économique et financière et ne parviennent plus à faire face à toutes leurs obligations. D’où cette déprime qui vient remplacer aujourd’hui l’euphorie et l’optimisme des premiers jours. L’espoir a cédé la place à la colère. Car les contestataires veulent changer les choses et améliorer le mode de gouvernance de l’État. Mais la classe au pouvoir demeure sourde à leurs revendications, poussant les manifestants à bout. Cette colère commence déjà à se manifester au sein d’actions collectives. Nous avons observé ces derniers jours des saccages de distributeurs de billets de banque. Vendredi, des militants ont répandu de la peinture rouge sur les façades de quelques agences bancaires, avec la mention « Rendez-nous notre argent ». La colère gronde et son niveau d’intensité monte progressivement. Elle risque à présent de prendre la forme de violences sociales, d’émeutes, d’opérations de casse, de paralysie d’institutions publiques ou encore de désobéissance civile.
La contestation populaire a enregistré trois victoires majeures : la démission du Premier ministre Saad Hariri, le report de la séance parlementaire et l’élection du bâtonnier Melhem Khalaf. Est-elle capable de remporter davantage de victoires ?
Le problème actuel est que le pouvoir demeure sourd aux revendications de la rue. Il lui affiche une indifférence irresponsable et continue d’envisager la formation du gouvernement comme il l’a toujours fait, en utilisant le traditionnel processus de partage des parts. C’est extrêmement grave. C’est la preuve que le pouvoir est loin de la réalité populaire. Parallèlement, un retour à une vie normale et d’avant le 17 octobre, date du déclenchement des mouvements de rue, n’est pas envisageable. La contestation entend bien veiller à maintenir la pression sur le pouvoir dans ce sens. Soucieuse de rester pacifique, elle refuse de fermer les routes et se contente pour l’instant d’envoyer des messages aux autorités menaçant de le faire à tout moment. Elle poursuit entre-temps sa mobilisation sur les places où elle organise des espaces de discussion. Chose qui rassure le pouvoir qui mise sur la lassitude des manifestants. D’où la nécessité pour la contestation de se renouveler, de développer de nouveaux modes de protestation.
Comment définissez-vous ce mouvement ? Est-il une révolte, une révolution ou autre ? Dans quel sens le voyez-vous évoluer ?
Il ne s’agit plus d’une simple révolte, mais pas encore d’une révolution parce qu’il n’y a pas eu de prise de pouvoir. Je dirais en revanche qu’il s’agit d’une « réfolution » (réforme + révolution), autrement dit d’une révolution dans un objectif de réformes, à la manière de ce qui s’est passé en Europe de l’Est dans les années 90 et qui reste dans le cadre des institutions.
Il faut réaliser que cette « réfolution » n’est pas constituée d’un seul corps. Nous avons répertorié environ 33 groupes principaux qui se sont mis d’accord sur les grandes lignes de leur mouvement et sur leurs revendications majeures : la formation d’un gouvernement constitué de figures propres et non corrompues qui ait la capacité de sauver le pays de la crise économico-financière qu’il traverse, la reconstruction du pouvoir et l’indépendance de la justice dans le cadre d’institutions au service du citoyen.
Par ailleurs, la population libanaise est désormais consciente de ses droits. Il est impossible qu’elle accepte un gouvernement qui ne réponde pas à ses attentes. Sans compter que la crise économique l’empêche de faire marche arrière, et l’encourage même à réclamer des comptes à la classe politique. Ce lundi se déroulera visiblement la prochaine grosse bataille entre la rue et le pouvoir. Nous verrons bien comment les choses se dérouleront. Une chose est sûre : le pouvoir ne peut indéfiniment ignorer les revendications populaires.
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13 h 25, le 09 décembre 2019