« Tous, sans exception, et Hariri est l’un d’eux. » C’est ce que scandait la petite foule rassemblée dès 17h hier devant l’une des artères menant à la place de l’Étoile, alors que Samir Khatib venait d’annoncer qu’il se récusait au profit du Premier ministre sortant Saad Hariri.
Sous une pluie battante, ils étaient quelques centaines à manifester dans le centre-ville de Beyrouth non loin du Parlement, sans pour autant forcer le cordon de sécurité dressé par la brigade antiémeute bloquant leur accès à la place de l’Étoile.
« Je pense qu’ils n’ont rien compris. Si nous sommes dans la rue depuis 53 jours, ce n’est pas pour que Saad Hariri soit reconduit », lance Mary, venue manifester avec une ressortissante belge, qui avait vécu durant les années quatre-vingt-dix au Liban.
Odile, la quarantaine élégante, manifestant avec ses deux amies, renchérit : « Peut-être que nous pourrions accepter Saad Hariri, mais nous refuserons qu’il revienne avec l’ancienne équipe gouvernementale, à commencer par Gebran Bassil (le ministre sortant des Affaires étrangères) ou encore les ministres du Hezbollah et du mouvement Amal. » De nombreux autres manifestants sont de cet avis. « Si Hariri revient, il faut qu’il préside un gouvernement de spécialistes qui entameront des réformes en gérant la crise et en préparant de nouvelles élections », explique Camille, un homme d’une trentaine d’années.
« Nous ne quitterons pas la rue. S’ils croient que nous perdrons notre entrain et notre patience, ils se trompent. Leur place est en prison, pas au gouvernement », martèle de son côté Hadi, un jeune barbu qui rêve d’un gouvernement constitué de technocrates.
Comme de nombreux manifestants, il menace de bloquer à nouveau les rues, « jusqu’à ce que les personnes au pouvoir comprennent ». D’autres promettent aussi de manifester dans les jours qui viennent devant la Maison du Centre, résidence de Saad Hariri.
« Ce sont des incompétents. Cela fait 53 jours et ils n’ont pas encore trouvé une solution à la crise. Nous ne quitterons pas la rue. Tous les jours nous manifesterons », dit de son côté Hiba qui veut un gouvernement où il n’y a que du sang neuf.
(Lire aussi : Le retrait de Khatib propulse à nouveau Hariri sur le devant de la scène)
Venue du Nigeria pour manifester
Hier, les manifestants ont repris pour la première fois depuis longtemps leur slogan culte « Hela, hela ho » insultant Gebran Bassil, et appelé à pleins poumons le chef de l’État Michel Aoun à partir : « Dégage, tu n’es pas le père de tous. »
Malgré les jours qui passent et la crise économique qui s’installe, ils n’ont pas perdu espoir.
« Je suis venue du Nigeria pour prendre part à la révolution », affirme Marwa, enceinte de quatre mois, en donnant à manger à son fils Jad, âgé d’un an et demi. Rentrée samedi à Beyrouth, elle s’est tout de suite jointe aux manifestants et compte descendre dans la rue tous les jours. « Depuis le 17 octobre, je suis devenue accro à la télé et aux médias sociaux. Je suis rentrée car je veux vivre ces moments ici à Beyrouth et je veux que mon fils se souvienne que nous avons réussi à changer les choses, même si cela prendra vingt ans. Je veux un pays laïc, où je ne serais pas obligée de partir en Grèce ou à Chypre pour me marier civilement. D’ailleurs c’est ce que j’ai fait car j’ai épousé un Libanais d’une religion différente de la mienne… Encore heureux que mon mari soit libanais. S’il était étranger, je n’aurais jamais pu donner la nationalité à mon fils », dit-elle. « Je veux un pays plus égalitaire, où il y aura une justice sociale et où il n’y aura plus de place pour la corruption. » Sur le parking des lazaristes, la tente baptisée « La cuisine du centre-ville » a servi son repas chaud quotidien à plusieurs dizaines de personnes et des débats se sont tenus sous de nombreuses tentes, où l’on se prépare pour les temps difficiles qui s’annoncent. Devant celle relevant de l’Observatoire libanais du droit au travail, Ahmad épingle à même la toile une annonce informant toute personne qui vient d’être licenciée des services gratuits d’un avocat et d’une ligne verte où un interlocuteur est disponible 24 heures sur 24.
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Encore une manifestante partisane ! A vomir devant tant de mauvaise foi.!
11 h 02, le 10 décembre 2019