Alors que les regards étaient rivés vers Baabda, où devaient se tenir aujourd’hui les consultations parlementaires contraignantes pour désigner un Premier ministre, en l’occurrence l’homme d’affaires Samir Khatib donné favori au cours des derniers jours, ce fut le coup de théâtre hier : M. Khatib s’est rétracté et a annoncé à partir de la plus haute instance religieuse sunnite du pays qu’à la faveur d’une entente « musulmane » pour désigner le Premier ministre sortant Saad Hariri, il avait décidé de se récuser. De longues heures plus tard, la présidence de la République tranchait, annonçant le report des consultations au 16 décembre, « à la demande de la plupart des grands groupes parlementaires ». Baabda a expliqué avoir pris cette décision « pour permettre un surcroît de concertations ».
M. Khatib a annoncé son retrait hier à l’issue d’un entretien avec le mufti de la République, Abdellatif Deriane. « J’ai été informé par le mufti qu’à l’issue de ses concertations avec les membres de la communauté musulmane, il est parvenu à un consensus pour la désignation de Saad Hariri pour former le prochain gouvernement », a déclaré M. Khatib qui s’est ensuite immédiatement rendu à la Maison du Centre pour informer M. Hariri de la position du mufti et officialiser son retrait.
Selon une source proche de Dar el-Fatwa, l’instance religieuse, qui a évité au cours des dernières semaines de prendre position, a été soumise à de nombreuses pressions de la part de dignitaires sunnites qui ont exhorté le mufti à trancher.
On le savait déjà : les chances du vice-président du groupe Khatib & Alami de recueillir une majorité de voix à l’issue des consultations contraignantes étaient minimes. Sa candidature, qui n’avait jamais été publiquement avalisée par M. Hariri, avait été refusée dès le départ par la rue sunnite mais aussi par le mouvement de contestation, ainsi que par un certain nombre de députés qui avaient d’ores et déjà annoncé qu’ils ne le nommeraient pas.
Depuis une semaine, tous les indices en direction d’un retour du chef du courant du Futur pour présider le futur cabinet étaient réunis. Le président du Parlement, Nabih Berry, l’avait déjà prédit il y a plus de deux semaines lorsqu’il avait évoqué un retour du chef du gouvernement sortant « sur un cheval blanc ». Samedi, l’ancien ministre druze Wi’am Wahhab avait affirmé que M. Khatib « devait compter sur un miracle » pour se voir désigné. Le même jour, la fédération des familles beyrouthines regroupant une majorité de membres proches du courant du Futur avait donné le ton en appelant les députés, et plus particulièrement les députés de Beyrouth, à boycotter les consultations, dénonçant l’hérésie de la cooptation en amont de la candidature de M. Khatib, en violation de la procédure.
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Hariri incontournable
De l’avis de nombreux protagonistes politiques, avec à leur tête le tandem chiite qui continuait de soutenir la candidature de M. Hariri ou d’une personnalité cooptée par lui, le Premier ministre sortant reste la seule personnalité habilitée à sortir le pays de la crise, du fait notamment de la confiance dont il jouit auprès des donateurs de fonds, dont le Liban a grandement besoin pour surmonter sa crise économique et financière.
Un avis qu’a réitéré hier le député Chamel Roukoz, indépendant depuis qu’il s’est retiré du bloc aouniste du Liban fort et qui a affirmé à L’Orient-Le Jour que lors des consultations il ferait savoir au chef de l’État que M. Hariri « est le candidat du fait accompli, même s’il préfère un profil comme celui de Raëd Ghayad (un consultant économique international) susceptible d’apporter une valeur ajoutée à la gestion de l’exécutif ».
Premier à réagir à l’annonce du retrait de M. Khatib, le chef des Kataëb Samy Gemayel a fait savoir que son groupe (trois députés) nommera Nawaf Salam, ancien ambassadeur du Liban aux Nations unies et actuellement juge à la Cour internationale de justice. « C’est ce profil qu’il nous faut », a-t-il précisé rappelant au passage que les Kataëb avaient hésité à se rendre à Baabda pour se prononcer sur les consultations, mais qu’après avoir constaté que le « plan (fomenté par la présidence et le Courant patriotique libre pour la formation du gouvernement) a lamentablement échoué », le bloc a décidé d’y aller pour nommer M. Salam.
M. Gemayel ne faisait que relayer la salve de critiques qui ont visé ces dernières semaines le chef de l’État Michel Aoun, accusé d’avoir tergiversé à l’infini avant de fixer la date des consultations, non sans avoir tenté de concocter la mouture du gouvernement avant même la désignation du Premier ministre, contrevenant ainsi à la Constitution.
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Le groupe parlementaire du Parti socialiste progressiste, qui a tenu une réunion exceptionnelle hier soir, a annoncé pour sa part qu’il comptait boycotter les consultations. Dans un tweet, le chef du groupe parlementaire de la Rencontre démocratique, Taymour Joumblatt, a justifié la position de son bloc en recourant à l’argument du non-respect des procédures en matière de formation du gouvernement. « Après la violation de la Constitution et les violations des principes fondamentaux en vigueur par le biais de concertations honteuses effectuées en coulisses (…) qui bafouent les institutions et leur rôle, le groupe de la Rencontre démocratique a choisi de s’abstenir », a-t-il affirmé.
Quant aux Forces libanaises, qui avaient explicitement déclaré il y a une semaine qu’elles s’abstiendraient de voter pour quelque candidat que ce soit, elles pourraient revenir sur leur position après le retrait de M. Khatib. Selon un responsable FL, « aucune décision n’a encore été prise pour l’instant » concernant la désignation de M. Hariri.
Maintenant que ce dernier semble de retour sur scène, le plus dur reste à faire. Si sa désignation est confirmée à l’issue des consultations, il reste à voir de quelle manière il compte surmonter les obstacles qui avaient entravé dès le départ sa reconduction, notamment son attachement indéfectible à un gouvernement d’indépendants, épuré de toute figure politique, et son refus d’un cabinet techno-politique comme le souhaitent le CPL et le tandem chiite.
Le chef du CPL, Gebran Bassil, qui avait exigé pour ne pas faire partie du prochain cabinet que M. Hariri se désiste également, pourrait être tenté à nouveau de renégocier sa position, selon certains analystes. « Si cela devait se produire, le mouvement de révolte atteindra Chypre », ironise un député indépendant. Gebran Bassil est, depuis le 17 octobre, une des personnalités qui s'attire le plus de quolibets dans les rangs des manifestants. Ces derniers réclament le départ de toute la classe politique et la formation d'un gouvernement d'experts indépendants.
M. Hariri aura également la dure tâche d’écarter d’autres figures considérées notamment par le mouvement de contestation comme « provocatrices » – Ali Hassan Khalil, Youssef Fenianos, Waël Bou Faour – s’il est contraint de former un gouvernement techno-politique comme cela devait être le cas avec Samir Khatib. Rien n’est encore joué. D’autant que les manœuvres en cuisine interne auxquelles s’est livré Baabda depuis plusieurs semaines pourraient reprendre dès aujourd’hui.
On a du mal à comprendre que (i) les dirigeants religieux, en l'occurrence le Mufti de la République dans ce cas précis, soit habilité à s'immiscer en politique et (ii) de considérer le poste de Chef du Gouvernement comme représentant uniquement la Communauté Sunnite. C'est insensé, le Chef du Gouvernement est le Premier Ministre du LIBAN, pas celui des Sunnites ! Tout comme le Président de la Chambre des Députés qui ne doit pas représenter la Communauté Chiite seule. Quand au Président de la République, lui aussi doit être le Président de TOUS les Libanais et par conséquent son élection ne doit pas être imposée ou même encouragée par la Communauté Maronite, ou toute autre communauté religieuse. Ni le Mufti (Sunnite), ni le Président du Conseil Supérieur Chiite, ni le Cardinal al-Rahi (Maronite), ne doivent se mêler d'affaires politiques, mais doivent s'en tenir à leurs fonctions d'ordre purement ecclésiastique et religieux. LA SEPARATION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT DOIT S'IMPOSER ET RENTRER DANS LA CONSTITUTION. Ce principe démocratique et républicain a toujours été l'apanage de toutes les démocraties modernes.
21 h 20, le 09 décembre 2019