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Liban - Reportage

À Beyrouth et ailleurs, le Liban de demain se pense et se rêve sous des tentes

Avec la révolution, les espaces publics se sont transformés en lieux de débat, attirant des centaines de personnes chaque jour.


Un débat dimanche soir au centre-ville de Beyrouth. Photo Suzanne Baaklini

Depuis que les tentes abritant les débats quotidiens ont fleuri sur le parking des Lazaristes, dans le centre-ville de Beyrouth, Gebran Koteiche, un fonctionnaire de la Caisse nationale de Sécurité sociale, est là tous les soirs. Il assiste aux discussions, écoute attentivement, prend la parole… « Cela fait 40 ans que je regarde la télévision, je vois les mêmes leaders politiques et maintenant leurs enfants, qui disent des paroles creuses. Et là j’ai découvert que de nombreux Libanais peuvent facilement les remplacer », dit-il. « J’aime aussi cette ambiance d’ouverture à l’autre. De là où je viens, on nous a appris à avoir peur de l’autre et à craindre d’exprimer son opinion, même devant son propre frère », ajoute-t-il.

Depuis le début de la révolution, à travers le Liban, les espaces publics se sont transformés en espaces de discussions. Dans ces lieux qui rassemblent des Libanais de tous les horizons, tout le monde peut prendre la parole. L’espace d’une heure, des personnes de tous bords, jeunes, moins jeunes, experts, étudiants, membres de la société civile, simples citoyens viennent échanger des idées, poser des questions, faire part de leur opinion. Parfois aussi, des retraités qui étaient hauts fonctionnaires de l’administration ou des vétérans des forces de sécurité et de l’armée prennent la parole, faisant part de leur expérience et de leurs rêves inaboutis pour le Liban.

Tout est sujet à débat : la corruption, la politique monétaire, l’activité du Parlement, les syndicats, le dossier de l’électricité, la restitution de l’argent volé, la privatisation, les droits des femmes, le confessionnalisme…

Les tentes de dialogue installées sur le parking des Lazaristes attirent des centaines de personnes chaque soir. Lamia Karkour, qui travaille dans le domaine du développement, vient, elle aussi, régulièrement assister aux débats. « Notre éducation ne nous donne pas le bagage nécessaire pour comprendre nos droits, les rouages des institutions ou encore la citoyenneté. Je viens ici pour écouter et apprendre. Cela m’ouvre les yeux sur beaucoup de choses », explique-t-elle.

Quant à Élian Sarkis, un médecin qui vit à Paris depuis 23 ans, il est venu directement de l’aéroport au centre-ville de Beyrouth pour assister à un débat. « Généralement, je rentre à Baalbeck (dont il est originaire) et je reste avec ma famille. Cela fait longtemps que je n’ai pas côtoyé des Libanais de tous bords. Et là, c’est une découverte. J’ai été très surpris par ces débats, leur qualité, le niveau de la discussion, le calme des participants et leur capacité à écouter. Nous avons beaucoup évolué et je suis plein d’espoir. Nous construirons un nouveau Liban loin de la corruption et des injustices sociales », dit-il.



(Lire aussi : La révolution de la dignité, l'édito d’Émilie SUEUR)



Dans tout le Liban
Des débats ont également lieu au square Samir Kassir, devant la Banque du Liban à Hamra, ou encore devant le siège d’Électricité du Liban à Mar Mikhaël. Ces espaces de débat ne sont pas propres à Beyrouth. À Tripoli, des rencontres sont organisées tous les soirs à la place al-Nour et de nombreux sujets ont été jusqu’à présent débattus. Souvent des personnes venues de Beyrouth prennent part aux discussions. Sur la place a, en outre, été dressée, une tente faisant office de bibliothèque.

« Ces espaces existent désormais dans de nombreuses villes et régions du Liban, de Zahlé à Nabatiyé, en passant par Tripoli et le Akkar. Cela prouve que même si cette révolution n’a pas un seul leader, il existe une coordination entre divers collectifs qui jouent le rôle de leader », souligne Ziad Abdel Samad, expert en politiques de développement et qui aime se présenter comme activiste et professeur d’université. « Nous organisons des débats sur tous les thèmes, les syndicats, l’Université libanaise, l’abolition du confessionnalisme… Les gens viennent de partout. Il y a des universitaires, des étudiants, des femmes au foyer, des personnes âgées. L’audience est très diverse », note encore Ziad Abdel Samad, qui fait partie du collectif The Hub.

Concernant l’abolition du confessionnalisme, il souligne : « Nous n’appelons pas à l’abolition du confessionnalisme politique, qui a certes besoin de garde-fous pour être adoptée sans léser les diverses communautés du pays, mais à l’abolition du confessionnalisme tout court tel que prévu dans l’article 95 des accords de Taëf. Cela va par exemple avec l’adoption d’une loi civile et non religieuse sur le statut civil. C’est aussi la séparation claire et nette de la religion et de l’État. »

Adib Nehmé, expert en développement socio-économique et qui aime également se présenter comme activiste, est originaire du Akkar. Il fait aussi partie du Hub. « Ces espaces de débat sortent les gens de l’ombre. Ceux qui prennent la parole ne sont pas les spécialistes que nous sommes habitués à voir. Ce sont des chercheurs, des universitaires, des personnes qui s’intéressent à un thème donné. Ces débats sont en train de mettre la lumière sur le talent de nombreux Libanais qui étaient dans l’ombre. Ils rapprochent aussi les Libanais, leur permettent de débattre calmement des idées qui leur tiennent à cœur, de se former une opinion basée sur des données. » Pour lui, les choses changeront inévitablement, même avant des élections parlementaires. « L’effervescence de la rue touchera inévitablement les ordres et les syndicats », explique-t-il, soulignant qu’une première preuve en a été donnée avec l’élection au titre de bâtonnier du barreau de Beyrouth, il y a quelques jours, de Melhem Khalaf, un indépendant. Le « hub de l’influence civique » dont font parti Ziad Abdel Samad et Adib Nehmé s’est organisé en trois groupes qui se remuent les méninges pour présenter des solutions aux problèmes actuels et sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le Liban, notamment en trouvant des solutions rapides à la crise économique, en établissant un système de sécurité sociale et en planchant sur l’indépendance du système judiciaire.

Les deux hommes sont confiants dans des changements à venir. « Nous ne demandons pas la lune. Nous voulons en premier lieu un gouvernement de salut public formé d’experts qui sorte le pays de la crise et l’amendement ensuite de la loi électorale afin que le scrutin soit représentatif », explique Adib Nehmé. « Les choses ont bel et bien changé, la population demande désormais des comptes, s’éloigne du confessionnalisme, renchérit Ziad Abdel Samad. Le Liban aujourd’hui est bien différent de celui d’avant le 17 octobre 2019. »



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Depuis que les tentes abritant les débats quotidiens ont fleuri sur le parking des Lazaristes, dans le centre-ville de Beyrouth, Gebran Koteiche, un fonctionnaire de la Caisse nationale de Sécurité sociale, est là tous les soirs. Il assiste aux discussions, écoute attentivement, prend la parole… « Cela fait 40 ans que je regarde la télévision, je vois les mêmes leaders politiques...

commentaires (6)

Je dirai que le liban pANse ses rêves, qui partent en lambeaux . Des " révolutionnaires " ça ? ??? Hahaha...

FRIK-A-FRAK

16 h 23, le 02 décembre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • Je dirai que le liban pANse ses rêves, qui partent en lambeaux . Des " révolutionnaires " ça ? ??? Hahaha...

    FRIK-A-FRAK

    16 h 23, le 02 décembre 2019

  • Les changements ne sont jamais miraculeux et sans douleur mais comme cela fait plaisir de voir ce qui se passe, enfin ! Le pays va devoir payer 45 ans de négligences et d'insouciance. FMI et sa soupe ? Il est évident par ailleurs qu'il faudra dans un premier temps une nouvelle constitution, pas un nouveau gouvernement, où le confessionalisme sera aboli et où la possession d'armes pour les civils sera interdite.

    TrucMuche

    14 h 41, le 02 décembre 2019

  • Ce serait un grand dommage, une erreur majeure et une autre très mauvaise note que l'histoire gardera pour cette classe de soi-disant politiciens d'ignorer ce phénomène constructif du peuple Libanais!!!

    Wlek Sanferlou

    14 h 10, le 02 décembre 2019

  • SE CONCENTRER SUR LE COMMENT RÉVEILLER ET DÉLOGER LE PREMIER IRRESPONSABLE CELUI QUI DORT PROFONDÉMENT À BAABDA. HABITUÉ À BLOQUER LE PAYS POUR SES INTERETS PERSONNEL DEPUIS TOUJOURS. LE TERRAIN SERA LIBRE ET LES CHOSES SE PLACENT LENTEMENT MAIS SÛREMENT. TANT QU'IL EST LÀ, IL FAUT RIEN ESPÉRER DE BON POUR LE PAYS.

    Gebran Eid

    13 h 46, le 02 décembre 2019

  • Effectivement 2 objectifs prioritaires: le gouvernement d'indépendants et les prochaines élections. Je pense qu'il est important qu'il n'y ait pas d'élections anticipées avant la venue d'un gouvernement indépendant. Si en effet les élections ont lieu alors que le gouvernement démissionnaire expédie toujours les affaires courantes, la présence des partis au pouvoir aux portefeuilles de service leur permettra de faire tourner la machine d'achat de voix comme avant, et le nouveau parlement risque de ressembler à celui-ci. Il faut d'abord casser les machines à corruption et ensuite procéder aux élections avec pourquoi pas une loi proportionnelle intégrale. C'était certes une vieille revendication du binôme Hezbollah-Amal, mais avec un gouvernement d'indépendants une proportionnelle intégrale servira l'intérêt des citoyens et non des partis les plus forts. Les discussions devraient donc porter sur les moyens concrets à mettre en oeuvre pour imposer un gouvernement d'indépendants!

    Citoyen libanais

    09 h 48, le 02 décembre 2019

  • SE PENSE ET SE REVE. SE MATERIALISER EST TOUTE UNE AUTRE HISTOIRE SEMEE D,EMBUCHES TOUT AU LONG DU CHEMIN. NAIF QUI CROIT A UN CHANGEMENT MIRACULEUX.

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 39, le 02 décembre 2019

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