Samir Geagea. Photo ANI
Le chef des Forces libanaises Samir Geagea a été le premier à réagir au soulèvement populaire qui a débuté le 17 octobre dernier. Samedi 19 octobre, soit deux jours après le début des manifestations, il annonçait la démission des quatre ministres FL du gouvernement de Saad Hariri.
Le leader des FL n’a donc pas attendu M. Hariri pour jeter l’éponge, marquant un but dans les filets tant de ses adversaires que de ses alliés, notamment le Futur, le Courant patriotique libre et le Parti socialiste progressiste.
Mais depuis, il semble avoir opté pour ce que certains observateurs politiques considèrent comme « un silence calculé », réduisant ses apparitions médiatiques et axant ses déclarations sur les demandes des manifestants, et non sur les dossiers qualifiés de souverainistes, sur lesquels les FL se posaient pourtant en fer de lance. Les milieux de Meerab, eux, ne voient pas les choses sous cet angle. Un responsable au sein du parti souligne à L’Orient-Le Jour que depuis qu’elles ont claqué la porte du gouvernement, les FL exercent un forcing pour que voie le jour un cabinet de spécialistes indépendants à même de redresser le pays face aux sérieux risques d’effondrement économique et financier. « Ce point a été au centre de toutes les interventions de Samir Geagea depuis le début du mouvement de contestation », souligne ce responsable FL, indiquant que le groupe parlementaire de La République forte maintient ses réunions ouvertes pour suivre les développements au quotidien.
« M. Geagea presse pour la formation d’un cabinet de spécialistes (qui pourrait être dirigé par Saad Hariri) dans les plus brefs délais », poursuit-il, avant de rappeler que le chef des FL avait, depuis la tenue du dialogue économique élargi à Baabda le 2 septembre dernier, plaidé pour la démission du cabinet et la formation d’une équipe de spécialistes.
Selon ce responsable FL, c’est là que réside la priorité absolue de la phase actuelle. « Et nous poursuivrons notre forcing dans ce sens », insiste-t-il, estimant que le mouvement de contestation et son ampleur ont redéfini les priorités et mis la caste politique devant le fait accompli. « Il est donc temps de lui répondre favorablement », dit-il encore.
(Lire aussi : La révolution de la dignité, l'édito d’Émilie SUEUR)
Les questions souverainistes
À la faveur de la même logique, le responsable des Forces libanaises explique que contrairement à la période qui a précédé la manifestation du 14 mars 2005, l’heure actuelle n’est pas aux batailles d’ordre souverainiste mais aux combats axés sur les questions économiques et sociales. « Ce qui nous importe pour le moment, c’est la formation d’un gouvernement d’indépendants. Même le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, n’évoque plus les questions se rapportant au prestige de l’État. Et s’il agit de la sorte, c’est parce que les manifestants ont défini les priorités de la prochaine phase », analyse le proche de Samir Geagea.
En dépit de leur position de principe soutenant les demandes populaires saluées comme « justes », les FL font face à des accusations, lancées principalement par le CPL, selon lesquelles elles contrôleraient en sous-main le mouvement de contestation. À ce sujet, le proche de M. Geagea reconnaît que des partisans des FL « sont sur le terrain », mais absolument pas sur la base d’une décision partisane. « Nous ne répondrons pas à ces accusations classiques par lesquelles le CPL nous attaque pour cibler les manifestants et semer le doute autour de leur mouvement », ajoute-t-il.
Prié de définir les rapports de son parti avec les différents protagonistes, le responsable FL se félicite du fait que Meerab converge avec Moukhtara et la Maison du Centre sur la nécessité, voire l’urgence, de former un gouvernement d’indépendants, qualifiant d’« ordinaires » les relations avec les Kataëb, mais aussi avec le binôme Baabda-CPL. Même si M. Geagea a dépêché il y a quelques jours Melhem Riachi, ancien ministre de l’Information, et Élie Baraghid, son directeur de cabinet, au palais présidentiel pour une rencontre avec le chef de l’État Michel Aoun. Mais sur ce plan, le responsable FL souligne que l’entente de Meerab est finie. La rencontre de Baabda visait à exhorter M. Aoun à accélérer la tenue des consultations parlementaires contraignantes, en vue de désigner le futur Premier ministre et former un gouvernement le plus rapidement possible, selon lui.
(Lire aussi : Le mouvement de protestation et les pièges de la politisation, le décryptage de Scarlett HADDAD)
Faire profil bas
C’est donc un Samir Geagea prudent qui préfère observer la scène politique et la rue en ébullition. C’est ainsi que le politologue Karim Bitar, contacté par L’OLJ, explique l’attitude du chef des FL depuis le début du mouvement contestataire. Mais il précise qu’il s’agit « d’un réflexe de prudence qui s’applique à la plupart des partis au pouvoir ». « Samir Geagea, comme le reste des protagonistes, est conscient du fait que les cartes sont en train d’être rebattues dans une période à haut risque politique. Tout le monde a donc intérêt à faire profil bas et à se réévaluer », analyse M. Bitar. « La démission des ministres FL du gouvernement a limité les dégâts sur leur popularité. D’autant que des partisans de M. Geagea estiment que cette démission a été tardive et que le parti n’a pas tiré profit du compromis présidentiel de 2016 », poursuit-il, avant d’ajouter : « M. Geagea opte pour une prudence compréhensive tout en effectuant des calculs politiques. Il ne s’agit pas d’une opération de séduction envers le mouvement contestataire, mais d’une façon de préserver sa popularité et sa présence sur la scène politique. »
En face, Kamal Richa, analyste politique, estime que « les FL sont dans une position critique : après avoir démissionné pour répondre aux demandes des manifestants, dont leurs propres partisans, elles ne peuvent qu’observer le silence en attendant l’issue de ces développements, dans la mesure où il leur est impossible d’attaquer le mouvement contestataire, mais aussi de le soutenir, à l’heure où le CPL les accuse de le contrôler en sous-main ».
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commentaires (8)
Dans tous les cas les ministres FL ont donné leur démission et les autres que font-ils ?
Eleni Caridopoulou
19 h 55, le 02 décembre 2019