Des partisans du Hezbollah et d’Amal face à des soldats de l’armée libanaise sur le Ring à Beyrouth, le 25 novembre 2019. Mohamed Azakir/Reuters
Depuis le 17 octobre, l’ensemble de la classe politique au pouvoir fait face, sur tout le territoire libanais, à une intifada multiconfessionnelle englobant toutes les classes sociales. La participation massive de la communauté chiite à cette intifada lui a par ailleurs donné une dimension particulière qui met d’autant plus mal à l’aise le Hezbollah et Amal que leurs assises populaires ne sont pas épargnées par la crise socio-économique étouffante. Ces assises risquant de leur glisser entre les doigts, ils réagissent crescendo, mettant en œuvre un éventail de moyens visant à saboter l’intifada. Leurs médias et réseaux sociaux font circuler de fausses rumeurs pour discréditer les protestataires, les accusant d’être des comploteurs, des agents sionistes ou à la solde des ambassades. Des tiers proposent, par ailleurs, des rencontres entre les personnalités de l’intifada et les responsables du pouvoir, faisant miroiter aux premiers des postes ministériels, dans des tentatives, vaines, de diviser les rangs. Et comme pour enfoncer le clou, certaines rumeurs mensongères sont distillées selon lesquelles ces rencontres ont bel et bien eu lieu.
(Lire aussi : Plus le blocage persiste, plus la position du Hezbollah se raidit)
Semer la zizanie
Parallèlement, les menaces à l’encontre des opposants se multiplient sur les réseaux sociaux. Des dizaines d’infiltrés opérant de toute évidence pour le tandem chiite se rendent quotidiennement dans les camps des sit-in au centre-ville de Beyrouth, y espionnent grossièrement les manifestants avant d’envoyer, probablement, des rapports à leurs opérateurs. Ils font circuler de fausses rumeurs pour terroriser les jeunes des sit-in, sèment la zizanie entre les protestataires et s’attaquent aux FSI et à l’armée pour les inciter à réagir et creuser un fossé entre l’intifada et les forces de l’ordre. Onze attaques ont déjà été enregistrées contre les camps du centre-ville de Beyrouth, dont quatre véritables razzias accompagnées de destructions de tentes, atteintes physiques et vols. Il en fut de même à Nabatiyé, Tyr et Baalbeck.
Malgré toutes ces pressions visant à dissuader les manifestants de se mobiliser et à la terroriser, l’intifada n’a pas cédé. Mieux, elle gagne du terrain. Elle a déjà à son actif plusieurs réalisations, dont la démission du gouvernement Hariri, le torpillage de deux séances législatives considérées comme anticonstitutionnelles les 12 et 19 novembre et la tenue d’une parade civile le 22 novembre, quand plus de 7 000 personnes de différents secteurs et régions ont défilé sous les yeux des Libanais profondément émus. Du jamais-vu. Enfin l’intifada s’est transformée en véritable institution paraconstitutionnelle incontournable qui contrôle les actions du pouvoir exécutif et catalyse la traduction en justice de cas de corruption. Face aux succès de l’intifada, le Hezbollah et Amal ont intensifié leurs actes de violence depuis une semaine sur tout le territoire libanais. Ils ont accusé l’intifada d’être derrière la mort de deux citoyens du Liban-Sud, tués dans un accident de voiture sur l’autoroute. Ils ont pris l’armée et les FSI pour cibles, ont entrepris des actes de provocation contre Tarik Jdidé, au niveau du rond-point Cola, à Aïn el-Remmaneh et Achrafieh, dans une tentative flagrante de réveiller les démons confessionnels. Dans ce cadre, ils ont lancé des slogans provocateurs tels que « le peuple veut un 7 mai » (une allusion au 7 mai 2008, quand le Hezbollah a investi Beyrouth par la force des armes), et « chi’a, chi’a, chi’a ».
Face au pacifisme des protestataires, l’intifada prenant soin d’éviter d’être entraînée sur le terrain de la violence du Hezbollah et de ses alliés, ces derniers ont néanmoins dû se calmer.
Transformer le face-à-face
Les attaques provocatrices ne sont pas simplement une réaction, mais visent des objectifs plus stratégiques, le premier étant de terroriser les participants aux sit-in pour réduire leur nombre progressivement, le second étant de faire flamber le confessionnalisme et transformer le face-à-face entre l’intifada transconfessionnelle et le pouvoir oligarchique en conflit confessionnel sunnite-chiite et/ou chrétien-chiite avec une composante de conflit interne interchrétien, comme l’illustre la tentative, cette semaine, du CPL de manifester à Bickfaya.
Si la dérive confessionnelle se réalisait, le duo politique chiite retrouverait une légitimité populiste et le CPL se victimiserait face aux partis chrétiens traditionnels, recouvrant ainsi une sympathie populiste qui s’amoindrissait.
Parallèlement à ces deux objectifs, le Hezbollah en vise un autre d’une extrême importance : par ses agissements violents, il signifie clairement aux puissances régionales et internationales qu’il est incontournable, et qu’aucune solution à la crise actuelle ne pourrait voir le jour sans son consentement. Cette stratégie, claire depuis le 17 octobre passé, est contrecarrée par les protestataires chevronnés, forts de l’expérience de quatre décennies de crise et attachés aux processus constitutionnels. Ils se structurent en réseaux, sans hiérarchie, évitant ainsi d’être torpillés de l’intérieur aussi bien par les menaces externes que par les tentations. Le pacifisme et le caractère transconfessionnel de l’intifada lui permettent de mener un combat que ni le Hezbollah ni Amal ne peuvent mener, vu qu’ils sont confessionnels, massivement armés et ne prolifèrent qu’à travers la violence. De même, le CPL ne peut se battre sur un terrain pacifique transconfessionnel, lui qui s’est évertué à se poser en protecteur des chrétiens afin de se légitimer parallèlement au duo chiite. La non-violence adoptée par l’intifada, sauf en cas de légitime défense, est la colonne vertébrale de sa stratégie pacifiste. Cela lui permet de s’attirer la sympathie d’une population aux yeux de laquelle les figures du pouvoir qui s’accrochent à leurs acquis cumulés pendant plus de trois décennies ont définitivement perdu toute légitimité. Enfin, l’intifada cultive des liens de profonde sympathie avec l’armée libanaise et les FSI, seules protections crédibles sur lesquelles elle compte en cas de coups durs, malgré les bavures enregistrées au cours des semaines passées.
Par Général Khalil HÉLOU
Membre du mouvement des militaires retraités
Dans la même rubrique
Le droit à la ville, cet autre acquis de la « thaoura »
Économie : La mort du miracle libanais ?
La révolution et le monde : l’« anima » libanaise
Sortir de l’économie de rente en soutenant les industries créatives
Entre frustrations et incompréhensions, les défis communicationnels de l’armée libanaise
Très bon point de vue avisé Mon Général. Ca nous change du vieux ex général croupissant dans son fauteuil à qui on fait faire des choses peu recommandables pour un président et qui quand il ouvre la bouche pour s'adresser aux citoyens met le feu aux poudres et se voit houspillé de toute part puisqu'il leur dit avec beaucoup d'autorité, qui d'ailleurs lui manque pour imposer une réunion, que c'est comme ça et c'est pas autrement et que s'ils ne sont pas contents ils peuvent immigrer. Alors on lui répond tous . APRÈS VOUS MONSIEUR LE PRÉSIDENT
17 h 11, le 01 décembre 2019