Le président libanais, Michel Aoun, a chargé vendredi soir, à l'issue d'une réunion à Baabda axée sur la situation financière, le gouverneur de la Banque centrale (BDL), Riad Salamé, de prendre une série de mesures temporaires afin de résoudre la crise financière que vit le Liban. La réunion de haut-niveau convoquée par la présidence intervient alors que le pays connaît depuis 44 jours un mouvement de contestation de grande ampleur contre la classe dirigeante sur fond de crise économique et financière aiguë.
Le chef de l'Etat a "présenté plusieurs propositions de sorties de crise, qui ont été discutées par les participants", a indiqué le président de l'Association des banques du Liban, Salim Sfeir, à l'issue de cette réunion. Il a annoncé que Riad Salamé avait été, dans ce cadre, chargé de prendre "les mesures temporaires nécessaires, en coopération avec l'ABL". Plusieurs des propositions évoquées "nécessitent des textes de loi", a ajouté M. Sfeir, qui a souligné que la crise économique "commence à avoir des répercussions négatives sur les différents secteurs".
Selon des informations rapportées par notre correspondante Hoda Chédid, les propositions évoquées lors de la réunion visent à "lutter contre la crise monétaire et des liquidités et prendre des mesures protégeant le secteur bancaire et rassurant les Libanais concernant la sécurité de leurs dépôts". La sécurité des dépôts est, d'ailleurs, "assurée", selon un des participants à la réunion, qui a précisé que les politiques de ponction sur les dépôts ("haircut") ne seront pas mises en place, ni aucun système de contrôle des capitaux, malgré le fait que certaines banques prennent des mesures pour limiter les dépôts vers l'étranger, en raison de la crise actuelle. Les participants ont également insisté, selon cette source, que pour qu'une solution radicale soit trouvée à la situation, un nouveau gouvernement devrait être formé rapidement, afin de mettre sur pied un plan de sauvetage économique clair.
"Pas de contrôle des capitaux"
Étaient présents à cette réunion : les ministres sortants des Finances, de l’Économie et des Technologies de l’information, respectivement Ali Hassan Khalil, Mansour Bteich et Adel Afiouni, le ministre d’État chargé des Affaires présidentielles, Salim Jreissati, ainsi que le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, le président de l’Association des Banques du Liban, Salim Sfeir, le chef de la commission de contrôle des banques, Samir Hammoud, le conseiller économique de Saad Hariri, Nadim Mounla, et le directeur-général de la présidence, Antoine Choucair.
Les participants à la réunion ont insisté, selon le président de l'ABL, sur "l'importance de la stabilité monétaire et du libéralisme qui ont toujours caractérisé le Liban". Répondant à une question des journalistes, Salim Sfeir a réfuté toute mise en place d'un système unifié de contrôle des capitaux dans les banques libanaises. Le chef de l'Etat a de son côté insisté sur l'importance de conserver le taux de change officiel de la livre libanaise par rapport au dollar .
Selon des informations de la chaîne de télévision locale LBC, le Premier ministre sortant, Saad Hariri, a été convié à cette réunion mais n'a pas pu y assister pour des raisons personnelles. Des sources proches de M. Hariri citées par la LBC ont estimé que les réunions de ce genre sont "théoriques" et ne permettront pas d'obtenir des "résultats concrets". "Pour trouver des solutions à la situation actuelle, il faut qu'un gouvernement soit mis sur pied et, donc, il faut lancer les consultations parlementaires contraignantes", soulignent ces sources.
Dénonçant la corruption et l'incompétence de la classe politique, mais aussi une détérioration continue des conditions de vie, des centaines de milliers de libanais battent le pavé dans tout le pays depuis le 17 octobre. Les manifestants veulent des mesures rapides pour redresser l'économie, mais refusent que les plus démunis en payent le prix, dans un pays où un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale. Si les contestataires ont obtenu leur première victoire avec la démission le 29 octobre du Premier ministre Saad Hariri, ils manifestent toujours pour un gouvernement composé exclusivement de technocrates et d'indépendants, qui ne seraient pas issus du sérail politique. Le pays connaît aussi une crise de liquidités qui menace les importations et a entraîné une hausse des prix. Les importateurs de carburants, mais aussi de matériel médical, ont tiré la sonnette d'alarme. Car si le dollar est couramment utilisé au quotidien, des restrictions de plus en plus sévères ont été adoptées depuis plusieurs mois sur l'obtention du billet vert dans les banques, et la situation s'est aggravée avec la contestation.
Pour protester contre ces restrictions d'accès à la devise américaine, les propriétaires de stations-service ont lancé jeudi une grève ouverte, ce qui a provoqué la colère des Libanais vendredi à travers le territoire. Les bureaux de change entamaient eux aussi vendredi une première journée de fermeture. Les changeurs dénoncent les accusations à leur encontre. Les stations-service quant à elles réclament à l’État un mécanisme couvrant 100% de leurs achats de carburant en dollar, alors que celui mis en place par la BDL n'en couvre que 85%, un taux jugé inacceptable par les propriétaires des stations en question.
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M. Sfeir, qui a souligné que la crise économique "commence à avoir des répercussions négatives sur les différents secteurs"...wow, quelle perspicacité... Des répercussions négatives! Il en fallait des diplômes et des positions de commandement pour finalement comprendre ce que tout un chacun du peuple au Liban et de l'étranger répétait depuis des années. Quelle misère...
21 h 18, le 29 novembre 2019