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Lifestyle - Coolitude

(Re)créations authentiques des saveurs babyloniennes

Comment mangeait-on il y a 4 000 ans dans cette région des bords de l’Euphrate dite la Porte des dieux? Des recettes rédigées en lettres cunéiformes le révèlent.

Le laboratoire de l’université de Yale transformé en cuisine. Photo Yale University/Michael Marsland

« De la viande, de l’eau, du sel fin, des morceaux de gâteaux d’avoine, de l’oignon, de l’échalote persane, du lait, du poireau et de l’ail pilé. » Voilà pour les ingrédients, mais pas de mode d’emploi. Et pour cause, cette recette était inscrite en lettres cunéiformes sur une tablette d’argile datant d’environ 4 000 ans et se trouvant dans la collection babylonienne de l’Université de Yale. Désireux d’aller au-delà du déchiffrage de la tablette afin d’approfondir davantage, par le biais du goût, leur compréhension de la culture de cette civilisation des bords de l’Euphrate, des spécialistes internationaux ont mis la main à la pâte pour recréer cette recette. De même que trois autres qui pourraient constituer un livre de cuisine cunéiforme. Cette équipe, menée par Agnete W. Lassen (curatrice de la collection babylonienne de l’Université de Yale), comprend cinq autres experts : Gojko Barjamovic (assyriologue à l’université de Harvard), Patricia Jurado Gonzáles (sciences et cuisine, Université de Harvard), Chelsea A. Graham (à la tête du laboratoire de numérisation de l’Institute for the Preservation of Cultural Heritage, Université de Yale), Nawal Nasrallah (chercheuse irakienne sur la nourriture arabe médiévale) et Pia M. Sörensen (chimie des aliments). Cette équipe aux titres prestigieux a noué un tablier autour de la taille et œuvré derrière les fourneaux. Les résultats de son expérience ont été publiés dans un ouvrage intitulé Food in Ancient Mesopotamia : Cooking the Yale Babylonian Culminer Recipes (La nourriture en Mésopotamie : cuisiner les recettes babyloniennes cunéiformes).

Archéologie culinaire

Cette expérience, considérée comme une sorte d’archéologie culinaire, a aussi fait l’objet d’un documentaire réalisé par la chaîne BBC Travel. Le grand défi, pour ces scientifiques transformés en cuisiniers, a été de décortiquer les descriptions historiques des mets et de conserver leur authenticité en utilisant des ingrédients modernes. Tâche d’autant plus difficile que les tablettes énuméraient les ingrédients sans trop aller dans le détail des mesures et de la manière de faire.

« Dans ce contexte, a confié Pia Sörensen, on fait beaucoup de suppositions en perfectionnant les proportions des ingrédients. Pour cela, on utilise les approches scientifiques de l’hypothèse et des variabilités. » Pour sa part, Jurado Gonzales explique : « L’ensemble des composantes des nourritures actuelles est le même qu’il y a 4 000 ans. Il y a aussi une similitude dans la technique. » Elle et ses collègues scientifiques se sont appuyés sur leur savoir des goûts humains et sur le fait que les préparations n’ont pas drastiquement changé à travers le temps, pour reconstituer des mets qui soient les plus proches possibles des recettes authentiques.

Pashrutum et Tuh’U

Quant au menu babylonien qu’ils ont recréé, il propose, notamment, une soupe baptisée Pashrutum et un plat que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de tourte au poulet (ou Chicken pot pie chez les Anglo-Saxons). À cause de son bouillon clair quelque peu accentué de poireaux, d’oignons et de coriandre, la soupe a été associée à une recette réconfortante dédiée à une personne souffrant d’un refroidissement.

Il y a quatre mille ans, on aimait aussi se délecter les papilles avec des saveurs venues de l’étranger et désignées comme Zukanda. C’est ce qu’ont découvert les chercheurs en se penchant sur les recettes cunéiformes de la Collection babylonienne de l’Université de Yale, et notamment un bouillon dit Mu Elamutum et un ragoût de mouton à la betterave nommé Tuh’U, manière bortsch russe. Le bouillon, originaire d’Iran, contient une herbe, l’aneth, plus courante dans ce pays que chez ses voisins, dont l’Irak. Ce qui prouve, selon Nawal Nasrallah, l’existence d’échanges commerciaux entre deux cultures. Elle note, également, qu’il y avait de la sophistication dans la préparation des mets babyloniens, avec un souci particulier pour l’apparence. Pour flatter l’œil autant que le palais, on jouait avec des ingrédients colorants : le safran, la coriandre, le persil et les blettes. Autre constatation : de nos jours, les ragoûts de la région sont rouges car les tomates entrent dans leur composition. Or l’utilisation de la tomate est postbabylonienne. À cette époque ancienne, les spécialités étaient parfumées avec du cumin, de la menthe, de la coriandre, de l’ail et de l’oignon.

Ce groupe de chercheurs-cuisiniers a révélé, également, l’évolution du ragoût de mouton, plat toujours prévalant en Irak et dans tout le monde arabe, et ont jeté parallèlement une lumière sur ce qui était la « haute cuisine de la Mésopotamie », mettant ainsi en relief « la sophistication des chefs d’il y a quatre mille ans » et leur sens de la mise en scène, cultivée pour la préparation des festins de la haute société. Sans oublier l’importance pour eux de mémoriser leurs recettes, se servant de tablettes d’argile pour les inscrire dans le langage du temps, en en faisant de précieux ouvrages culinaires.

La cuisine antique de Brigitte Caland

La prestigieuse cuisine du passé possède son grand gourou libanais, Brigitte Caland, qui l’a bien explorée et l’a pratiquée quelques années avant l’expérience de l’équipe patronnée par l’Université de Yale. Cette femme aux multiples talents académiques et passionnée de langues et des antiques arts de la table est notamment connue pour le repas abbasside qu’elle a recomposé dans le cadre d’une conférence organisée par l’AUB sur le thème Insatiable Appetite : Food as a Cultural Signifier (Appétit insatiable : La nourriture comme signifiant culturel). Auparavant, elle avait concocté en Californie des mets inspirés d’anciens textes historiques et littéraires. Actuellement, tout en donnant des cours d’hébreu ancien et en supervisant les archives d’une mère illustre, la peintre Huguette Caland, récemment disparue, elle planche sur un ouvrage qui aura pour titre : Promenades culinaires à travers le temps et les paysages du Moyen-Orient. Sortie prévue au début de l’année prochaine.



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