Les mouvements de soulèvement au Liban et en Iran s’inscrivent dans des contextes socio-politico-économiques très différents, à l’évidence, et ont pour racines des facteurs peu comparables. Mais ils ont malgré tout un point commun : ils sont la conséquence directe d’un choix stratégique fondé sur un projet expansionniste régional mis à exécution en faisant fi totalement (et c’est là que le bât blesse…) du bien-être de la population.
Il est bien établi dans le cas spécifique du Liban – comme cela a été relevé plus d’une fois dans ces mêmes colonnes– que la présente intifada libanaise a été provoquée par la mauvaise gouvernance et l’affairisme d’une grande partie de la classe politique, mais aussi par la ligne de conduite du Hezbollah qui entretient en permanence un climat guerrier dans le pays et qui se plaît surtout à mener sans cesse des campagnes belliqueuses contre les pays qui traditionnellement assuraient un soutien économique au Liban en période de crise aiguë.
Cette posture guerrière a eu pour résultat – c’était inéluctable – un gel des transferts et des investissements en provenance de l’étranger et, par voie de conséquence, une grave contraction (jusqu’à atteindre la récession) de l’activité économique, avec tout ce que cela entraîne comme retombées multiples au niveau social et de la vie quotidienne des différentes couches de la population. Pour le parti chiite pro-iranien, l’aspiration des Libanais à vivre une vie normale et à bénéficier d’un bien-être bien mérité, après des décennies de guerres et de conflits, ne pesait pas beaucoup face à la nécessité, pour lui, de soutenir activement les visées hégémoniques du régime des mollahs à Téhéran.
C’est une équation semblable qui a entraîné la population iranienne au bord du gouffre, au point même de provoquer sa chute au fond de l’abîme. La stratégie d’exportation de la révolution islamique et, au plan purement géopolitique, l’expansionnisme régional figurent en tête des priorités des gardiens de la révolution– véritable État dans l’État. Cela se traduit notamment depuis le milieu des années 80 par un financement massif du Hezbollah, estimé actuellement selon diverses sources concordantes à pas moins de 800 millions de dollars par an.
Cette politique hégémonique visant plusieurs pays de la région a nécessité un accroissement exponentiel des financements extérieurs du fait de la création de nombre de milices locales gravitant dans l’orbite de Téhéran, à l’instar du Hezbollah. L’implantation de ces tentacules a provoqué et entretenu une instabilité chronique à l’échelle du Moyen-Orient, suscitant une réaction hostile aussi bien des pays concernés que des États-Unis. Il en a résulté les sévères sanctions économiques imposées par Washington à l’Iran, l’administration US soulignant cependant à cet égard, à diverses reprises, que son objectif n’est pas le renversement du pouvoir à Téhéran, mais plutôt un changement de comportement politique.
Le mouvement de soulèvement, qui a secoué plus d’une cinquantaine de villes en Iran au cours des derniers jours, est le résultat de ces sanctions US et de la politique expansionniste des gardiens de la révolution. Des dizaines de milliards de dollars ont été dépensés ces dernières années pour soutenir ces milices inféodées à la République islamique, alors que dans le même temps la situation socio-économique des Iraniens était en chute libre : le PIB iranien a ainsi reculé de plus de 9 pour cent ; le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans est de 30 pour cent ; plus des deux tiers des Iraniens vivent de subventions que le pouvoir n’est plus en mesure aujourd’hui d’assurer; et la dernière hausse de 300 pour cent du prix de l’essence ne peut qu’entraîner une forte flambée des prix dans un pays dont l’activité économique est largement tributaire des transports terrestres (que ce soit au niveau des camionneurs ou des particuliers) en raison de la vaste étendue du territoire, de l’absence de transports publics performants et du gros volume des importations.
Les Iraniens ne sont pas dupes et ils le soulèvent publiquement de plus en plus. Le marasme dans lequel ils se débattent est dû en grande partie au fait que cette stratégie expansionniste des pasdaran engloutit les revenus de l’État, lesquels enregistrent de surcroît une baisse drastique sous le coup des sanctions qui sont elles-mêmes causées par la politique déstabilisatrice visant à transformer plusieurs pays du M-O en satellites de Téhéran.
Le régime des mollahs a ainsi sacrifié le bien-être de sa population pour financer en priorité ses desseins expansionnistes. Et c’est aussi suivant cette même logique que le Hezbollah fait fi de l’aspiration des Libanais à une vie normale parce que, pour lui, la priorité est de se placer entièrement au service du projet du nouvel empire perse.
Le soulèvement en Iran, même s’il est réprimé sévèrement dans le sang, apporte la preuve qu’en définitive la garantie de survie pour le Hezbollah – comme pour tout autre parti – ne saurait résider dans un soutien extérieur, par essence éphémère et fonction de paramètres étrangers au Liban, mais dans l’établissement de rapports équilibrés avec ses partenaires nationaux. Cela, les expériences passées durant les guerres libanaises l’ont démontré clairement.
À la lumière de la forte secousse qui frappe l’Iran, le parti chiite risque vraisemblablement de raidir aujourd’hui ses positions sur la scène locale. Mais finira-t-il par admettre l’idée qu’il est de son propre intérêt, à moyen et long termes, de s’abstenir de prendre les Libanais en otage pour servir un projet transnational chancelant de plus en plus vulnérable dans le présent contexte international ?
L'ironie veut que le titre de cet article s'applique en premier lieu au contenu de l'article lui-même.
17 h 10, le 19 novembre 2019