Un mois après le déclenchement du soulèvement populaire, les habitants de Tripoli, chef-lieu du Liban-Nord, ont ciblé hier la gestion déficiente des déchets dans cette ville. En début d’après-midi, des manifestants ont tenu un sit-in devant les locaux de la Fédération des municipalités de Tripoli, en guise de protestation contre les ratages qui entachent ce dossier depuis des décennies.
La deuxième ville du Liban est dotée d’un énorme dépotoir sauvage qui sert depuis des années à la ville et aux environs et qui s’élève désormais sur plusieurs dizaines de mètres de haut. Près de cette montagne de déchets, une décharge a été construite récemment. Pour accéder au site, il suffit généralement de se faire indiquer par un habitant la direction de « la montagne d’ordures ». Ironiquement, les locaux de la fédération sont situés en face de l’énorme dépotoir.
Malgré les masques chirurgicaux qui leur couvrent le visage, les manifestants ont donné de la voix pour dénoncer la mauvaise gestion du dossier des déchets dans leur ville. « Sentez l’odeur, sentez l’odeur ! Le pouvoir est dirigé par des voyous », lancent-ils à l’adresse des autorités en général et de la fédération en particulier.
Sur les pancartes portées par les manifestants, on peut lire : « Les responsables les plus riches dans la ville la plus pauvre » ; « Le travail est une ligne rouge, le développement est une ligne rouge ». Ou encore « Notre ambassade est libanaise, ce sont vos ambassades qui sont étrangères » (les manifestants étant accusés par certains partis d’être manipulés par des forces étrangères). Une dame se joint à la foule et répète les slogans de toutes ses forces. « Je ne suis jamais descendue à la place al-Nour (NDLR : où se tiennent les manifestations à Tripoli) parce que je suis malade, mais je suis venue revendiquer un environnement propre et sain, justement parce que je suis convaincue que la pollution est la cause de ma maladie ! » se plaint-elle, d’une voix amère.
(Lire aussi : Lorsqu’on se trompe de priorité, l’édito de Michel TOUMA)
Une décharge pas « sanitaire »
Interrogé par L’Orient-Le Jour au sujet de la gestion du dossier des déchets dans la ville, Bassem Bakhache, membre du conseil municipal de Tripoli, affirme que « la Fédération des municipalités de Tripoli garde une mainmise sur la décision dans la plupart des dossiers, faisant fi de l’opinion des présidents et des membres des différents conseils municipaux ».
Selon M. Bakhache, « la montagne de déchets devait être recouverte d’une membrane pour la protéger de l’infiltration des eaux des pluies, et protéger par là même les eaux souterraines ». « L’ancien dépotoir n’a pas été protégé et la nouvelle décharge, construite il y a dix mois à côté de ce mont difforme, ne diffère en rien du site sauvage », ajoute-t-il, avant de conclure : « Le centre de tri aménagé en juin 2017 ne trie que 4 ou 5 % de la totalité des déchets qu’il reçoit, alors même qu’un énorme budget lui est consacré. »
Où est donc dépensé tout cet argent? Pour Mohammad Ayoub, président de l’association Nahnoo, la réponse est simple : « Les municipalités sont des institutions placées au service des figures politiques. La majorité écrasante des budgets alloués aux municipalités est dépensée par les politiciens à des fins de clientélisme politique, que ce soit à travers des événements qu’ils organisent ou des services qu’ils rendent à leurs électeurs. »
M. Ayoub donne à ce sujet l’exemple de la municipalité de Saïda. « Quand j’étais à la municipalité de Saïda, on m’avait averti que je ne pourrais pas tout poster sur le Net, dit-il. Or j’étais parfaitement informé du fait qu’un homme politique finançait des événements organisés à l’occasion du mois de ramadan avec l’argent de la municipalité, mais il m’était interdit de publier les factures qui le prouvent. »
« La corruption se cache dans les recoins des municipalités »
Pour le militant, il est grand temps de poser la question suivante aux municipalités : « Comment dépensez-vous notre argent ? » Pour cela, l’association Nahnoo a lancé une campagne à l’échelle nationale dont l’objectif est de sensibiliser les citoyens à la nécessité de demander des comptes à leurs municipalités, à travers des messages diffusés sur des panneaux d’affichage.
Depuis le 17 octobre, date du début de la révolte populaire au Liban, de plus en plus de manifestants observent des sit-in devant les locaux des municipalités et des fédérations de municipalités. À Beyrouth, les manifestants du Zaitounay Bay ont observé ultérieurement un sit-in symbolique devant la municipalité, dans le centre-ville.
À Zghorta, une centaine de protestataires portant des masques chirurgicaux avaient défilé la semaine dernière dans la rue principale avant de tenter d’entrer dans les locaux de la municipalité de la ville. Ils étaient également allés jusqu’à déposer des sacs de déchets devant la porte du bureau de la Fédération des municipalités de Zghorta-Ehden pour protester contre la crise de déchets qui touche quatre cazas du Nord depuis des mois, après la brusque fermeture d’une décharge. « La corruption se cache aussi dans les recoins des municipalités », avaient-ils lancé pour l’occasion.
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