Le triple niet formulé hier par Hassan Nasrallah est limpide comme le jour : le vide est inacceptable et le mandat actuel est intouchable. Pour le secrétaire général du Hezbollah, les symboles du sexennat actuel – le président de la République, le gouvernement et le Parlement – ne sauraient être remis en cause et les revendications « politiques » de la rue ne sont autres qu’un complot ourdi qui a fini par dévoyer les objectifs du mouvement. Dans son discours, le chef du parti chiite a souligné l’impossibilité d’envisager des élections anticipées, une consultation que le parti chiite semble désormais craindre comme la peste, notamment après que plusieurs régions chiites constituant la base populaire du parti a massivement relayé le mouvement de contestation. Le leader du parti chiite, qui a fini par constater l’ampleur prise par le mouvement de révolte, a recouru à une batterie d’arguments économiques, politiques et sécuritaires pour définir les limites que le mouvement populaire ne saurait dépasser.
En maniant le spectre du vide et du chaos – un argument maintes fois utilisé au Liban pour justifier le statu quo prévalant – et les risques d’une crise économique qui va finir par appauvrir encore plus les plus démunis, Hassan Nasrallah a usé d’un autre argument de dissuasion principalement destiné à sa base : celui du complot ourdi et de l’instrumentalisation dont seraient victimes une large partie des manifestants.
Tout au long de son discours, le chef du Hezbollah a avalisé la légitimité des doléances à caractère socio-économiques répercutées dans la rue, mettant toutefois en garde contre une crise qui risque, même à court terme, d’affecter les moyens de subsistance des militaires qui protègent le mouvement de révolte, un message à peine voilé adressé à l’armée. Le cri de colère lancé dans la rue par les plus démunis ne justifie pas, cependant, selon lui, les exigences politiques formulées dans la foulée et qui restent, pour lui, une ligne rouge à ne pas franchir.
Les revendications de départ ont changé, a dit Hassan Nasrallah, en dénonçant une conjuration qui serait à l’origine de la demande de démission du gouvernement. Il n’en sera rien, a fermement laissé entendre le leader chiite, écartant toute hypothèse de démettre aussi bien le gouvernement que le chef de l’État. Pas d’élections anticipées non plus, « un dossier compliqué », s’est-il contenté de dire, sans avancer aucun argument convaincant justifiant son rejet pour l’une des revendications principales de la rue.
Après l’effervescence qui a gagné ces derniers jours les rangs des sympathisants du tandem chiite (Amal et le Hezbollah) et le tabou brisé par le biais de critiques ouvertes visant ces deux formations, la crainte d’un scénario d’une consultation populaire qui remettrait en cause leur représentation quasi exclusive de la rue chiite est devenue évidente.
« Le Hezbollah me paraît aujourd’hui extrêmement inquiet. Il envoie un double message appelant la rue à la prudence tout en rappelant de manière claire qu’il reste la partie la plus puissante dans l’équation interne », souligne Hilal Khachan, professeur de sciences politiques à l’AUB.
L’inquiétude du tandem chiite de perdre la face et le soutien populaire dans ses propres régions s’est clairement manifestée ces derniers jours par la violence de la répression visant les protestataires dans plusieurs localités du Sud, notamment à Tyr et à Nabatiyé.
Hassan Nasrallah ne s’est pas privé non plus d’admonester ses propres « alliés », dont « le refus de dialoguer avec le chef de l’État sème le doute », a-t-il lancé. Une allusion claire au président de l’Assemblée, Nabih Berry, et au chef des Marada, Sleiman Frangié, qui entretiennent tous les deux des relations problématiques avec Michel Aoun.
(Lire aussi : Le demi-jour des oracles, l'éditorial de Issa GORAIEB)
Le complot
Le secrétaire général craindrait également des élections prématurées à l’ombre d’un sérieux changement d’humeur dans la rue chrétienne également. Conspué dans la rue, le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil serait donné d’ores et déjà perdant, si les élections devaient avoir lieu prochainement face aux Forces libanaises notamment qui ont repris du poil de la bête depuis qu’ils ont rejoint les rangs des protestataires et annoncé leur retrait du cabinet.
Pointées par Hassan Nasrallah qui a évoqué des « forces politiques qui surfent sur la vague (des mouvements populaires) pour atteindre certains objectifs », les FL servent de prétexte pour diaboliser dans la foulée plusieurs autres acteurs influents au sein du mouvement de contestation.
Après avoir œuvré à discréditer une partie des meneurs présumés du mouvement de révolte, sans nommer personne, le secrétaire général a pointé du doigt l’absence de structure au sein d’un mouvement qui avance sans boussole et qui serait désormais téléguidé de l’extérieur.
En attaquant de la sorte certaines figures « dissimulées » du mouvement de contestation, Hassan Nasrallah a ainsi ouvert une brèche destinée à provoquer une scission au sein de cette masse compacte et dissuader par là même les gens à réinvestir la rue devenue dangereuse selon lui.
« Il s’agit d’une tactique qui en dit long sur la volonté du pouvoir en place de mettre un terme au mouvement », commente Ali Mrad, professeur de sciences politiques à l’Université arabe de Beyrouth.
Autre point évoqué dans le cadre de la théorie de complot, l’idée que les pourfendeurs du parti chiite, après avoir misé sur une guerre entre l’Iran et les États-Unis et par ricochet contre le Hezbollah, « œuvreraient aujourd’hui à rallumer la discorde interne pour compenser la perte de leur pari. En bref, Hassan Nasrallah cherche à dire qu’en réclamant la chute du gouvernement et du système en place, c’est le Hezbollah qu’on projette d’écarter », commente M. Khachan.
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commentaires (26)
IL PRÉTEND QUE " AL-SAOURA " EST FINANCÉE PAR L'EXTÉRIEUR, DES AMBASSADES ETC....MAIS IL OUBLIE DE DIRE QUI FINANCE SES HOMMES QUI TERRORISENT LE PEUPLE LIBANAIS DANS SON ENSEMBLE ? AH ? QUI ? QUEL AMBASSADE ? DE SA POCHE PEUT ÊTRE.
Gebran Eid
04 h 53, le 27 octobre 2019