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Liban - Reportage

Dans le centre-ville de Beyrouth, la communion de tous les Liban

Depuis 10 jours, les places des Martyrs et Riad el-Solh vibrent à l’unisson.

Sur la place Riad el-Solh, des manifestants brandissent le drapeau libanais. Photo Mohammed Yassin

Lara, Marcelle et Soraya se donnent rendez-vous à 7h pétantes devant la mosquée al-Amine, dans le centre-ville de Beyrouth. Fuseaux moulants et casquettes pour cacher des cheveux indisciplinés, elles recouvrent leurs mains manucurées de gants et partent ramasser les déchets laissés par les manifestants de la veille. Les activistes de Muwatinelebnene, une initiative née avec la révolution, encadrent les volontaires écolos dont les rangs ne cessent de grossir. Des gosses des rues les rejoignent, amusés par le va-et-vient. La ville a des airs de lendemain de cuite. Place Riad el-Solh, les équipes des chaînes de télévision installent déjà leur matériel. Un peu plus loin, un clerc chiite, venu de la Békaa, donne une leçon à une poignée de jeunes en keffieh, expliquant que la révolution n’est pas contradictoire avec les préceptes de l’islam. Retour sur la place des Martyrs. Des militants Kataëb, descendus aux aurores de leur montagne du Metn, font une halte au siège du parti chrétien situé à l’orée du centre-ville, avant de rejoindre d’autres partisans sous des tentes plantées durant le week-end sur la place « Tahrir » libanaise. Ils sont là incognito. « Samy (Gemayel) ne veut pas qu’on laisse transparaître quoi que ce soit, pas de slogans ni de drapeaux du parti », laisse glisser l’une d’entre eux. En quelques heures, le centre-ville, autrefois désert, est pris d’assaut par une foule on ne peut plus hétéroclite. Des dames chics drapeau à la main se rejoignent devant le Burgundy. À quelques mètres, des jeunes de Haret Hreik dansent autour d’une mobylette. Derrière ces deux groupes aux antipodes, un Saifi Village désert. Sur les murs d’un immeuble pastel est tagué « Eat the rich », un pied de nez au fameux restaurant situé à quelques encablures de là. « Les gens qui sont restés dans leur appartement se barricadent derrière leurs volets », confirme un habitant de la rue Saïd Akl. Des politiciens qui y possèdent de luxueux appartements auraient déjà pris la poudre d’escampette. Mouni, une jeune professeure d’université et son petit ami Ali, propriétaire d’un magasin de jeux, marchent en direction de la statue de bronze de Mazzacurati, des coussins et une tente à la main. Après plusieurs jours de manifestations, ils ont décidé de camper sur place. Parce qu’ils ne veulent rien louper de ce moment d’euphorie collective.

Michel et Mohammad

Sur le faux gazon autour de la statue, des tentes ont poussé comme des champignons. Du linge sèche sur une cordelette, après les pluies diluviennes qui se sont abattues sur la ville jeudi. Cheveux bouclés et petites lunettes rondes, un jeune homme sort de sa cahute en polyester pour fumer une cigarette. Le premier soir de la révolution, il dit avoir dormi dans la rue. Puis, Abou Ali l’a pris sous son aile et lui a dit de dormir avec les autres protestataires. « Il n’y a pas de chef ici, on gère tous le campement. Ils sont tous devenus des frères, il y a autant de Michel que de Mohammad. Personne ne m’a demandé quelle est ma religion, on ne me pose pas de questions, on est là, c’est tout », dit le bachelier, qui porte le prénom du plus célèbre saint maronite. Quand il le peut, il rentre en auto-stop à Sin el-Fil prendre une douche et changer ses vêtements. « Je n’ai pas de quoi payer un taxi-service. Mais les gens de Dunkin Donuts en face nous offrent des beignets le matin », dit-il. Charbel fait partie de ces laissés-pour-compte. De ceux qui sont sortis dans la rue parce qu’ils n’avaient plus rien à perdre. Les chants et les danses ne les intéressent guère. « On doit être sérieux maintenant », dit-il. On peut très bien l’être quand on a 18 ans.

Sous la même statue, des vedettes du petit et du grand écran se retrouvent. Les artistes de gauche entament des chants révolutionnaires égyptiens, les autres s’époumonent sur du Rahbani ou de Majida el-Roumi. Certains se prêtent au jeu des caméras de télévision, et multiplient les selfies avec les fans. De l’autre côté de l’avenue, les baristas de chez Paul sont débordés. Le café-restaurant est devenu le QG/halte des bourgeois qui révolutionnent à leur manière et des désillusionnés du 14 Mars. En fin d’après-midi, la foule grossit devant la mosquée qui trône en majesté. Les sonos et les cris baissent en volume lors de l’appel à la prière. Il est déjà 20h, l’heure d’aller au lit, mais les gamins sont là, des étoiles dans les yeux. Les chansons populaires sont répétées à tue-tête et les drapeaux s’agitent en dépit de la pluie qui menace. Des manifestants cèdent le passage à des poussettes. « On est où là habibi ? » lance un père à son petit de moins de 3 ans sur ses épaules. « À la manif ! » répond-il.

Tout le monde est là. Les bourgeois comme les sans-culottes. Ils se frôlent, se regardent, se découvrent et crient en chœur les mêmes slogans. « C’est comme si les Libanais se rencontraient pour la première fois », résume Maria, une étudiante en psychologie. Il y a le bonheur collectif de se retrouver et le besoin de chacun de vider ses tripes. L’exutoire parfait. Des manifestants lancent un slogan plein d’injures contre Randa Berry (épouse du chef du Parlement). Une mère pose la main sur la bouche de sa fille de 10 ans qui, gagnée par l’enthousiasme, répète après les protestataires.


(Lire aussi : Le demi-jour des oracles, l'éditorial de Issa GORAIEB) 


Pancartes et « foul »

« Les manifestations du centre-ville sont comme le Liban. Il y a de tout et pour tous les goûts. C’est la cour des miracles », lance Maria. La rue de l’émir Bachir qui mène à la place Riad el-Solh est devenue la corniche. Des vendeurs proposent des boissons présentées dans des baignoires de bébé en plastique. Les étals investissent la rue et proposent des sandwichs, kaaké, crêpes, épis de maïs grillés ou des assiettes de foul. Des sacs de barbe à papa sont accrochés sur le tronc d’un arbre. Des fumeurs de narguilés contemplent le spectacle. Hussein se fait tailler la barbe pour quelques milliers de livres, sur un fauteuil posé sur un trottoir. Des jeunes en débardeur, jean délavé et masque de Guy Fawkes sur le visage se faufilent entre la foule qui déambule d’un point à l’autre. Clara*, une jeune punk adossée aux grilles de l’église Saint-Georges, propose des pancartes sur mesure à 3 000 livres libanaises. Sous la statue de l’ancien Premier ministre au tarbouche, Riad el-Solh, les « cocos », comme certains les surnomment, lancent des slogans accrocheurs dans leurs haut-parleurs. Ces meneurs ont des années de contestation sous le capot. Ils font partie des rares protestataires à avoir un langage politique, évitant l’insulte facile, et régionalisant parfois le combat. Des « Palestine », et « Syrie, on est avec toi jusqu’à la mort » sont ainsi criés. Les chants révolutionnaires de grandes figures de la révolution syrienne telles que Ibrahim al-Kachouch et Abdel Basset al-Sarout sont adaptés à la sauce libanaise. « Kellon yaani kellon » (Tous veut dire tous). « Et même Nasrallah », hurle un adolescent, venu de Naqoura avec ses frères et sœurs, en référence au chef du Hezbollah. L’ambiance est folle, électrique. Un couple de septuagénaires regarde le bal de cette jeunesse qui ose crier sa colère, avec un mélange de tendresse et de crainte. « Concentrez-vous sur le gouvernement », essaie de convaincre, en vain, un jeune homme qui semble énervé que l’on puisse s’en prendre au sayyed. Il menace d’intervenir avant que ses compagnons l’en dissuadent. Ce n’est pas le moment de régler les différends entre les deux tendances de la gauche arabe.

« On est à bout. On doit libérer notre pays des zaïms corrompus », lance un étudiant. « Papa m’a dit de ne pas aller aux manifs ce soir. J’ai répondu : OK. Et je suis venue », raconte Nour à sa sœur venue la retrouver. Au bout de la rue, des activistes féministes forment une chaîne face aux forces antiémeute qu’elles essaient d’amadouer pour qu’elles rejoignent les protestataires. « Voilà à quoi ressemblent les femmes de mon pays ! » s’enthousiasme un jeune manifestant. Pendant ce temps, des DJ investissent la place des Martyrs et font danser la foule, épuisée mais déterminée. Des petits groupes finissent par se dissoudre en direction des bars de Gemmayzé. « Je ne vous laisse passer que si vous chantez Hela hela, hela hela ho, Gebran Bassil… », exigent des manifestants, tout sourire, qui font barrage aux voitures. Les habitués se retrouvent autour d’une bière, avalent une man’ouché et débriefent de la journée. « On voudrait que ce moment ne s’arrête jamais », confie l’un d’entre eux. En fin de soirée, un policier bedonnant lance à des protestataires regagnant leur voiture garée sur le ring : « Chou, la fête est finie ? »


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commentaires (6)

Allons enfants de la fratrie Le jour d’espoir est arrivé Du sud au nord enchaînons Les liens forts de la nation Sans confession ni religion Ne gardons que nos ambitions

PROFIL BAS

18 h 54, le 26 octobre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • Allons enfants de la fratrie Le jour d’espoir est arrivé Du sud au nord enchaînons Les liens forts de la nation Sans confession ni religion Ne gardons que nos ambitions

    PROFIL BAS

    18 h 54, le 26 octobre 2019

  • Il peut se mettre ses missiles quelque part, pas assez de recul pour les retourner contre les libanais, ou alors il faudrait qu'il les tire de Chypre, quelle ironie!

    Christine KHALIL

    15 h 11, le 26 octobre 2019

  • Attention : Les mobylettes sont déployées ainsi que les "chemises noires". Que va-t-il sortir après ? Peut-être les 100.000 missiles dissimulés dans les tunnels !

    Un Libanais

    14 h 09, le 26 octobre 2019

  • Tout le monde est là. Les bourgeois comme les sans-culottes. Ils se frôlent, se regardent, se découvrent et crient en chœur les mêmes slogans. « C’est comme si les Libanais se rencontraient pour la première fois », résume Maria, une étudiante en psychologie. Il y a le bonheur collectif de se retrouver et le besoin de chacun de vider ses tripes. L’exutoire parfait. Des manifestants lancent un slogan plein d’injures contre Randa Berry (épouse du chef du Parlement). A lire cet article , on ne sait plus si on est à Longchamps ou sur le parvis du Trocadéro . Je me suis mis à revoir les "révolutions" chez les autres des années 90 et partant , même celle des Tchèques en 68 contre le pouvoir soviet , ni celle des œillets du Portugal n'avaient égalé celle du Liban . Ce qu'il y a de plus au Liban , c'est qu'on ne reconnait plus les " bourgeois " des "sans culottes ". Un exutoire parfait ! Il est suicidaire de s'attaquer au boulanger dans une émeute , comment pourra t on manger du pain s'il est écarté ? Lui il s'en fout , il saura faire du pain de toute façon , il en a la technique magique . RESTONS CONCENTRE SUR LES PILLEURS DE FARINE . JK.

    FRIK-A-FRAK

    12 h 40, le 26 octobre 2019

  • MAGNIFIQUE CETTE COMMUNION DES LIBANAIS QUI VA DE L,EXTRENE NORD A L,EXTREME SUD DU PAYS MALGRE LES PROPOS MENSONGERS ET LES INTIMIDATIONS ET LES PROVOCATIONS DES MERCENAIRES REMUNERES PAR L,ETRANGER.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 37, le 26 octobre 2019

  • Longue et heureuse vie à ce peuple de dingues qui nous est si cher!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 36, le 26 octobre 2019

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