Le calme est revenu, en soirée, dans le centre-ville de Beyrouth, où avaient eu lieu, dans l’après-midi, de violents accrochages entre manifestants et partisans du Hezbollah.
Ces accrochages, qui ont fait des blessés et contraint la police anti-émeutes à intervenir, ont eu lieu peu avant un discours du secrétaire général du parti chiite, Hassan Nasrallah, le deuxième en moins d'une semaine. Ce dernier a estimé dans ce discours que le mouvement de contestation "n'est plus aujourd'hui un mouvement populaire spontané", mais "mené et financé par des forces politiques ainsi que des personnalités et entreprises spécifiques". Le leader chiite a par ailleurs appelé ses partisans à "sortir de la rue". "Nous ne sommes pas concernés par ce mouvement et nous n'avons aucun intérêt à être dans la rue", a-t-il ajouté. Après cet appel, les partisans du parti chiite ont quitté la place Riad el-Solh. Un grand nombre de motards brandissant les drapeaux du Hezbollah et du mouvement chiite Amal ont toutefois sillonné peu après les rues de la banlieue sud et de Tyr, au Liban-Sud.
La tension était également forte à Nabatiyé, au Sud, l'un des nombreux foyers de la contestation. Devant le Sérail de la ville, des partisans du Hezbollah ont encerclé les manifestants, selon une protestataire sur place contactée par L'Orient-Le Jour. Elle affirme que les hommes du parti chiite ont coupé le courant électrique, plongeant la place dans le noir. Lorsque les manifestants ont tenté de quitter les lieux, l'armée leur a déconseillé de le faire et a appelé des renforts sur place.
"Tous veut dire dire tous, dont Hassan Nasrallah", criaient, par ailleurs, les manifestants à Tripoli après le discours de Hassan Nasrallah, selon notre journaliste sur place, Ornella Antar. Acclamé par les manifestants, un orateur a appelé l'armée à protéger le peuple. "Le Hezbollah ne peut gouverner le Liban, le Liban est au peuple", a-t-il dit.
"Honte, Honte, Samir Geagea est un sioniste"
Place Riad el-Solh, avant le discours attendu de Nasrallah, des disputes ont éclaté lorsque des partisans du parti chiite se sont opposés à des manifestants pacifistes, leur ordonnant de ne pas insulter Hassan Nasrallah. "Tous sans exception, Nasrallah inclus", leur a alors rétorqué un manifestant. "Ces hommes ont été envoyés pour infiltrer les manifestants", lance un autre manifestant. Les accrochages ont fait plusieurs blessés dans les rangs des manifestants, mais aussi dans les rangs de la police qui a formé une barrière humaine séparant les deux camps.
Selon nos journalistes sur place, Suzanne Baaklini et Zeina Antonios, les manifestants qui ont été blessés ont été évacués rapidement. Les "chemises noires" sont arrivées depuis la place des Martyrs avant de marcher sur Riad el-Solh. Ils scandaient des slogans conspuant le chef des Forces libanaises Samir Geagea, le gouverneur de la Banque Centrale Riad Salamé et en appui au chef du Hezbollah Hassan Nasrallah. Les forces de l'ordre ont tenté de s’interposer entre les assaillants et les manifestants, alors que les partisans du Hezbollah jetaient des bouteilles et d'autres projectiles en direction des protestataires. Certains journalistes ont été pris à partie dans les affrontements. Les femmes ont alors commencé à s’interposer entre les manifestants et les forces de sécurité en criant "Selmiyé, Selmiyé" (pacifique).
Après les bagarres, les manifestants se sont regroupés devant la mosquée el-Amine, sur la place des Martyrs, tandis que les partisans du Hezbollah se regroupaient en scandant "Honte, Honte, Samir Geagea est un sioniste". Ils étaient dirigés par des meneurs, qui leur donnaient des instructions, notamment les directions à prendre et les slogans à scander, par haut-parleurs.
C'est en grand nombre que les partisans du Hezbollah sont arrivés dans le centre-ville, brandissant des photos de l’ancien Premier ministre Fouad Siniora et du ministre des Télécoms, Mohammad Choucair, accompagnés du slogan "Kellon yaani Kellon" (tous sans exception). Suite au discours de Hassan Nasrallah qui a appelé ses partisans à rentrer chez eux, les forces de l'ordre ont ouvert un passage pour que les hommes du parti chiite quittent les lieux.
REUTERS/Alkis Konstantinidis
Sécurité renforcée
Des dizaines de milliers de Libanais, des centaines de milliers au pic de la contestation, sont dans les rues de tout le pays depuis le 17 octobre, afin de protester contre la classe politique et la corruption. Fait notable, de nombreux fiefs du parti chiite, notamment Nabatiyé, sont touchés par la contestation.
Dans ce contexte tendu, la sécurité avait été renforcée vendredi dans le centre-ville, notamment un fort déploiement des forces armées sur la place des Martyrs, ce qui n'était pas le cas les derniers jours.
La veille déjà, une bagarre avait opposé les manifestants à des partisans du Hezbollah, faisant six blessés. Mis à part quelques incidents isolés vite contenus, il s'agissait de la première confrontation de cette ampleur depuis le début du mouvement de contestation.
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Sabaa refuse de négocier
Malgré les incidents survenus ces derniers jours, qui, outre à Beyrouth, ont marqué les mouvements de contestation à Nabatiyé et Tyr, au Liban-Sud, où les personnes rassemblées sur les différentes places ont été attaquées par des partisans du Hezbollah et du mouvement Amal, ou dans le Metn où des partisans du Courant patriotique libre ont voulu provoquer les manifestants, rien n'a pu entamer la dynamique du mouvement. Ni la pluie, ni même les déclarations des responsables, qu'il s'agisse des réformes annoncées lundi par le Premier ministre Saad Hariri, ou du discours du président Aoun. Dans son allocution télévisée, qui n'a pas convaincu les contestataires, le chef de l’État avait appelé à "reconsidérer la situation actuelle du gouvernement", soulignant toutefois que les changements ne pouvaient pas "être faits dans la rue". Il s'était cependant dit ouvert à une rencontre avec des représentants du mouvement de contestation. Vendredi, le parti de la société civile Sabaa a déclaré refuser toute négociation avec les autorités.
(Lire aussi : Un discours en deçà des attentes, le commentaire d'Elie FAYAD)
L'hymne à l'AIB
Comme tous les matins depuis le début de la "révolte populaire", les différents lieux où se sont rassemblés les manifestants pendant la nuit ont été nettoyés par des volontaires, dont le nombre grossit de jour en jour. Dans le centre-ville de Beyrouth, ils étaient ainsi plus de 2.000 bien organisés, à balayer, ramasser les déchets et les trier à la main avec soin, afin que les places Riad el-Solh et des Martyrs soient parfaitement propres pour accueillir les contestataires.
Avec le week-end, le mouvement de contestation devrait voir ses rangs grossir, avec l'arrivée notamment de Libanais de l'étranger. Plusieurs d'entre eux ont d'ailleurs entonné en chœur l'hymne national à leur arrivée à l'Aéroport international de Beyrouth. La vidéo de l'instant a été partagée sur les réseaux sociaux.
من مطار رفيق الحريري الدّولي في بيروت... #لبنان_ينتفض #لبنان_يثور ?? pic.twitter.com/TlDGsn7UWZ
— Georgio ?? | ?? (@ShGeorgio) October 25, 2019
Appels à l'ouverture des routes
Des dizaines de nouvelles barricades ont, par ailleurs, fait leur apparition sur les routes vendredi, renforçant la paralysie du pays. Le blocage de l'axe reliant Beyrouth au nord du pays a été maintenu. De grandes bâches bleues y ont même été installées pour protéger les manifestants de la pluie et permettre à certains d'y passer la nuit.
Critiquant ces fermetures de route, des partisans du Courant patriotique libre (fondé par le chef de l’État) se sont rassemblés au Sérail de Jounieh dans le Kesrouan (au nord de Beyrouth), afin de demander aux responsables locaux l'ouverture des routes dans cette région. De leur côté, les syndicats des boulangeries ont exhorté les autorités à prendre des mesures pour assurer que ces établissements puissent être approvisionnés en farine et mazout.
Dans ce contexte, l'armée libanaise a publié un communiqué dans lequel elle met en garde les manifestants contre "toute violation de la loi" et toute entrave à la liberté de circuler des citoyens et des militaires, assurant toutefois "respecter la liberté de s'exprimer et de manifester".
Selon des statistiques fournies par son secrétaire général, Georges Kettané, à la chaîne de télévision locale LBC, la Croix-Rouge libanaise a en outre annoncé avoir mené, au cours des dernières 24 heures, 190 interventions. Seize d'entre elles ont permis de transporter des victimes de différents incidents à l'hôpital, tandis que les autres ont consisté en des soins prodigués sur le terrain.
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08 h 25, le 26 octobre 2019