Des manifestants écoutant le discours du président, retransmis sur grand écran, à Zouk Mosbeh, hier. Joseph Eid/AFP
Huit jours après le début du soulèvement populaire, et alors que Baabda s’était quasiment emmuré jusque-là dans un étrange mutisme, la parole présidentielle est apparue hier très insuffisante pour être en mesure de contenir le vaste mouvement de protestation.
En gros, le discours préenregistré du chef de l’État reprend des promesses anciennes fondées sur de bonnes intentions, comme par exemple la nécessité de lutter contre la corruption, mais ne dit pas pourquoi et comment il va être désormais possible de mettre à exécution ce qui n’a pas pu l’être durant les trois premières années du mandat.
S’agissant précisément de la corruption, Michel Aoun a énuméré une série de propositions de lois portant sur ce sujet et croupissant depuis des années dans les tiroirs de la Chambre. Si le but est de dire que ces textes n’ont pas été votés jusqu’ici parce que ceux qui président aux destinées du Parlement ne le souhaitent pas, il n’y a aucun problème à saisir le message. De même lorsque le président parle des « entraves » à son action, du système de « partenariat » et de la nécessité, imposée par Taëf, de la coopération entre tous les pouvoirs. Un langage que, d’ailleurs, le Premier ministre a utilisé avant lui.
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Il est clair que, sans renier sa responsabilité, le chef de l’État pointe ici les méfaits de la démocratie consensuelle. Et il a parfaitement raison de le faire, puisque cette forme de gouvernement mène invariablement à des impasses. Sauf que, de 2006 à 2016, date de son accession à la présidence de la République, son Courant patriotique libre a été, après le Hezbollah et Amal, la formation politique qui a le plus œuvré à la consécration dans les mœurs de cette démocratie consensuelle, bien au-delà de ce que prévoit la Constitution issue de Taëf.
Mais ce discours sur la corruption est miné par un autre problème aussi : pendant longtemps, nombre de Libanais s’accordaient pour considérer que ce fléau est l’apanage d’un camp politique et pas de l’autre. Ce n’est plus le cas. Les centaines de milliers de personnes qui manifestent ces jours-ci mettent à l’évidence tout le monde dans le même sac. Et le successeur de Michel Aoun à la tête du CPL se taille la part du lion dans les accusations lancées à ce sujet.
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Deuxième observation dans le même cadre : le président fustige la « mentalité confessionnelle qui a prédominé dans le pays et qui est à la base du problème ». Comment ne pas y souscrire, en effet ? Mais comment ne pas relever, dans le même temps, que, contrairement au aounisme des années 1988-2005, celui des années 2005-2019 est synonyme de communautarisme exacerbé, de discours identitaire et de vision étriquée du système confessionnel libanais ?
S’il est un exégète du confessionnalisme à la libanaise, c’est bien le grand penseur Michel Chiha. Ce dernier écrivait, dès les années quarante : « Qu’au Liban, la représentation confessionnelle proportionnelle la plus stricte soit respectée à la Chambre des députés (…), c’est une chose très sage (…). Mais ailleurs, dans l’administration et partout (…) ? Si chaque communauté, si tout ce peuple veut vivre une balance à la main, mettant un ministre en face d’un ministre et un greffier en face d’un greffier, il faudra que tous nous donnions notre langue au chat. À ce prix, on mènerait finalement ce pays à des difficultés insolubles. » Ce raisonnement vaut bien aussi pour des gardes forestiers…
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Troisième observation : le chef de l’État assure que le mouvement de protestation en cours montre que les libertés au Liban « se portent bien ». Depuis que la foule est dans la rue, on assiste, en effet, à une formidable libération de la parole, allant parfois jusqu’au mauvais goût. Mais ce n’était clairement pas le cas auparavant. Qu’un vague service de « cybermachin » convoque à tour de bras des jeunes et des moins jeunes pour des délits d’opinion et même pour diffamation est une honte – le mot n’est pas fort – dans une République qui se respecte. Tout individu diffamé a naturellement le droit de porter plainte, mais il y a des canaux civilisés pour cela et aujourd’hui, ces canaux ne sont pas respectés. Les ministères de la Justice et de l’Intérieur devraient rendre des comptes à ce sujet.
Le discours du président contient par ailleurs, il est vrai, une ou deux ouvertures à l’égard des protestataires. La première porte sur le gouvernement, dont il faut, selon lui, « reconsidérer la situation actuelle ». Michel Aoun ouvre ainsi la voie à un remaniement ministériel, mais cela est dit de manière si sibylline, si rentrée et indirecte, qu’on ne sait pas si les gens l’ont entendu. La seconde porte sur un désir de dialogue avec les manifestants. L’intention est louable, mais le mécanisme paraît difficile à mettre en place.
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commentaires (9)
Si la stratégie des traitres consistent à trouver une brèche pour s'immiscer dedans et l’élargir pour reprendre le contrôle du pays. Ils font fausse route. Car cette fois-ci les manifestants non seulement sont unis derrière leur drapeau et leur armée mais ils connaissent aussi les failles des traitres puisqu’à un moment donné ils ont cru en eux et connaissent leur mode de fonctionnement, leurs cachettes et le lieu de leur arsenal. Alors c’est la magie qui va se retourner a contre le magicien. Attention à vos miches les chiens de garde.
Sissi zayyat
12 h 39, le 26 octobre 2019