On aura beau dire ce qu’on veut sur notre révolution d’octobre, que l’on y danse, fume la narguilé, rigole ou se marie, elle est belle notre révolution et elle est à notre image. Pleine d’amour, de sourires et de joie. Oui, nous sommes the happiest depressed people you will ever meet et nous en sommes fiers. Oui, nous dansons en manifestant parce la fête est inscrite dans notre ADN. Oui, nous vendons du maïs, des manakish et du chawarma, parce que notre sens de l’hospitalité est ce qui nous a toujours caractérisé auprès des étrangers. Et si nous pouvions le faire, nous aurions dressé une immense table de mezzé en plein milieu de la place des Martyrs.
Oui, nous sommes un peuple joyeux et drôle. Malgré tout. Malgré tout ce que nous endurons depuis des décennies. Tout ce qu’ils nous ont fait. Malgré les poubelles, la crise, la corruption. Nous sommes remplis d’humour, de solidarité et d’affection pour les autres. Nous sommes libanais. Les Libanais. Et nous avons montré au monde entier que notre révolution était une révolution hors du commun. Une révolution que certains ont du mal à comprendre. Oui, nos slogans sont drôles et celui qui a chanté pour la première fois Hela Hela Ho mérite qu’on lui érige une statue place de la Liberté. Cet hymne repris dans Time, chanté par tous les expats du monde, et remixé par plusieurs DJ, est scandé chaque jour par le peuple libanais qui témoigne ici son profond mépris pour celui qui nous a toujours traités avec une arrogance hors du commun. Et on plaint sa mère.
Mais ce chant inspiré de Ya Mustapha de Bob Azzam n’est pas l’unique élan créatif des révolutionnaires. Dès l’annonce de la taxe sur les communications WhatsApp, les réseaux sociaux ont été inondés de blagues. On a pensé une fois de plus que c’est tout ce qu’on savait faire : nrakkib nekat. Sauf que là, les nekkat sont descendues dans la rue. S’affichant sur des pancartes, dans les groupes WhatsApp, sur Insta, Facebook, Twitter. Et une chose est sûre, c’est que nous sommes créatifs. Über créatifs. Il aura fallu à peine une demi-heure après le premier discours de Hariri pour que le site hariris72.com voie le jour et nous offre le compte à rebours de ces 3 jours d’attente. Vaine attente. Il a fallu l’intelligence d’un type pour créer des sites au nom de ceux que l’on rêve de voir tomber. Sites où les nouveaux chants partisans à la sauce libanaise sont entonnés par un peuple en liesse.
Et les blagues n’en finissent pas de pleuvoir. Chaque jour, chaque heure, on en reçoit des dizaines. Nous faisant sourire et rire. Comme ce compte Insta @thawracrushes qui permet aux gens de trouver leurs coups de foudre révolutionnaires. Comme Megaphone News, Lebanon Times et tant d’autres qui nous tiennent informés. Comme tous ces dessins, ces photos qui font le tour du monde.
Mais il n’y a pas que ça. Il y a l’énorme engouement des Libanais qui, en l’espace d’une semaine, ont fait un énorme pied de nez au régime, aux institutions, aux zaïms, aux conservateurs en se rebellant contre le système. Tripoli s’est enflammée; Nabatiyé s’est enflammée ; Sour, Baalbeck… Tous nous ont donné une immense leçon. Une immense leçon de courage. Une immense leçon de liberté. Là où personne n’aurait imaginé une seule seconde que les gens se révolteraient. Tripoli, Jal el-Dib, Zouk, Chevrolet sont devenus les symboles de la révolution. Une révolution qui s’est étendue de la place des Martyrs (nettoyée tous les matins par de merveilleux citoyens), jusque dans le monde. Partout dans le monde où se trouvent des Libanais. Et les Libanais sont partout.
Et les symboles de la révolution sont nombreux. Malak Alaywe Herz qui donne un coup au bodyguard d’un ministre est devenue un symbole et a montré que les Libanaises sont encore plus audacieuses que leurs hommes. Des femmes qui ont aussi pacifié la révolte, érigeant un mur humain entre les manifestants et l’armée. Cette armée qui est avec nous. Nous soutient. Cette armée qui voit ses soldats craquer, pleurer. Eux aussi sont devenus des symboles. Ces soldats qui ne vont pas tarder à nous rejoindre. À rejoindre le peuple. Le peuple uni. Le peuple qui a remisé son confessionnalisme, écarté toute menace de division. Et cette rue chiite qui a enfin haussé la voix. Cette rue chiite qui est également un des plus beaux symboles de la révolution. Ce sont eux qui ont changé la donne, fait preuve de bravoure, de vaillance. Ces intrépides qui ont fait comprendre à leurs zaïms qu’il était grand temps qu’ils s’en aillent. Ces intrépides qui ont osé les défier sur al-Manar. Ces intrépides qui malgré toutes les tentatives d’intimidation à travers la violence ne lâcheront pas Nabatiyé.
Comme on ne lâchera pas le Liban tant qu’ils ne seront pas partis. On ne lâchera pas. Et ne pariez pas sur notre fatigue. Nous descendrons tous les jours. Nous retrouverons ashab el-thawra. Ashab tout court. Et nous continuerons de chanter, de nous moquer de vous à travers nos slogans, nos pancartes, nos réseaux sociaux. Dans la rue, dans nos maisons, devant nos écrans télé. À Paris, à Londres, à Washington, à Abidjan, à Mexico. Nous sommes partout. Partout. Et aujourd’hui, vous n’êtes nulle part.
commentaires (5)
Jour IX. Le premier pickpocket du gouvernement doit partir et il partira. Son éviction est la première revendication des insurgés. Appelez à saisir ses meubles et immeubles depuis son entrée au gouvernement par qui vous savez. Agissez vite !
Un Libanais
15 h 44, le 25 octobre 2019