Plusieurs centaines de manifestants, place Riad el-Solh, hier. Photo Mohammad Yassine
Du jamais-vu au Liban, du moins dans la période de l’après-guerre. Les vagues de mouvements contestataires ont atteint, pour la première fois depuis des décennies, les plus importants fiefs du Hezbollah, mais aussi du mouvement Amal du président de la Chambre, Nabih Berry.
Asphyxiés par la très grave conjoncture économique et par les sévères sanctions américaines contre le Hezbollah, et à l’instar de plusieurs Libanais, de nombreux chiites n’ont pas manqué de descendre dans les rues et de brûler des pneus. Une façon pour eux d’exprimer leur ras-le-bol quant à la caste politique, mais aussi aux choix du gouvernement, qui entendait infliger de nouvelles taxes à la population, dans le but de réduire le déficit budgétaire. Certains partisans du tandem chiite ont même été jusqu’à attaquer les bureaux et domiciles de certains députés, comme Mohammad Raad, chef du groupe parlementaire du Hezbollah, ou encore Hani Kobeissi (Bint Jbeil) et Yassine Jaber (Nabatiyé), tous deux relevant de la mouvance berryste.
Bien au-delà de la colère populaire, l’attitude des partisans du Hezbollah et du mouvement Amal est notable, surtout par son timing. D’autant que les manifestations sont intervenues quelques jours après des informations ayant circulé dans les médias et selon lesquelles le parti de Hassan Nasrallah s’apprêtait à manifester en signe d’opposition à la politique bancaire au Liban. Des informations que le cheikh Naïm Kassem, secrétaire général adjoint du parti, n’a pas tardé à démentir, sachant qu’elles étaient publiées sur les colonnes du quotidien al-Akhbar, pourtant considéré comme gravitant dans l’orbite du parti chiite.
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Dans un discours prononcé mardi dernier, le cheikh Kassem avait soigneusement souligné que sa formation « n’a jusqu’à présent pas décidé de manifester » et qu’elle assure un suivi des dossiers économiques à partir de ses convictions qu’elle exprime en Conseil des ministres. « Personne ne peut dire à notre place si nous descendrons ou non dans la rue », avait-il ajouté.
Il n’en demeure pas moins que, dans certains milieux politiques, on estimait hier que le Hezbollah pourrait instrumentaliser politiquement les mouvements de contestation populaires afin de modifier les équilibres politiques du pays et adresser les messages qui s’imposent au Premier ministre, Saad Hariri.
Mais dans les milieux du parti chiite contactés par L’Orient-Le Jour, on s’efforce de cerner les protestations des partisans à la stricte dimension liée au ras-le-bol populaire quant à la conjoncture actuelle. Le parti n’a pas appelé les gens à manifester. Cela relève du ressort du secrétaire général du parti (qui devrait s’exprimer aujourd’hui après-midi), confie à L’OLJ une source proche du Hezbollah, soulignant que les chiites, à l’instar du reste des Libanais, n’ont fait qu’exprimer un ras-le-bol tout à fait naturel face à un gouvernement qui n’en finit pas d’opter pour des choix nocifs aux Libanais. Il s’agit notamment des décisions articulées autour de nouvelles taxes, sans la moindre vision économique, assure-t-on de même source, avant d’affirmer que les députés et ministres du parti feront barrage à toute tentative de ce genre, tout comme ce fut le cas lors du Conseil des ministres tenu mercredi dernier.
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Des alternatives à Hariri ?
Sur le plan strictement politique, les milieux du Hezbollah préfèrent « ne pas évoquer, pour le moment, les éventuelles alternatives à Saad Hariri ». Ils estiment toutefois qu’il est « faux » de démissionner à l’heure où le pays a besoin de solutions dans les plus brefs délais.
Mais pour un analyste politique joint par L’OLJ, l’ampleur du mouvement de contestation montre que le problème va bien au-delà des choix que le Premier ministre serait amené à faire. Il s’agit de savoir que fera le pouvoir pour épargner au pays le scénario de l’effondrement total.
« Cette alternative, le Hezbollah la craint, de même que tous les protagonistes. Il n’a donc aucun intérêt à appeler ses partisans et sympathisants à se rassembler dans les rues », explique l’analyste qui a requis l’anonymat, avant de faire valoir que cela n’occulte aucunement le fait que la base populaire de la formation est dans le besoin. « Et elle s’est révoltée contre cet état de choses, sachant que les slogans politiques longtemps brandis par le parti ne semblent plus convaincre ses partisans, qui semblent accorder la priorité à leur droit à une vie digne », conclut l’observateur.
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commentaires (8)
Les chiites sont dans la rue sur le principe que “tout le monde, ça veut dire tout le monde”. Les insultes, accusations, stigmatisations et tentatives de faire porter le poids de la conjoncture actuelle au Hezbollah et à Amal, donc aux chiites qui les ont supportés toutes ces années biaiseront la révolte. Taisez vous
Chady
10 h 43, le 20 octobre 2019