Et dire qu’on se demandait où était le peuple. Et dire qu’on pensait que nous avions baissé les bras, que la résignation avait été plus forte que notre désir de liberté, qu’ils avaient eu raison de nous. Que nous étions un « peuple de merde », amorphe et égoïste, incapable de se battre pour ses droits vitaux. Que nous étions indignes de notre pays. Que nous l’avions lâchement abandonné, que le(s) pouvoir(s) en place a/ont kidnappé le Liban sans rien laisser au passage, pas même notre honneur. Dire que malgré la crise, nos douleurs et nos craintes, nos exils, les incendies, les pénuries, les faillites, les licenciements, la presse qui s’effondre et la faim qui gagne les entrailles de la plupart des Libanais, nous ne ferions rien.
Et soudain, le miracle. Comme cette pluie qui a permis d’éteindre les incendies qui ont ravagé plus de 1500 hectares de forêt. Le miracle. Dans un élan populaire sans précédent, les rues du pays tout entier se sont gorgées de monde. Spontanément, les Libanais sont enfin descendus dans la rue demandant la chute du gouvernement, la démission des députés. Ils ont exprimé leur colère, leur désolation, leur ras-le bol de ce système politique gangréné depuis des décennies. Leur écœurement de voir les mêmes nous voler, nous prendre pour des cons. Nous obliger à renflouer les caisses de l’État qu’ils ont allègrement pillées sous nos yeux clos.
Le peuple n’a suivi que son instinct. Ni un parti politique, ni un zaïm, ni une organisation politique. Le peuple a décidé qu’il était temps qu’il prenne le pouvoir. Et que l’anarchie dans laquelle pouvait sombrer le pays ne pourrait être pire que le chaos dans lequel il se noie depuis des années. Le peuple s’est mobilisé, unifié. Il n’a brandi qu’un seul drapeau, s’est rangé sous une même couleur. Il a abandonné ses allégeances. Et ne courbera plus l’échine. Il veut désormais faire plier le gouvernement, qui a, une fois de plus, cru qu’il pouvait nous acheter en revenant sur ce projet de taxer les communications via Internet.
Il ne s’agit pas d’une Révolution WhatsApp. Il s’agit d’une révolte qui vient des tripes. Une révolte qui doit absolument se transformer en révolution. Une révolution qui ne doit pas s’arrêter. Une révolution qui doit faire gronder la rue de plus en plus fort. Une révolution qui doit enfin faire sauter tous ces corrompus qui ont bu notre sang jusqu’à la lie. Une révolution qui doit nous ôter la honte. La honte de n’avoir rien fait pendant des années. La honte de n’avoir pas protesté contre ces innombrables lois qui leur auraient permis de nous voler une fois de plus.
Il faut que cette fois soit la bonne. Il ne faut surtout pas céder. Ne permettre à aucun parti politique de tenter la moindre récupération. Il faut leur faire comprendre que ces gouttes qui se déversent sur eux ne sont pas la pluie, mais nos crachats. Il faut une désobéissance civile. Il faut reprendre leurs biens et renflouer les caisses. Il ne faut pas les laisser agiter devant nous la peur du vide constitutionnel. Il ne faut plus les laisser prendre la moindre décision. Ni voter aucune loi. Il ne faut pas leur permettre de nous diviser à coups d’excuses confessionnelles. Il ne faut pas les laisser libres. Il faut prendre le Parlement comme un jour ils ont pris la Bastille. Il faut se réapproprier nos institutions. Il faut récupérer ce pays qui ne leur appartient pas. Il ne faut pas laisser leurs enfants prendre leur succession. Il ne faut pas les laisser nous effrayer avec l’éventuelle dévaluation de la livre libanaise.
Il faut qu’ils comprennent que c’est fini. Que leur temps est terminé. Que leur prise d’otage n’engendrera plus le syndrome de Stockholm. Que si nous devons aller aux urnes, on ne votera plus pour eux. Et qu’ils feraient mieux de ne pas se représenter.
Nous n’avons pas le droit de (con)céder. Pas le droit de s’essouffler. Pas le droit de craquer, ni d’abandonner, ni de reculer. Nous n’avons pas le droit de capituler. Même s’ils font descendre parmi nous des casseurs, des voyous, des sales types qui voudraient nous intimider. Nous n’arrêterons pas. Parce que nous n’avons plus rien à perdre. Nous avons tout à gagner. (Re)gagner surtout ce pays qui est le nôtre, nous ce Chaeb Lebnane el-aazim.
Le retard de plusieurs années dans la gouvernance du pays a été rattrapé en une séance à Baabda. Il convient de donner sa chance au PM pour réformer et juger par la suite si le niveau du sauvetage sera suffisant ou pas. Je ne pense pas que la précipitation des élections législatives est salvatrice. Les gouvernants invisibles ont et auront peur dorénavant, cela est suffisant pour le moment à mon avis. L'arrêt de la roue économique n'a jamais été bon !
20 h 43, le 21 octobre 2019