Le ministre des Déplacés Ghassan Atallah (Courant patriotique libre) a été accusé de sexisme après s’en être pris à « l’honneur » de la députée Paula Yacoubian, des propos qui ont suscité un tollé.
Mardi soir sur la chaîne al-Jadeed, au cours d’une émission consacrée aux incendies, à laquelle participait la députée Paula Yacoubian (issue de la société civile), M. Atallah a été invité par téléphone à réagir à un incident qui s’était produit en matinée, lorsque des militants l’avaient conspué au cours de sa tournée dans les zones sinistrées du Chouf. Au cours de la discussion, le ministre a pris Mme Yacoubian à partie, l’accusant d’avoir obtenu son siège de députée « de façon immorale ». « Il est inacceptable que chaque fois que l’on évoque la performance des responsables du CPL, ils répondent en portant atteinte à l’honneur et la dignité », a réagi cette dernière en direct. Elle a rétorqué que « l’honneur ne se trouve pas entre les jambes d’une personne mais dans sa tête », avant d’accuser le parti aouniste d’avoir « pillé le pays ». Elle a en outre affirmé que le CPL se livrait à un « discours raciste pour masquer ses échecs ». « C’est vous qui êtes sans honneur, vous prétendez défendre les droits des chrétiens, mais vous avez détruit les droits des chrétiens », a-t-elle encore dit.
Ce n’est pas la première fois que Mme Yacoubian est victime de remarques sexistes. L’année dernière, le journaliste Joseph Abou Fadel avait proféré des propos de même nature à son encontre lors d’une émission sur la chaîne OTV. Évoquant l’affaire de l’avion de la MEA en partance pour Le Caire, qui avait été évacué de ses passagers à la dernière minute pour accueillir les membres de la délégation présidentielle se rendant à New York, Paula Yacoubian avait écrit sur son compte Twitter: « Notre père à tous en est arrivé à faire descendre les gens des avions. » Dans sa réponse, Joseph Abou Fadel avait dit sur l’antenne de la chaîne OTV, en s’adressant à Mme Yacoubian: « En ce qui te concerne, nous ne savons pas à combien de personnes tu as donné la tétée. »
(Pour mémoire : « Vous méritez qu’on vous viole » : Dima Sadek, violemment agressée sur Twitter)
« Virilité maladive »
Les propos de Ghassan Atallah contre la députée, qui avait aidé mardi à l’approvisionnement des volontaires et de la Défense civile déployés sur les lieux des incendies, ont provoqué une levée de boucliers.
Le ministre des Affaires sociales Richard Kouyoumjian (Forces libanaises) a affiché sa solidarité avec Paula Yacoubian, malgré leurs « divergences politiques ». « Je me tiens aux cotés de Paula, des femmes et de la dignité humaine, je me tiens aux côtés de Paula contre les prises de position arriérées, les distinctions, l’ignorance et les esprits stériles », a tweeté le ministre.
Le ministre du Travail, Camille Abousleiman, s’est également solidarisé avec Paula Yacoubian. « Il est inacceptable qu’un collègue et ministre s’adresse de la sorte à une députée de la nation », a-t-il dit, avant le début d’une réunion du cabinet.
La journaliste Dima Sadek a quant à elle réagi en affirmant dans un tweet ironique: « Il semble que l’une des conditions pour devenir membre » du CPL est « d’être frustré sexuellement et d’avoir une pensée rétrograde », un message accompagné des hashtags (mots-dièses): « Laissez la dignité de la femme tranquille » et « Laissez nos corps tranquilles ».
L’ONG Kafa, qui défend les droits de la femme, a dénoncé « le niveau très bas » des propos du ministre des Déplacés. Dans une publication sur sa page Facebook, l’organisation a regretté le fait que cette « virilité maladive » se répète inlassablement, lorsque des responsables, « au lieu de débattre sur le plan politique, utilisent des propos portant atteinte à l’honneur ». « Il s’agit d’une forme d’attaque bon marché contre les femmes », a accusé Kafa, qui a affiché son soutien à Paula Yacoubian.
Pour sa part, le groupe « Journalistes arabes contre la violence » a dénoncé, dans un communiqué, les propos du ministre Atallah, estimant que ce dernier avait fait preuve de « racisme, de sexisme et de mépris à l’égard de la femme ». « Ce qui décuple le danger d’un tel discours est qu’il a pour origine une personne occupant un poste de responsabilité », ajoute le communiqué, appelant « l’État libanais et tous ses organismes, notamment judiciaires », à intervenir, surtout que « des personnes ont été récemment arrêtées pour des raisons liées à la liberté d’opinion ».
Répondant à ces critiques, Ghassan Atallah a déploré hier que « ses propos aient été détournés de manière inadéquate et compris comme une attaque contre les femmes et leur honneur ». « Je voulais simplement parler de morale dans un cadre politique et dénoncer les prises de position populistes », a-t-il souligné sur son compte Twitter. « Je respecte les femmes et regrette que Mme Yacoubian ait considéré mes propos sous un angle qui n’avait pas lieu d’être », a-t-il ajouté.
(Pour mémoire : Vague de soutien à Paula Yacoubian après l’insulte d’un journaliste de l’OTV)
« Va-t-en ! »
Le ministre avait déjà dû essuyer des critiques mardi matin, lorsqu’il avait été empêché par des activistes de se rendre dans un centre balnéaire de Damour, transformé en base d’opérations pour les membres de la Défense civile et un groupe de volontaires venus s’y rafraîchir et se nourrir avant de retourner lutter contre les incendies dans la région.
« Va-t’en ! Va-t’en ! » ont scandé les activistes dès l’arrivée du ministre, ce qui, selon des vidéos postées sur les réseaux sociaux, a poussé ses gardes du corps à s’en prendre aux protestataires, les frappant avant de dégainer leurs armes. Cynthia Sleimane, une des volontaires présentes sur place, a affirmé sur Facebook que le ministre l’avait traitée de « fille des rues » et qu’elle avait été mise en joue par l’un des gardes du corps. Elle a expliqué que les volontaires, présents « pour faire le travail de l’État », n’avaient pas besoin de la présence d’un ministre sur les lieux.
M. Atallah a souligné dans un communiqué qu’il effectuait « une tournée des villages et localités touchés par les incendies dans le caza du Chouf et souhaitait saluer le travail des jeunes lorsqu’il a été accueilli par des personnes manquant d’éducation, des cris et des tentatives d’attaques contre sa personne ». Il a dénoncé « une tentative bon marché de détournement politique » de la situation, soulignant que ses gardes du corps « ont assuré sa protection et empêché que les “gangsters” puissent l’atteindre ».
En soirée, la jeune activiste annonçait sur les réseaux sociaux qu’elle avait été convoquée par les enquêteurs des FSI à Beiteddine à la demande de la procureure générale, la juge Ghada Aoun. Le ministre Atallah a de son côté affirmé dans un tweet qu’il avait demandé à la juge Aoun de ne pas mettre Cynthia Sleimane en état d’arrestation, bien qu’il ait selon la chaîne du CPL un rapport médical prouvant qu’il avait été été victime d’une agression.
Pour mémoire
Joseph Abou Fadel présente ses excuses à « toutes les Libanaises »
commentaires (7)
Il est évident que s'il faut se tenir aux côtés de quelqu'un, il vaudrait mieux que cela soit auprès de Paula . Y a pas photo .
FRIK-A-FRAK
17 h 07, le 17 octobre 2019