Les menaces lancées vendredi dernier par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, contre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont constitué une nouvelle entorse à la politique de distanciation du Liban par rapport au conflit entre l’Iran et l’administration Trump.
Les propos du numéro un du Hezbollah sont d’autant plus notables qu’ils ont coïncidé avec une déclaration de l’ayatollah iranien Ahmad Alamolhoda. S’exprimant lors de la prière de vendredi et cité par l’agence iranienne semi-officielle ISNA, le dignitaire chiite a déclaré sans détour : « L’Iran, aujourd’hui, n’est pas que l’Iran et ne se limite pas à sa situation géographique. » « Le Hachd al-Chaabi en Irak, le Hezbollah au Liban, Ansarallah (nom du mouvement des rebelles houthis) au Yémen, les Forces de défense nationale en Syrie, le Jihad islamique et le Hamas en Palestine sont tous l’Iran », a-t-il ajouté.
Mais certaines parties tentent de minimiser la portée politique de ces déclarations, la priorité étant pour elles le maintien du statu quo initié par l’entente politique élargie d’octobre 2016. C’est ainsi que Moustapha Allouche, membre du bureau politique du courant du Futur, explique à L’Orient-Le Jour le mutisme du gouvernement face aux multiples infractions à la politique de distanciation et aux menaces de Hassan Nasrallah. « La seule personne qui respecte toujours le principe de la distanciation est Saad Hariri », assure-t-il. « Mais nous ne pourrons pas arrêter Hassan Nasrallah, même si nous continuerons à condamner ses agissements et déclarations », prévient M. Allouche.
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Appels à Aoun et Hariri
Mais en dépit de ce pragmatisme reflétant une volonté de préserver l’entente conclue il y a près de trois ans avec le chef de l’État Michel Aoun, M. Allouche ne manque pas de renvoyer ouvertement la balle dans le camp de Baabda. « Le président de la République devrait s’acquitter de ses responsabilités, en sa qualité d’allié de longue date du Hezbollah », estime-t-il, rappelant que M. Hariri est « à la tête d’un cabinet d’entente nationale. Et il ne lui appartient pas de régler seul tous les problèmes du pays. »
S’il reconnaît que « c’est le Hezbollah qui gouverne le pays actuellement », il rappelle que « Saad Hariri a déjà clairement fait savoir que le problème du Hezbollah est d’ordre régional et que le Liban ne pourra pas le résoudre seul ».
Tout comme les milieux de la Maison du Centre, les Forces libanaises en appellent à Michel Aoun, mais aussi à Saad Hariri, sans pour autant porter atteinte à l’entente de 2016. « Nous nous opposons à toute tentative de plonger le Liban dans une guerre à laquelle le Hezbollah prendrait part pour défendre les intérêts de Téhéran », déclare à L’OLJ un responsable FL qui a requis l’anonymat, jugeant « intolérable » que la République islamique « contribue à l’armement d’un parti libanais », dans une claire allusion au Hezbollah. Et d’ajouter : « Les propos de Hassan Nasrallah et du dignitaire iranien sont très dangereux et la préservation de la souveraineté du Liban devrait être du ressort exclusif de l’État, d’où la nécessité de s’attacher à la distanciation. »
Critiquant le mutisme du gouvernement à l’égard des propos du numéro un du Hezbollah, le responsable FL se dit « désolé » de constater que les autorités officielles optent pour cette attitude au lieu de mettre les points sur les i. « Cela est du devoir aussi bien du Premier ministre que du président de la République », précise le responsable FL. Il emboîtait ainsi le pas au leader du parti Samir Geagea, qui avait appelé MM. Aoun et Hariri à faire en sorte que la décision de paix et de guerre soit de nouveau du seul ressort du Conseil des ministres.
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Quant au Courant patriotique libre, et en dépit de l’escalade verbale de Hassan Nasrallah face à Riyad et Washington, il semble confiant que la politique de distanciation est toujours en vigueur, minimisant les risques d’une véritable guerre dans laquelle le Liban pourrait se voir entraîner. Contacté par L’OLJ, Eddy Maalouf, député CPL du Metn, assure que son parti continue de respecter la déclaration ministérielle, qui selon lui « n’est autre qu’une nouvelle version de l’entente de Mar Mikhaël », l’accord conclu entre le Hezbollah et le CPL le 6 février 2006 qui avait scellé leur alliance.
Commentant les derniers propos de Hassan Nasrallah, M. Maalouf prend soin de souligner qu’« il n’est pas dit que le Hezbollah ripostera à partir du Liban à une attaque contre l’Iran. D’autant qu’il est présent sur le terrain aussi bien en Syrie qu’en Irak ou encore au Yémen ». « Il s’agit d’une nouvelle phase d’escalade verbale avant les négociations en quête d’une paix définitive », rassure le député aouniste, tout en affirmant que « Saad Hariri continuera à respecter la distanciation, parce que personne n’a intérêt à modifier les équilibres politiques actuels ».
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Rifi et le silence assourdissant de Hariri
Face à cette tentative de maintenir le calme, l’ancien ministre de la Justice, Achraf Rifi, connu pour son opposition au parti chiite, a tiré la sonnette d’alarme. S’adressant vendredi à une délégation de parents de détenus islamistes, il a accusé le Hezbollah d’avoir « dissous les brigades de la Résistance », composée de non-chiites, pour « fonder une armée composée à 80 % de sunnites et 20 % de chrétiens. Ils s’entraînent en Iran, et non dans les camps du Hezbollah (Békaa) en vue d’attaquer nos régions », a-t-il lancé, mettant cette information à la disposition des services de sécurité et de tous les responsables politiques.
Contacté par L’OLJ, M. Rifi a mis implicitement en garde contre « un nouveau 7-Mai », dans une allusion au coup de force du Hezbollah à Beyrouth-Ouest en 2008. « Face à ce genre d’agissements, la communauté sunnite pourrait serrer les rangs. Mais nous n’opterons pas pour l’arsenal illégal », prévient-il, assurant que « le Hezbollah ne pourra éliminer personne ». « J’ai pleinement confiance en Saad Hariri, qui au vu de ses fonctions est probablement contraint d’adopter un langage diplomatique », ajoute M. Rifi qui souligne toutefois que « le compromis de 2016 était un péché historique ». « Mais M. Hariri observe un silence assourdissant », nuance-t-il, rappelant qu’en dépit de toutes ses réserves à l’égard de la situation actuelle, « l’heure n’est pas aux batailles marginales » avec le Premier ministre.
Pour mémoire
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Du grand n'importe quoi ! Les "brigades de la Résistance », qui étaient à 100 % composées de supplétifs islamistes (sunnites)seraient dissoutes par le Hezbollah pour « fonder une armée composée à 80 % de sunnites et 20 % de chrétiens". 20 % de chrétiens ! Stop aux fake news ! Selon tous les renseignements, il n'y avait qu'une seule chrétienne aux côtés du Hezbollah et passer à 20 % est un bobard complet !
15 h 25, le 24 septembre 2019