Michel Aoun et Hassan Nasrallah après la signature du document d’entente. Photo d’archives
Entre le Courant patriotique libre et le Hezbollah, le feu couve sous la cendre depuis bien avant les élections législatives, lorsque le chef du CPL Gebran Bassil avait refusé de cautionner le choix de cheikh Hussein Zeaïter, candidat de son allié chiite au seul siège de cette communauté à Jbeil, et réussi à hisser à sa place son candidat, Moustapha Husseini. L’épisode des législatives à Jbeil était en quelque sorte la petite goutte de trop dans le verre déjà trop plein des tensions entre les deux partis chrétien et chiite, qui avaient signé un document d’entente en février 2006, couvrant tous les aspects de la vie politique locale, dans la perspective d’un dialogue futur élargi aux différentes parties politiques.
Ces tensions avaient commencé avec les critiques formulées par Gebran Bassil contre le Hezbollah dans une interview au mensuel Magazine en février 2018, lorsqu’il avait sans ambages annoncé que son parti n’était pas d’accord avec les choix stratégiques de son allié chiite, à qui il avait notamment reproché « des options qui n’étaient pas dans l’intérêt du Liban ». À l’époque, le parti de Hassan Nasrallah avait refusé de commenter les propos du chef du CPL, et des rencontres dites de franche explication avaient été organisées pour dissiper ces tensions qui devaient cependant ressurgir à la faveur du dossier des navires-centrales que le CPL voulait louer pour couvrir les besoins du Liban en courant électrique, mais suivant une procédure qui avait été vivement contestée par les Forces libanaises, le PSP et le Hezbollah. Il n’en demeure pas moins que ce dernier, tout en réaffirmant son attachement à son alliance stratégique avec le CPL, critiquait plusieurs aspects de la politique suivie par Gebran Bassil dans plusieurs domaines. Plus récemment, l’affaire du responsable de l’Armée du Liban-Sud (ALS), Amer Fakhoury, arrêté il y a quelques jours à son arrivée à Beyrouth, a ravivé les tensions entre les deux parties et mis sur la sellette, de l’avis de certaines personnalités souverainistes, le document d’entente de Mar Mikhaël dont une des clauses porte précisément sur le mode de règlement du dossier des personnes qui avaient collaboré avec Israël durant toute la période de l’occupation du Liban-Sud et qui s’étaient réfugiées dans ce pays après la libération de 2000.
(Lire aussi : Mandat d’arrêt à l’encontre de Amer Fakhoury)
Au sujet des Libanais en Israël, le document de Mar Mikhaël souligne explicitement que « la présence de tout Libanais dans son pays est préférable à son maintien chez l’ennemi » et estime qu’une solution à ce problème « requiert une action rapide destinée à assurer leur retour au pays, mais en tenant compte des circonstances politiques, sécuritaires et économiques liées à ce sujet ». Le Hezbollah et le CPL avaient lancé un appel aux Libanais installés en Israël pour qu’ils « regagnent rapidement » le Liban.
Or, les circonstances dans lesquelles Amer Fakhoury a regagné le pays, estimant que les crimes pour lesquels il avait été jugé par contumace en 1996 tombaient sous le coup de la prescription, soulèvent de nombreuses interrogations, souligne-t-on dans les milieux souverainistes. Non seulement parce que son arrestation, immédiatement à son arrivée à l’aéroport de Beyrouth, et les poursuites engagées par la suite contre lui vont à l’encontre de ce qui avait été convenu dans le document d’entente de Mar Mikhaël, mais aussi parce que la procédure judiciaire déclenchée s’est accompagnée d’une campagne politique qui s’est d’abord exprimée par les critiques adressées par Aïn el-Tiné à l’ambassade du Liban à Washington, après la circulation sur les réseaux sociaux de photos montrant Amer Fakhoury à l’ambassade du Liban à Washington, puis aux côtés du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun. Dans ces milieux, on place le dossier de Fakhoury dans le cadre des tiraillements sous-jacents entre le CPL et le Hezbollah, d’autant que cet ancien cadre de l’ALS serait rentré au Liban en étant certain de la couverture que les relations stratégiques entre les deux partis chrétien et chiite pouvait lui assurer. Ce qui n’a pas été le cas.
D’où toutes les interrogations qui sont aussi soulevées. Quelle est la partie qui a encouragé Fakhoury à rentrer au Liban et lui a fourni des garanties de sécurité ? Qui a divulgué sa fonction, puisque son nom avait été biffé de la liste du mandat de recherche 303 portant le nom de tous les collaborateurs d’Israël recherchés par la justice? Qui a dévoilé sa photo avec le général Joseph Aoun ? Certains attribuent cette manœuvre à Gebran Bassil, avec pour finalité une volonté de brûler les éventuelles chances du commandant en chef de l’armée d’accéder à Baabda. Les analyses connexes abondent, mais selon un homme politique proche du 14 Mars, le Hezbollah aurait très bien pu profiter lui-même du retour de Amer Fakhoury pour faire d’une pierre deux coups. Il a pu utiliser ce dossier contre le commandement de l’armée, puisque c’est un officier supérieur qui a accueilli le cadre de l’ALS à l’aéroport, mais aussi contre les aounistes soupçonnés d’avoir orchestré le retour de l’ancien responsable de la prison de Khiam et d’avoir distribué sa photo aux côtés du général Joseph Aoun.
Devant sa base, le Hezbollah montre ainsi qu’il n’est pas question pour lui de faire des concessions sur les affaires de collaboration. Politiquement, il coupe l’herbe sous le pied au CPL qui se pose en défenseur des droits des chrétiens et qui, en perte de vitesse au Liban-Sud dit-on, aurait pu profiter du dossier du retour des Libanais qui avaient collaboré avec Israël afin de faire mousser sa popularité dans cette partie du pays. Si cela s’avère, c’est un véritable croc-en-jambe, mettant bien à mal le document d’entente de Mar Mikhaël, que le Hezbollah aura fait à Gebran Bassil.
Lire aussi
Neurones assoupis, le billet de Gaby NASR
L’affaire Amer Fakhoury, nouvelle pomme de discorde entre le CPL et le tandem chiite ?
Vie et mort de l’Armée du Liban-Sud
Sur quels crimes le procès de Amer Fakhoury pourrait-il se fonder ?
Amer Fakhoury : une énigme à plusieurs inconnues
D’anciens détenus de Khiam réclament la peine de mort pour Amer Fakhoury
« C’est Amer Fakhoury qui orchestrait les séances de torture » à la prison de Khiam
Seize ans après le retrait israélien, des villages attendent toujours leurs bien-aimés
Pour mémoire
Actes d'accusation contre 14 Libanais ayant obtenu la nationalité israélienne
Décès à Paris d'Antoine Lahd, ancien chef de l'ALS
Arzé Saad Haddad, une Libanaise qui perfectionne les missiles israéliens
Entre le Courant patriotique libre et le Hezbollah, le feu couve sous la cendre depuis bien avant les élections législatives, lorsque le chef du CPL Gebran Bassil avait refusé de cautionner le choix de cheikh Hussein Zeaïter, candidat de son allié chiite au seul siège de cette communauté à Jbeil, et réussi à hisser à sa place son candidat, Moustapha Husseini. L’épisode des...
commentaires (7)
Si c'était moi jene rentrerai pas au Liban tant qu'il y a le Hezbollah
Eleni Caridopoulou
20 h 21, le 20 septembre 2019