Saad Haddad (gauche) et ses hommes. Photo d'archives OLJ
La vague d’indignation suscitée par le retour au Liban, la semaine dernière, de l’ancien responsable militaire de l’Armée du Liban-Sud (ALS), Amer Fakhoury, contre lequel le tribunal militaire a émis hier un mandat d’arrêt, jette de nouveau la lumière sur cette milice libanaise supplétive d’Israël, née au début de la guerre civile et restée active jusqu’au retrait de l’armée israélienne en 2000.
Créée par des dissidents de l’armée libanaise, cette force, composée à son apogée de 5 000 hommes, a tour à tour combattu les fedayins palestiniens et le Hezbollah avec le soutien militaire d’Israël, avant de se déliter au fil des ans. Considérés comme des traîtres, ses membres, en grande partie, ont fui le Liban et trouvé refuge en Israël.
Dissidence au sein de la troupe
Dès l’éclatement de la guerre civile en 1975 entre les milices chrétiennes des Kataëb, des Marada et du Parti national libéral, réunies sous la bannière du Front libanais, et les Palestino-progressistes menés par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), l’armée libanaise se retrouve prise entre deux feux. Et finit par se disloquer.
Deux mois après la dissidence, en janvier 1976, du lieutenant sunnite pro-palestinien Ahmad el-Khatib, qui crée l’Armée du Liban arabe (ALA), 200 officiers chrétiens regroupés autour du commandant Antoine Barakat ripostent en créant, en mars, l’Armée de libération libanaise. Le major grec-catholique Saad Haddad, qui dirige un bataillon de 700 hommes postés dans la caserne de Marjeyoun (Liban-Sud), le rejoint.
En octobre, les milices chrétiennes et les hommes de Haddad, qui coordonnent leurs actions avec Israël, étendent leur contrôle sur la zone frontalière. L’Armée de défense du Liban-Sud est créée, sous la supervision d’Israël. Ce dernier soutient ce groupe puisqu’il combat les fedayins palestiniens qui ont installé au Liban-Sud un « Fatehland » le menaçant. Les autorités israéliennes inscrivent cette collaboration dans une politique dite « de la bonne frontière ». Les forces de Haddad ne contrôlent alors que deux enclaves : entre Rmeich et le littoral, ainsi qu’entre Marjeyoun et les premiers contreforts de la Galilée.
Saad Haddad interviewé par l'Orient-Le Jour. Photo parue dans l'OLJ le 13 octobre 1983.
« État du Liban libre »
Dans la nuit du 14 au 15 mars 1978, l’armée israélienne lance l’opération « Litani ». Ses forces envahissent le territoire libanais sur une profondeur d’environ 40 km, jusqu’au fleuve Litani, au prix de massacres dans certaines localités de la région. L’objectif est de repousser les combattants palestiniens et de constituer une « ceinture de sécurité » frontalière reliant les enclaves favorables à Israël.
À la faveur de la résolution 425 du Conseil de sécurité de l’ONU, la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) prend position dans la zone frontalière, et l’armée israélienne se retire des secteurs occupés en plusieurs phases jusqu’en juin, tout en cédant une portion de ces territoires aux forces de Saad Haddad.
En avril 1979, Haddad proclame la création de l’« État du Liban libre » dans les zones qu’il contrôle. Il le fait depuis la localité israélienne de Metulla, adossée à la frontière avec le Liban. L’officier, qui a fait défection, est rayé des cadres de l’armée. Il est accusé de rébellion, de haute trahison et de collaboration avec l’ennemi.
L’armée israélienne fournit alors encadrement et logistique à Saad Haddad et à ses 2 000 miliciens. En mai 1980, Haddad rebaptise sa milice « Armée du Liban-Sud » (ALS). Elle est majoritairement composée de chrétiens, mais aussi de chiites et de druzes originaires du Liban-Sud.
Saad Haddad (au 1er plan, 3ème à partir de la gauche), avec des soldats de la Finul, à la caserne de Marjeyoun. Photo OLJ parue le 20 janvier 1980.
Lahd succède à Haddad
En juin 1982, Israël lance l’opération « Paix en Galilée » et envahit à nouveau le Liban pour détruire l’infrastructure de l’OLP. Les miliciens de l’ALS accompagnent l’armée israélienne dans sa percée jusqu’à Beyrouth. Les mois suivants, la santé de Saad Haddad se détériore. Il meurt le 15 janvier 1984 dans son village natal de Marjeyoun des suites d’un cancer, à l’âge de 47 ans.
Le Premier ministre israélien de l’époque, Yitzhak Shamir, le décrira alors comme « un grand Libanais et un vrai ami et allié d’Israël ».
Le ministre israélien Ariel Sharon (2e à gauche), devant le cercueil de Saad Haddad, le 16 janvier 1984. Photo AP parue dans l'OLJ
Antoine Lahd, ancien général de l’armée libanaise qui a également fait défection, prend la succession de Saad Haddad.
Le général Antoine Lahd, prenant ses fonctions à la tête de l'Armée du Liban-Sud, en avril 1984. Photo AP parue dans l'OLJ
Originaire de Kfar Atra, au Liban-Sud, il assiste au repli de l’armée israélienne qui s’achève en juin 1985.
Antoine Lahd (2ème à partir de la gauche), s'entretenant avec le Premier ministre israélien Yitzhak Shamir, le 19 juillet 1985. Photo d'archives AFP
Le retrait de 2000
L’ALS, qui a rêvé d’un État libanais allié d’Israël, avait commencé à déchanter après le premier retrait de l’armée israélienne, puis avec l’assassinat, le 14 septembre 1982, du leader des FL Bachir Gemayel. Élu président trois semaines plus tôt au moment de l’intervention militaire israélienne, ce dernier était favorable à une paix avec l’État hébreu.
Après le repli de 1985, l’ALS continue de perdre de sa superbe. Des cas de torture sont rapportés dans la prison de Khiam, ouverte cette même année. Israël en rejette toute responsabilité et met en cause sa milice supplétive et elle seule. Selon des ex-détenus dans cette prison, ces tortures étaient orchestrées par Amer Fakhoury, surnommé le « boucher de Khiam ». L’ALS vit également un bouleversement communautaire en son sein. Progressivement, les chiites, dont certains se laissent séduire par les salaires proposés au sein de la milice, dans un contexte économique difficile, deviennent majoritaires.
C’est dans ce contexte qu’en 1988, Antoine Lahd échappe à un attentat perpétré par une jeune militante du Parti communiste libanais de 21 ans, Souha Béchara.
Le Premier ministre israélien Shimon Peres, s'entretenant avec Antoine Lahd, à Marjeyoun, le 4 septembre 1986
Dans les années 1990, le Hezbollah et les services de renseignements libanais infiltrent et affaiblissent la milice. Les effectifs diminuent de moitié en 10 ans. Le moral baisse. Quand, en juillet 1999, Ehud Barak prend la tête du gouvernement israélien, il s’engage à retirer ses troupes du Liban.
Sous les coups de boutoir du Hezbollah, l’ALS se retire progressivement des localités qu’elle a contrôlées pendant 20 ans. Les désertions se multiplient au sein de la milice. Avec le retrait israélien du Liban-Sud, en mai 2000, l’ALS finit de s’effondrer.
Craignant des représailles de la part de l’État libanais et du Hezbollah, les membres de l’ALS fuient, en majorité, pour Israël avec leurs familles. Certains se rendent à l’armée libanaise et au parti chiite qui fait déboulonner, le 24 mai 2000, la statue de Saad Haddad érigée à Marjeyoun.
Antoine Lahd, lui, quitte le Liban pour la France en 2000, avant de s’installer à Tel-Aviv où il ouvre un restaurant. Parallèlement, il multiplie les démarches auprès du gouvernement libanais pour obtenir une amnistie pour ses hommes, ainsi qu’à l’étranger pour qu’on accorde l’asile politique aux anciens membres de l’ALS. Il décède d’une crise cardiaque le 10 septembre 2015, à Paris.
Le sort des Libanais en Israël
Environ 7 500 Libanais, dont certains sont accusés de collaboration avec l’État hébreu pour avoir combattu dans les rangs de l’ALS ou pour avoir travaillé de l’autre côté de la frontière, vivent aujourd’hui en Israël.
En 2011, le Parlement libanais a adopté une loi proposée par le Courant patriotique libre et soutenue par les Forces libanaises et les Kataëb pour régulariser la situation de ces Libanais. Cette loi prévoit un retour sécurisé pour tous ceux qui n’ont pas eu un rôle actif au sein de l’ALS, principalement les femmes et les enfants, et un procès équitable pour ceux qui sont considérés comme des collaborateurs. Mais les décrets d’application n’ont jamais vu le jour, notamment en raison de l’opposition du Hezbollah, en dépit de son entente avec le CPL en 2006, qui prévoit la possibilité pour les deux parties de convenir d’une solution pour ces exilés.
Le cas de Amer Fakhoury, condamné par contumace à 15 ans de prison pour collaboration avec Israël en 1996, pose la question de la prescription des crimes commis par d’ex-membres de l’ALS. Selon un spécialiste interrogé par L’Orient-Le Jour, le code de procédure pénale édicte un délai de prescription équivalant au double du nombre d’années de condamnation, à compter du jour du prononcé du jugement, à condition toutefois que ce délai ne dépasse pas 20 ans.
Pour mémoire
Seize ans après le retrait israélien, des villages attendent toujours leurs bien-aimés
Je ne connaissais pas cette histoire du Liban , j'apprends . J'ai une amie qui ne peut pas voir les palestiniens et les syriens . Je me souviens quand je suis venus au Liban en 1991 c'était le soir et je prends un taxi de Hamra pour aller chez moi à Achrafieh un soldat syrien arrete la voiture le chauffeur me dit de ne pas parler l'arabe car il pouvait m'enlever j'étais abassourdie.
18 h 17, le 23 septembre 2019