À 54 ans, Afif Hammoud n’a oublié aucun détail de ses onze années de détention à Khiam et de la torture qu’il a subie aux mains de Amer Fakhoury, l’ancien chef militaire de la milice pro-israélienne de l’Armée du Liban-Sud (ALS) arrêté ces derniers jours à son arrivée à Beyrouth, et de ses hommes. À l’instar d’un grand nombre de résistants vivant dans les villages situés dans la bande frontalière durant l’occupation israélienne, il a été emprisonné en janvier 1988 « pour avoir refusé de collaborer avec l’ALS », après une vingtaine d’arrestations et des incarcérations qui variaient entre 3 et 10 jours. « J’appartenais certes à la résistance, mais les éléments de l’ALS n’avaient aucune preuve contre moi à l’époque de mon arrestation », témoigne l’ancien détenu.
Dès le premier jour de son incarcération à Khiam, il est « dépouillé » de son identité et se voit affublé d’un numéro de cellule qui sera à jamais gravé dans sa mémoire, « 1188 ». Un traumatisme qu’il affirme avoir aussi mal vécu que la torture physique et psychologique. « On m’avait arraché à ma patrie, à mon identité, comme si mon être venait d’être complètement anéanti. Je n’existais plus », lâche-t-il.
Commence alors le long calvaire de cet homme qui avait 23 ans à l’époque. Il connaîtra toute la gamme des pratiques de torture, exécutées sous les ordres et la supervision de Amer Fakhoury. Il en garde les traces physiques et morales jusqu’à ce jour.
Les humiliations, la maladie, la faim, les charges électriques que ses bourreaux lui infligeaient, la suspension sur un poteau où il était aspergé d’eau chaude durant l’été et d’eau froide durant l’hiver pour intensifier la souffrance, il s’en souvient encore comme si c’était hier. « Ils (les geôliers) nous flagellaient le corps avec des câbles électriques jusqu’à nous lacérer la peau. C’était Amer Fakhoury qui orchestrait les séances de torture », martèle Afif, dont la colère explose à nouveau.
L’ex-détenu se souvient également de cette cellule pas plus grande qu’une niche de chien, dans laquelle on enfermait les détenus durant quatre heures d’affilée, généralement lors des premiers interrogatoires, où la torture était à son paroxysme. « Ils m’avaient placé dans un cachot qui faisait 75 cm de largeur et 75 cm de hauteur. Au bout de cinq heures, j’avais l’impression que mon corps était cassé en mille et une pièces », ajoute-t-il. « Durant les séances de torture, ils avaient l’habitude de faire tourner un moteur bruyant, pour couvrir nos cris de douleur et faire ainsi en sorte que les habitants vivant à proximité n’entendent pas », dit-il encore.
Sa mère, la cinquantaine à l’époque, avait été arrêtée dans la foulée, une technique à laquelle les membres de l’ALS recouraient souvent pour faire pression sur les détenus et leur soutirer des aveux. « Elle aussi a souffert le martyre et vécu l’humiliation jusque dans sa chair », dit-il, sans donner plus de détails.
(Lire aussi : « Le boucher de Khiam » passe aux aveux)
Mutinerie
Hassib Abdel Hamid avait, lui, 18 ans lorsqu’il a été incarcéré en 1988. Il en est sorti quatre ans plus tard dans le cadre d’un échange de prisonniers avec Israël qui avait permis à un premier lot d’une cinquantaine de prisonniers d’être relâchés.
En quatre ans, il subira, à l’instar des autres détenus, toute la panoplie de brutalités ordonnées par Amer Fakhoury qui y prenait souvent part aux côtés des geôliers. « Amer Fakhoury était un responsable militaire, en charge de la sécurité de la prison. Même s’il n’était pas directement affecté aux enquêtes, il participait souvent aux séances de torture et aux opérations visant à terroriser les détenus pour leur arracher des aveux », témoigne l’ex-détenu.
C’est Fakhoury, aujourd’hui sous les verrous, qui avait donné les consignes pour mater une mutinerie qui avait éclaté en novembre 1989 et ordonné le lancement de bombes à gaz dans les cellules, menaçant de tuer les détenus qui ne se pliaient pas aux ordres. « Je me souviens que deux détenus, Bilal Salam et Ibrahim Abou Ezzé, sont morts asphyxiés », raconte Hassib.
La période la plus dure, explique-t-il, est celle qui avait précédé l’accès, en 1995, du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à la prison. L’organisation humanitaire avait obtenu, grâce à des pressions, l’autorisation d’effectuer des visites régulières dans ce centre de détention et intervenait souvent pour obtenir que les proches des détenus puissent leur rendre visite. « Avant 1995, la situation des prisonniers était extrêmement difficile. Outre la torture – qui incluait le tabassage au quotidien avec des bâtons ou des câbles électriques –, les conditions de vie dans les cellules étaient inhumaines », raconte Hassib.
Enfermés dans des cellules étroites, les détenus devaient faire leurs besoins dans des seaux que les geôliers refusaient de vider parfois pendant plusieurs jours. « Nous étions alors obligés d’utiliser l’espace où l’on dormait pour nous soulager », se souvient l’homme.
Comble du sadisme, les prisonniers payaient aussi le prix des actes de résistance engagés par d’autres, alors qu’ils étaient en prison. « Toutes les fois que les éléments de la résistance effectuaient une attaque militaire contre les Israéliens, c’étaient les prisonniers qui devaient en payer le prix fort, dit-il. La violence, alors, décuplait. »
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commentaires (6)
Quand on agi au nom d’une puissance étrangère , on se fiche éperdument de ses concitoyens et de ses frères . On martèle, on oppresse, on massacre , on exécute puisqu’on a plus d’âme et de repères . Le drapeau , on le piétine, l’hymne on en rigole et le patriotisme on s’assoie dessus . Le remède a cela ? C’est très simple : agir pour son peuple et son pays .
L’azuréen
19 h 45, le 17 septembre 2019