Le président libanais, Michel Aoun, a affirmé lundi qu'il ne ferait aucune pression sur le chef du Courant patriotique libre (CPL, qu'il a fondé), Gebran Bassil, comme il ne ferait pression sur aucune autre partie politique, affirmant qu'il se contente de lui donner, comme à tous les autres responsables, des conseils. Le chef de l'Etat s'est par ailleurs défendu de toute violation de l'accord de Taëf et de la Constitution.
C'est la première fois que le chef de l'Etat prend aussi clairement la défense de son gendre et ministre des Affaires étrangères depuis qu'il a parrainé, il y a une dizaine de jours, la réconciliation entre le le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt et son rival druze, le député Talal Arslane. Ce sont des déclarations de Gebran Bassil sur la guerre civile qui sont considérés par beaucoup comme l'élément déclencheur des incidents de Qabr Chmoun, au cours desquels des partisans de MM. Arslane et Joumblatt, se sont affrontés et qui ont fait deux morts.
"Certains politiciens viennent me voir et me demandent de faire pression sur le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil", a affirmé le chef de l'Etat qui s'adressait à des journalistes. "Je n'effectuerai aucune pression sur personne et je dis à ces responsables qu'ils doivent parler directement à Gebran Bassil et reconnaître sa position de chef du plus grand bloc parlementaire", a-t-il souligné.
A plusieurs reprises, des responsables, notamment Walid Joumblatt et le chef des Forces libanaises, le leader maronite Samir Geagea, ont appelé Michel Aoun à agir face aux agissements de M. Bassil, accusé de provoquer des dissensions politiques et confessionnelles entre les différentes parties.
M. Bassil n'était pas présent au palais de Baabda lors de la réconciliation, ni lors de la réunion du gouvernement qui s'est tenue le lendemain. La semaine dernière, le Premier ministre, Saad Hariri avait exprimé, depuis Washington, son soutien à son allié Walid Joumblatt, mettant en garde contre toute tentative de s'en prendre à ce dernier physiquement et affirmant que cela mènerait le Liban vers la guerre civile, dans une claire critique à l'adresse de Talal Arslane et ses alliés. Ce dernier avait rétorqué dimanche en appelant le Premier ministre à "cesser d'adresser des messages car le pays ne peut plus supporter cela. Envoyer des messages depuis les capitales étrangères est un crime contre le pays et les Libanais".
Évoquant plus tôt dans la journée les incidents de la Montagne, le président Aoun a affirmé, en recevant l'ancien ministre druze (et allié de Talal Arslane) Wi'am Wahhab, accompagné d'une importante délégation druze, que "le Liban ne peut pas être uni si la Montagne, qui est connue pour la fraternité druzo-chrétienne, ne l'est pas". Il a en outre promis la mise en œuvre de "projets de développement" dans cette région. M. Wahhab a répondu que le président de la République est "le président fondateur de la nation à laquelle nous rêvons".
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Violations de l'accord de Taëf
Réagissant par ailleurs à la polémique sur l'article 95 de la Constitution et la répartition confessionnelle dans la fonction publique, le chef de l'Etat a affirmé "avoir réclamé du Parlement une explication de cet article" parce que "certains ne veulent pas supprimer le confessionnalisme mais ne veulent pas non plus assurer l'équilibre confessionnel" dans les administrations.
"Certains m'accusent de violer l'accord de Taëf. Qu'ils me disent donc comment je l'ai enfreint !", a-t-il exhorté. "C'est moi qui fais appliquer la Constitution, alors que certaines personnes l'ont enfreinte à de nombreuses reprises", a-t-il ajouté.
Fin juillet, Michel Aoun avait refusé temporairement de signer la loi de finances, adoptée par le Parlement, en raison d'un alinéa considéré comme controversé. Cet alinéa de l’article 80 du budget édicte que les lauréats (en grande majorité musulmans) du concours aux postes de 2e et 3e de la fonction publique, qui n’ont pas encore été intégrés dans les rangs des fonctionnaires, sont exemptés de la loi figurant dans le même article et imposant un gel des recrutements dans l’administration. Pour finir, le chef de l’État avait signé le décret de publication du budget dans une volonté de ne pas entraver l’action du gouvernement mais avait fait parvenir, dans le même temps, une missive au président du Parlement, Nabih Berry pour lui demander de convoquer la Chambre afin de se pencher sur l’interprétation constitutionnelle de l’article 95 sur l’abolition du confessionnalisme politique et le respect des "impératifs de l’entente nationale" dans les embauches de fonctionnaires. M. Aoun et son camp jugent que l’alinéa rejeté contredit l’esprit du pacte national pris en compte dans la Constitution, alors que d’autres composantes politiques estiment au contraire que la parité intercommunautaire ne concerne plus depuis l’accord de Taëf que les fonctions de 1re catégorie.
(Lire aussi : Aoun aux partisans de Joumblatt : Rien ne pourra ébranler la réconciliation)
"Réforme non applicables"
Sur le plan de la situation économique et financière du pays, le chef de l'Etat a indiqué que "la feuille de route économique rédigée va se transformer, au cours des deux mois à venir, en plans d'exécution" des réformes. "Les Libanais ressentiront une amélioration progressive de la situation économique", a-t-il promis. "Nous mettrons en oeuvre tout ce qui nous est demandé par la CEDRE", conférence internationale de soutien au Liban, a-t-il ajouté. Il a toutefois souligné que "certaines des réformes demandées pourraient ne pas être applicables en raison de la situation financière actuelle".
Le Liban connaît actuellement une importante crise économique et financière. Le pays traîne une dette publique de plus de 85 milliards de dollars, qu’il ne parvient pas à juguler (+3,4 % de hausse à fin juin) et qui pèse plus de 150 % de son PIB, tandis que sa balance des paiements a enregistré un déficit cumulé de 5,4 milliards de dollars sur la même période. Le déficit public a, lui, atteint 6,2 milliards en 2018 (plus de 11 % du PIB), explosant au passage le seuil initialement prévu dans le budget prévisionnel pour cet exercice (4,8 milliards de dollars).
Lors de la CEDRE, organisée à Paris en avril dernier, le Liban s'était engagé, en échange de soutiens financiers de la communauté internationale, à mettre en oeuvre un certain nombre de réformes de ses infrastructures. Ces dernières tardent toutefois à être appliquées, notamment en raison du retard accusé pour l'adoption du budget.
Le président Aoun a par ailleurs souligné que "les Etats-Unis n'exercent aucune pression sur le Liban". "De toute façon nous n'accepterions aucune pression", a-t-il ajouté.
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commentaires (7)
Tant pis pour lui. Les différents partis politiques devraient contourner le President sand tarder et engager Le Bras de Fer avec Bassil. Le President lui donne l'espace et le temps nécessaires pour achever des plans qui rentrent dans le cadre de la moumanaa. Le mandat est faible ce qui met en danger Taef et l'identité du Liban.
Zovighian Michel
06 h 31, le 20 août 2019