Rechercher
Rechercher

Liban - Loi du budget

La polémique sur l’article 80 secoue les fondements du système de Taëf

« Le chef de l’État compte déclencher un débat national portant sur la question de la représentativité communautaire au sein de la fonction publique », affirme à « L’Orient-Le Jour » le député CPL Alain Aoun.

Michel Aoun. Archives L’Orient-Le Jour

Depuis que le chef de l’État Michel Aoun a refusé de signer jeudi la loi de finances à cause de l’article 80 qui préserve les droits des lauréats du concours de la fonction publique n’ayant toujours pas été intégrés dans les rangs des fonctionnaires, une polémique a éclaté sur la question de la règle de la parité communautaire au sein de l’administration, sous-tendue par une appréhension de voir bafouer l’accord de Taëf, fondé sur le vivre-ensemble.

En grande majorité de confession musulmane (ils forment 85 % des 900 admis), les postulants dont le recrutement est gelé avaient réussi, il y a deux ans, le concours d’entrée au Conseil de la fonction publique, mais ne sont toujours pas affectés à des postes. Pour consacrer le droit à cette désignation qui disparaît légalement à l’expiration du délai de deux ans, de nombreux députés avaient voté l’article 80 lors du débat de la loi de finances au sein de la commission parlementaire des Finances et du Budget, mais les députés du Courant patriotique libre (CPL) l’avaient rejeté, jugeant qu’il ne se conforme pas au principe de la parité entre musulmans et chrétiens. Lorsque, par la suite, la loi de finances a été soumise à l’Assemblée plénière, l’article 80 n’y figurait plus, mais il a été finalement ajouté dans la mouture présentée au président Aoun, lequel l’a alors refusé au motif qu’il ne concerne pas les finances publiques et ne doit donc pas être intégré à la loi du budget.

Mais la polémique qui se poursuit depuis cinq jours se base sur les véritables motifs de ce refus, à savoir le déséquilibre communautaire qui s’instaure en faveur des musulmans.


(Lire aussi : Le budget pour 2019 pris en otage par un alinéa)



L’esprit du pacte national

Contacté par L’Orient-Le Jour, Alain Aoun, député du CPL, estime que l’article 80 ne respecte pas la Constitution, laquelle consacre « une représentation équitable des communautés, en conformité avec l’esprit du pacte national ». « Dans sa version originale de 1926, puis lorsqu’il a été amendé en 1943, et encore dans sa dernière mouture adoptée en 1990, l’article 95 de la Constitution impose une répartition équitable entre toutes les communautés quant aux fonctions publiques au sein de l’administration », note-t-il. Que dispose donc l’article 95 ? « La règle de la représentation confessionnelle est supprimée pour être remplacée par la spécialisation et la compétence dans la fonction publique (…), et ce conformément aux exigences du pacte national, à l’exception des fonctions de la première catégorie. Ces fonctions seront réparties à égalité entre chrétiens et musulmans sans réserver une quelconque fonction à une communauté déterminée et en respectant les principes de spécialisation et de compétence. » À la lecture du texte, M. Aoun fait observer que « les exigences du pacte national sont toujours prises en compte », soulignant que « celles-ci assurent l’application du principe de l’équilibre communautaire ». « La transition vers l’abolition du confessionnalisme politique prévue par l’accord de Taëf est d’ailleurs conditionnée par la création d’une commission nationale en charge de se pencher sur cette abolition, qui n’a pas encore vu le jour », indique le député CPL, mettant en garde contre « le fait de vouloir abandonner la nécessité de la présence chrétienne ». « Si la parité n’est pas respectée, l’administration publique se viderait de sa composante chrétienne, lorsque à moyen terme les fonctionnaires chrétiens actuels prendront leur retraite », s’inquiète-t-il. M. Aoun souligne d’autre part qu’« au-delà des lauréats du concours, il est important d’engager un débat responsable entre les différentes composantes nationales pour clarifier les choses quant à la question de la représentativité au sein de la fonction publique ». Faisant observer que « l’article 80 pourra être modifié lors du vote du budget de 2020 », il met l’accent sur la nécessité d’« une explication franche qui précéderait l’élaboration d’une nouvelle loi ». « Le chef de l’État est sur le point d’entreprendre une démarche pour déclencher un débat national », assure-t-il sur ce plan, soulignant au passage que le président Aoun « compte signer la loi du budget malgré la faille de l’article contesté ».


(Lire aussi : Les principales dispositions de la loi de finances de 2019)


Situation malsaine

Dans les milieux du courant du Futur, on se base sur le même article 95 de la Constitution pour affirmer au contraire que vouloir obtenir une parité intercommunautaire au niveau des postes de 2e et 3e catégories revient à violer la Constitution. L’ancien Premier ministre Fouad Siniora souligne à ce propos qu’« il est du ressort du président de la République de défendre la Constitution », mettant en garde contre « une telle attitude qui pourrait conduire vers une situation malsaine ». Et de noter : « Le chef du gouvernement Saad Hariri s’est conformé pour sa part à la Constitution en signant récemment le décret de nomination des notaires sur base de la compétence, et ce bien que les lauréats chrétiens aient été plus nombreux que les lauréats musulmans. »

La « situation malsaine » évoquée par M. Siniora est explicitée par Moustapha Allouche, membre du directoire du courant du Futur. « Vouloir préserver l’équilibre communautaire dans toutes les catégories au sein de l’État pourrait pousser les musulmans libanais à réclamer un partage basé sur le nombre d’habitants », lance-t-il. Rizk Zogheib, avocat et maître de conférences à la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, affirme que « dans sa première version, l’article 95 prévoyait que les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics, exigence combinée à une autre, celle du mérite fondé sur l’égal accès de tous les citoyens à l’administration publique ». Mais, souligne M. Zogheib, « l’article amendé en 1990 limite désormais aux fonctionnaires de 1re catégorie le cumul de ces deux impératifs, les autres catégories étant soumises à la seule condition de compétence, abstraction faite d’une représentation communautaire équitable ». Faisant observer au passage que « l’article 80 est un cavalier budgétaire », le spécialiste affirme que « dans sa teneur, il est conforme à l’esprit de la Constitution ». « Pourtant, l’application du droit strict sans prise en considération d’un élément communautaire propre à assurer un certain équilibre pourrait conduire avec le temps à une administration monoconfessionnelle », note-t-il. « Si l’écrasante majorité des fonctionnaires de 2e et 3e catégories appartiennent à une seule communauté, des problèmes pourraient se créer au niveau de la fluidité de l’ascension professionnelle, et on risquerait de trouver des difficultés à recruter des fonctionnaires de 1re catégorie appartenant à une autre communauté, sauf si ces derniers sont recrutés hors cadre », explique M. Zogheib.



Lire aussi

Ce qu'il faut savoir sur la parité islamo-chrétienne dans la fonction publique au Liban

Polémique et polarisation politique aiguë durant le week-end

Depuis que le chef de l’État Michel Aoun a refusé de signer jeudi la loi de finances à cause de l’article 80 qui préserve les droits des lauréats du concours de la fonction publique n’ayant toujours pas été intégrés dans les rangs des fonctionnaires, une polémique a éclaté sur la question de la règle de la parité communautaire au sein de l’administration, sous-tendue par une...

commentaires (12)

Les années 80 sont à la mode parait il

LE FRANCOPHONE

22 h 49, le 30 juillet 2019

Tous les commentaires

Commentaires (12)

  • Les années 80 sont à la mode parait il

    LE FRANCOPHONE

    22 h 49, le 30 juillet 2019

  • Intéressant...tot ce que vois c'est qu'entre enfer et paradis on s'est tous retrouvés dans un dépotoir de déchets dont la seule issue de secours est l'égout... mais au moins on a tous raison et on en est fier!! Akh akh akh ya baladna. On ne mérite pas notre Liban.

    Wlek Sanferlou

    18 h 04, le 30 juillet 2019

  • JE REALISE QUE CE SUJET A FACHE BEAUCOUP DE PERSONNES ET TRES FORTEMENT AUSSI. DIRE QUE CELA SECOUE DES FONDEMENTS DU SYSTEME DE TAEF IMPLIQUE QU'ILS ONT ETE STRICTEMENTS APPLIQUES A CE JOUR. SURTOUT NE PAS OUBLIER- C TOUT A FAIT DE LEURS DROITS A TOUS- QUE LE PRES. N'A JAMAIS ETE POUR...

    Gaby SIOUFI

    16 h 43, le 30 juillet 2019

  • Pour les chercheurs de paradis à tout prix , quils ne s'imaginent pas une seule seconde que l'enfer c'est les " autres " . Ça pourrait être EUX ET ELLES.

    FRIK-A-FRAK

    16 h 38, le 30 juillet 2019

  • Nos responsables (...de quoi...?) sont en train de créer toutes les polémiques imaginables pour retarder le re-démarrage d'une vie normale au Liban. Petite question: pourquoi beaucoup de Chrétiens et Sunnites s'exilent-ils...parce que le Liban est un paradis à tous points de vue ? Irène Saïd

    Irene Said

    15 h 44, le 30 juillet 2019

  • Au rithme ou nous allons il faudrait qu'au Bac Libanais ne pas accepter que les etudiants soient recus a cause de leur notes et competence mais uniquement a cause de leur religion si sur 1000 eleves recus il y a 450 chretiens 350 sunnites 200 chiites ON DECIDERA QUE SEULEMENT 200 CHIITES ET 200 SUNNITES ET 200 CHRETIENS SEULEMENT SERONT RECUS ET ON RECALERA 250 CHRETIENS ET 150 SUNNITES QUELQUE SOIT LEURS NOTES VOILA OU CE REGIME ( OU Taef je n'en sais rien ) PENSE VOULOIR NOUS AMENER POUR MAKE LEBANON GREAT AGAIN

    LA VERITE

    15 h 12, le 30 juillet 2019

  • Je dirai on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre en même temps. Non pas que je renierai aux chrétiens des compétences et des droits incontestables d'intégrer la fonction publique, mais ils ne sont plus là, leur absence ne joue pas pour eux. Et aussi parmi les sunnites, musulmans, l'appel du désert golfique fait qu'ils lâchent prise sur le liban. Bref, les absents ont toujours tort.

    FRIK-A-FRAK

    14 h 12, le 30 juillet 2019

  • ALLEZ AUX CANTONS SEULE SOLUTION POUR GARDER UNI LE PAYS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 09, le 30 juillet 2019

  • Il y a effectivement un ÉNORME DANGER qui menace le Liban : Celui de l'islamisation subreptice et à petits pas de l'administration ! IL FAUT METTRE DES GARDE-FOUS , ET D-URGENCE !

    Chucri Abboud

    10 h 50, le 30 juillet 2019

  • Pour que 85 pour cent soit d une confession déterminée et proche de HB il y a à penser que les questions avaient été remises à certaines personnes avant le concours Si c est le cas il faut abroger ces résultats Si ce n est pas le cas il faut admettre les personnes reçus car c est au mérite qu’on juge une personne pas à sa religion On a une constitution ou pas ? Peut elle être interprétée différemment par un et chacun? Si OUI adieu Liban Sinon faites la appliquer sans retard DONT ACTE

    LA VERITE

    10 h 35, le 30 juillet 2019

  • J'avoue ne pas comprendre comment des lauréats d'un concours se retrouvent sans poste. Un concours n'est pas un examen. S'il y a 100 postes à pourvoir, on organise un concours où seuls les 100 premiers sont retenus. Comment peut-il demeurer des lauréats sans emploi? Il y a quelque chose qui cloche dans le système de ces "concours".

    Yves Prevost

    07 h 10, le 30 juillet 2019

  • Une fois de plus, le President interprète la constitution à sa façon et crée des frictions qui ne sont pas nécessaires mais potentiellement destructives. Afin de couper court aux interpretations, voici le texte integral de l'article en question. A vous de juger: Article 95-b: La règle de la représentation confessionnelle est supprimée. Elle sera remplacée par la spécialisation et la compétence dans la fonction publique, la magistrature, les institutions militaires, sécuritaires, les établissements publics et d’économie mixte et ce, conformément aux nécessités de l’entente nationale, à l’exception des fonctions de la première catégorie ou leur équivalent. Ces fonctions seront réparties à égalité entre les chrétiens et les musulmans sans réserver une quelconque fonction à une communauté déterminée tout en respectant les principes de spécialisation et de compétence.

    Zovighian Michel

    05 h 45, le 30 juillet 2019

Retour en haut