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Culture - Parcours

Huguette Caland, prophétesse en ses continents

L’œuvre de cette figure de proue de l’art libanais, déjà immense, remarquée et remarquable, irradie aux quatre coins du monde. Des musées prestigieux lui consacrent actuellement leurs cimaises : le Tate St Ives (Cornouailles, Grande-Bretagne) et le Kayne Griffin Corcoran à Los Angeles. Lumière sur un parcours lumineux au succès soutenu.

Huguette Caland portant l’un de ses caftans lors de sa première exposition solo à Dar el-Fann, Beyrouth, en 1970.

Fille de Béchara el-Khoury, premier président de la République libanaise et président du Conseil à deux reprises pendant le mandat français, Huguette Caland a grandi à l’ombre d’un homme du pouvoir, mais aussi dans une famille où la culture était source commune et nourricière.

L’irruption et l’engouement de l’art sont venus un peu sur le tard après des études à l’Université américaine de Beyrouth où elle a acquis avec brio un diplôme en Fine Arts. Le design et la mode parlaient déjà fiévreusement à son cœur, à son esprit et à ses doigts. Et comme un préambule à sa carrière, elle collabore avec Pierre Cardin pour des caftans qui séduiront le pays ibérique du flamenco. Heureuse et imprévisible période où elle se révèle aussi une restauratrice de classe avec Temporel sur mer, lieu gastronomique à succès. La sculpture ne la laisse guère indifférente. Surtout après sa rencontre avec le sculpteur roumain George Apostu. Pour preuve, son exploration et son expérimentation du bronze, du papier mâché, du bois et de la terracotta.

Entre New York et Los Angeles où elle s’installe et Paris où elle a de fréquents et fructueux séjours, tout en frayant avec des artistes de renoms (André Masson, Pierre Shaeffer), Huguette Caland, au talent polymorphe, s’installe dans la peinture qui lui ouvre (et à qui elle ouvre) de vastes horizons. Et pour une carrière de plus d’un demi-siècle, les récompenses pleuvent et les expositions, au fil des ans, les plus prestigieuses deviennent marquantes.

Un maillon de plus d’une centaine d’expositions (personnelles, collectives, biennales, foires, Salons, fashion designs, symposiums) dont on cite, grosso modo et sans une notion exhaustive, les étapes glorieuses : La Biennale de Venise en 2017, le Hammer Museum de Los Angeles en 2016, l’Institut du monde arabe à Paris en 2012, le Musée d’art de Charjah – sous l’impulsion et les auspices du jeune curateur Omar Kholeif, jeune loup révélateur des têtes d’affiche de l’Afrique, de l’Orient et de l’Asie – et actuellement jusqu’en septembre 2019, les projecteurs sont braqués sur les œuvres de la grande dame de la peinture libanaise à Tate St Ives (aux Cornouailles en Grande-Bretagne) ainsi qu’à Los Angeles (le Kayne Griffin Corcoran, jusqu’au 6 juillet 2019). Et en permanence, à tout seigneur tout honneur, parce que prophétesse en son pays, pleins feux sur ses œuvres au sein de la galerie Janine Rubeiz à Beyrouth. Tout en notant que la révélation et le déclic public eurent lieu en 1972 sous le toit de Dar el-Fann (dont l’âme et l’esprit furent ceux de Janine Rubeiz), une ancienne demeure libanaise qui s’était transformée en temple de l’art et tremplin pour des cultures nouvelles, ainsi que des talents inconnus et naissants dont celui d’Etel Adnan qui présentait alors la ronde de ses oiseaux migrateurs et son soleil carré avec un bout de montagne…


(Pour mémoire : Kyle Eastwood : « Si ma musique était une peinture, elle serait une toile d’Huguette Caland »)

« Je suis née heureuse »

La femme, toujours vigilante et active, de statut d’épouse et de mère, plonge en épervier sur sa carrière et se dévoue corps et âme à son art et son métier d’artiste. À quarante ans, elle abandonne Beyrouth, sans jamais renoncer à ce qu’elle laisse derrière elle, surtout du point de vue affectif et familial, pour s’immerger dans ses toiles et canevas qu’elle avait déjà affectionnés depuis son jardin beyrouthin en bord de mer…

Une histoire qui tient presque du roman que ce chemin parcouru : de ses joyeuses et laborieuses études à l’AUB, à son mariage d’amour avec Paul Caland, franco-libanais, en passant par la naissance de ses trois enfants. Et en farandole et guirlande fleurie, ce fabuleux coup de pinceau et l’éclatement des couleurs sur l’espace des toiles. À mentionner aussi le sens de l’abnégation et de la fidélité de Huguette Caland qui, après la mort de sa mère, s’est occupée avec infiniment d’attention et d’affection, jusqu’aux derniers instants, de son père malade.

À sa mort, le devoir accompli, elle décide de prendre sa propre vie et destinée en main et s’envole pour s’accomplir et rencontrer sa destinée profonde. En tant que femme artiste et être de création. Le jour où son père décède, le deuil accompli, elle change de style de vie. Ses « abayas » (elle en aurait plus de 170 ! ) qu’elle portait deviennent des œuvres d’art où brosses et pinceaux viennent déposer leur empreinte à côté des numéros de téléphone et de rendez-vous pour une artiste, pressée et empressée, boulimique de travail, que plus rien n’arrête ou n’intéresse que la (sa) créativité…


(Pour mémoire : Marché de l'art : la revanche des femmes artistes)

Une œuvre foisonnante pour une pionnière et amazone de la peinture et qui la range aux côtés de Chafic Abboud, Yvette Achkar et Helen Khal, c’est-à-dire les principaux personnages au-devant de la scène artistique après l’indépendance. De ses débuts dans l’abstraction érotique – entre ludisme et sensualité à ses illustrations pour les écrits d’Adonis ou d’Andrée Chedid, en passant par la ligne de vêtements conçue avec Pierre Cardin, aux nouvelles toiles (empreintes de Venise et de la Californie) où, dans un style sans frontières, elle mêle souvenirs d’enfance, silhouettes et paysages –, Hugette Caland reste sans nul doute une chantre de la vie. Comme pour repousser les limites de la tristesse, l’angoisse, la morosité et la mort.

De l’imagination à la bride abattue aux détails les plus soigneusement précis, des foisonnantes architectures visuelles aux surimpressions les plus surprenantes, en passant par les pointillés comme une pluie torrentielle qui s’abat en chocs sourds de couleurs aux harmonies subtilement agencées, cette œuvre de Huguette Caland, tentaculaire et gourmande du plaisir de vivre, est de toute évidence une délicieuse invitation à un voyage enchanté et enchanteur.

Chantante, joyeuse, intrépide, communicative, douée d’une langue pour tout percevoir et interpréter, cette œuvre, colossale tapisserie qui emprunte aux tons les plus chaleureux, les plus imprévisibles et aux timbres les plus vibrants, superbement colorée et puissante, aux contours fascinants et innovateurs, est d’une énergie suprême et contagieuse.

Une note et une voix courtisées par les musées, les galeries et les galeristes, les collectionneurs, les amateurs du beau, et qui se distingue par sa fragrance, son ampleur, son lyrisme empreint de toutes les lumières du monde, et notamment du pays du Cèdre, sa tessiture, sa fluidité, son originalité, sa force séductrice et son universelle éloquence.

Dans l’une de ses confidences devant la caméra, Huguette Caland avait lancé jovialement un jour cette phrase : « Je suis née heureuse ! » Son œuvre aujourd’hui reflète cet état d’âme et rend le spectateur tout aussi heureux, comme sous l’effet d’une poudre de Perlimpinpin ou d’une baguette magique.


Pour mémoire

Huguette Caland 1964, les années AUB...

Fille de Béchara el-Khoury, premier président de la République libanaise et président du Conseil à deux reprises pendant le mandat français, Huguette Caland a grandi à l’ombre d’un homme du pouvoir, mais aussi dans une famille où la culture était source commune et nourricière.L’irruption et l’engouement de l’art sont venus un peu sur le tard après des études à...

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