Des activités lors d’une journée de sensibilisation à l’environnement, à Bisri. Photo « Li Hakki »
Dans le feuilleton à rebondissements de la construction du barrage de Bisri (la vallée entre Jezzine et le Chouf), un nouvel épisode vient de s’inscrire avec une réponse du Conseil du développement et de la reconstruction à des détracteurs du barrage après une éruption violente d’eau souterraine lors de la construction d’un puits destiné au village de Chehim dans l’Iqlim el-Kharroub. Le creusement d’un des puits s’était heurté à une couche de roches calcaires fissurées et fracturées, parcourues de zones caverneuses et de cours d’eau, ce qui a endommagé la structure en cours, selon les informations de l’hydrogéologue Samir Zaatiti à L’Orient-Le Jour. Les détracteurs du barrage, dont il fait partie, se demandent pourquoi stocker une si grande quantité d’eau venue d’ailleurs quand la région est si riche en eau souterraine accessible, d’autant plus que le sous-sol de la vallée pourrait ne pas supporter un poids si considérable.
Le barrage de Bisri, rappelons-le, sera conçu pour stocker 125 millions de mètres cubes d’eau. Le projet devrait être exécuté par le CDR sur six millions de mètres carrés, pour un budget de plus de 1,2 milliard de dollars assurés par un prêt de la Banque mondiale. Il rencontre une vive opposition de la part des écologistes comme des habitants de la région : les détracteurs du barrage font valoir qu’il s’agit d’une vallée d’une grande beauté, dotée d’une biodiversité impressionnante et renfermant des vestiges historiques de première importance. De plus, ils invoquent tour à tour le fait que la vallée est traversée par l’une des failles géologiques les plus importantes du pays, mais aussi qu’elle possède un système d’eau souterraine qui aurait permis une exploitation différente, moins coûteuse pour l’environnement.
La réponse du CDR à ces avis contraires, notamment après l’épisode du puits, s’est concentrée à démontrer que « le barrage de Bisri est la meilleure solution technique et économique pour assurer de l’eau au Grand Beyrouth » et que « s’il fallait assurer la même quantité d’eau par les puits, il faudrait en creuser 200, ce qui n’est pas justifiable étant donné le coût que cela impliquerait ». Le CDR assure qu’il n’est pas étonnant que l’eau ait jailli à l’endroit du puits en question, puisque toutes les études avaient montré la richesse de l’endroit en eaux souterraines. « Il ne sert à rien de dire que le niveau élevé de l’eau souterraine est un argument en faveur des détracteurs du barrage, puisque ce fait a toujours été connu », poursuit le communiqué.
Pour ce qui est des roches fissurées et des grands vides de centaines de mètres sous terre, « il s’agit d’allégations sorties droit de l’imagination de certains », poursuit le texte. « Le travail sur ces puits se poursuivra puisque le niveau élevé constaté actuellement est dû à l’intensité des précipitations cette année et qu’il devrait baisser durant la période d’étiage ou lors de saisons plus sèches », souligne également le CDR. Il précise également que ce projet de creuser quatre puits ainsi que de construire une station de pompage fait partie du projet du barrage et qu’il servira à assurer une quantité supplémentaire d’eau en cas de besoin, le barrage devant également alimenter le caza de Jezzine et l’Iqlim el-Kharroub.
(Lire aussi : La campagne contre le barrage de Bisri se poursuit sur tous les fronts)
Le poids de 125 millions de mètres cubes…
L’hydrogéologue Samir Zaatiti, qui milite notamment en faveur d’une alternative à cette solution basée sur l’exploitation des eaux souterraines, répond point par point à cette réponse du CDR. « Je me demande toujours pourquoi aucun expert n’est cité dans ces communiqués, afin que nous sachions sur quel type d’études et de références se base le CDR », dit-il.
M. Zaatiti précise que l’entrepreneur en charge du puits en question « s’est heurté, à 150 mètres de profondeur, à des roches calcaires et à de grands vides souterrains qui ont endommagé la structure d’un puits non adapté à la nature ambiante ». « C’est le moukhtar de Bisri et des habitants qui ont constaté le jaillissement inhabituel de l’eau et m’en ont notifié, poursuit-il. L’eau a jailli avec beaucoup de force car la couche imperméable avait été retirée. Cela prouve ce que nous avons toujours dit, qu’il existe des sources souterraines très fortes et que la vallée de Bisri est une vallée d’effondrements, comme cela a déjà été prouvé dans la carte géologique du Liban effectuée par les experts français en 1955. D’un côté, cet épisode me conforte dans ce que j’ai toujours affirmé. Mais d’un autre, je suis inquiet : qu’adviendra-t-il de ces zones d’effondrement avec le poids des 125 millions de mètres cubes d’eau du barrage ? »
L’hydrogéologue balaie l’argument suivant lequel il faut 200 puits pour assurer autant d’eau que le barrage, estimant qu’il ne s’agit pas « d’une réponse scientifique ». « Ce n’est pas le nombre de puits qui compte mais leur capacité de pompage, dit-il. Saïda, Tyr et de nombreuses villes du Sud vivent exclusivement des puits. » Il estime d’ailleurs que tous les chiffres avancés par le CDR dans son communiqué sont entourés de points d’interrogation. « Qui a mesuré les besoins de la capitale pour décider du chiffre de 125 millions de mètres cubes ? Et qui a décrété qu’il faudrait 200 puits si l’on voulait remplacer le barrage ? Il n’y a jamais de références dans les déclarations du CDR. Enfin, n’est-il pas absurde de stocker de l’eau acheminée de sources superficielles polluées pour en approvisionner la capitale alors que la plus grande partie de l’eau du Liban est souterraine ? »
Marche de « Li Hakki »
Par ailleurs, la campagne civile « Li Hakki », en collaboration avec la Campagne nationale de préservation de la vallée de Bisri et d’autres, a organisé une activité environnementale qui consistait en une marche dans les villages environnants. L’objectif était de sensibiliser non seulement au danger du barrage de Bisri, mais aussi à la dégradation environnementale dans le pays, due aux politiques des responsables « qui visent à exploiter un maximum de ressources naturelles », selon un communiqué de la campagne.
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L'idée de ces 200 puits n'est pas forcement absurde car un "qanat" classique (aquaduct souterrain) consiste de par exemple 200 puits verticaux (pour l'accès et l'aération) reliés à une galerie de drainage légèrement en pente qui achemine l'eau vers la ville et qui est donc souterrain. Il s'agit d'une sorte de interconnection horizontale des 200 puits pour une sorte de "tunnel" pour le transport souterrain de l'eau vers la ville. C'est une technologie dont il existe des exemples ou le 'qanat' transverse plusieurs montagnes et vallées pour arriver à la ville laquelle le 'qanat' alimente d'eau. Peut-être c'est une alternative pour le barrage qui respecte les terres agricoles et la vallée de Bisri, mais un qanat 'tunnel souterrain' pose aussi des risques je suppose.
19 h 19, le 11 juin 2019