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Culture - L’artiste de la semaine

Sharif Sehnaoui, chirurgien du son

Il gratte sa guitare à l’horizontale et dissèque le son d’une manière mi-poétique, mi-scientifique. Pour Sharif Sehnaoui, la musique, avant de devenir musique, est du son. C’est dans ce monde aux sonorisations multiples qu’il est entré un jour, en explorateur, avant d’en devenir l’heureux mandataire.

Sharif Sehnaoui. PhotoTony Elieh

« La musique est à la fois tout et rien. C’est un format qu’on peut s’approprier et sculpter soi-même, selon son inspiration et ses idées », affirme Sharif Sehnaoui. Pour ce musicien qui a toujours une approche particulière de la musique, le son est à la genèse de tout, car c’est « un papier vierge sur lequel on peut jeter ce qu’on veut. C’est ce qui rend ce format plus ouvert et plus flexible que d’autres ». Tout commence pourtant pour lui, alors qu’il est très jeune, par de simples leçons de piano, qui vont l’habiter longtemps après, d’une manière ou d’une autre. « Ce qui est plus important que la pratique, c’est l’écoute. Cette écoute qui est l’essence, plus que le geste, et qui a été présente durant toute ma vie », précise-t-il. Pas un jour, ce jeune musicien n’a pas été à l’écoute du son à l’état pur, le transformant par la suite en musique.

Rêveur ou poète, lui qui est même à l’écoute des bruits des oiseaux ou des branches des arbres? « Je ne me suis jamais identifié d’une manière restrictive. Je considérais ce phénomène, par instants, comme scientifique, et à d’autres, comme poétique. Bien mélanger toutes ces idées et ces influences en incorporant, un jour, à des œuvres qui sont de la matière pure de la poésie, ce serait l’idéal pour moi. » Car l’écoute, selon le musicien, est un état beaucoup plus actif qu’on ne le croit. On parle toujours de focaliser sa vue, de regarder plus loin ou d’observer de plus près, mais c’est la même chose pour l’ouïe puisque, comme l’explique Sehnaoui, on peut écouter un son sous plusieurs angles, l’isoler, le disséquer jusqu’à entendre certaines fréquences qu’on n’entendait pas de prime abord, tout comme des couleurs et nuances qu’on ne discernerait pas dans un même tableau. Le silence serait alors une absence de son, mais un son quand même, puisque l’homme est incapable d’entendre ce silence car, explique Sharif Sehnaoui, en citant John Cage qui l’a expérimenté un jour, ce dernier n’a pu percevoir le silence d’une pièce insonorisée puisqu’il entendait le son de son corps.

John Coltrane et moi

Si le jeune Sehnaoui subit à ses débuts les influences du classique avec Bach, puis du rock, plus tard, avec Led Zeppelin, du free jazz et de certaines traditions musicales, comme la musique pygmée, c’est à John Coltrane qu’il devra tout. C’est précisément dans cet esprit-là et dans cette démarche qu’il ira poursuivre des études de jazz à Paris. « L’esprit de recherche de Coltrane, sa passion pour la musique et la beauté de ses interprétations détermineront mon orientation, même si je ne joue pas, ou très peu, ce qu’il joue, lui. Avec la découverte du jazz de John Coltrane, je commençais par réaliser ce que j’allais accomplir. » D’abord à Paris, jouant avec des groupes différents, puisqu’en jazz, il s’agit de dialogues musicaux ouverts et non de cercles fermés, puis de retour au Liban pour fonder la plateforme de musique improvisée avec ses potes Mazen Kerbaj et Raed Yassine – en 2020, « Irtijal » aura 20 ans. Au début de sa carrière, il forme un collectif avec Christine Abdelnour, Mazen Kerbaj et Raed Yassine et collaborera par la suite avec ces deux derniers, et ce jusqu’à présent. Leur formation « A » Trio parcourt tous les festivals depuis 17 ans et reste dans la quasi-continuité de leurs débuts : dans l’expérimentation, l’improvisation, mais avec toujours de l’inédit et de la nouveauté.

« Toutes les approches du son ont une validité et un contexte auquel elles sont liées, confie Sehnaoui. Ce qui est plus intéressant pour moi, c’est de développer de nouveaux outils, de nouveaux langages qui réagiraient à de nouveaux contextes. J’avoue même qu’aucun son ne me gêne, car je suis capable de l’écouter sous différents angles jusqu’à l’isoler et le dompter. En réinventant l’instrument et en le modifiant, il est parfois impossible au public de reconnaître ces instruments (contrebasse, guitare et trompette). » Parallèlement à ce format musical adopté et domestiqué, Sharif Sehnaoui compose pour des films, de Ghassan Salhab ou Mai Masri. « C’est une expérience fantastique, dit-il, même si la musique à l’arrivée n’est plus la même qu’au départ. » Outre ses diverses collaborations, notamment avec Tony Elieh, Michael Zerang, Paed Conca et d’autres encore, Sharif Sehnaoui travaille depuis quelques années avec un groupe rassemblant des milieux différents appelé Karkhana : des musiciens venus d’Istanbul et d’Égypte. Cet univers musical est, pour lui, formé de différents mondes qui s’ouvrent les uns aux autres et s’imbriquent souvent. « Je ne suis pas un perfectionniste, dit-il, mais un spontané qui aime à ouvrir des fenêtres fermées. L’important pour moi, en jouant, c’est de trouver un fil conducteur. Dès que l’axe est trouvé, tout part très vite. »

Le musicien ne cesse d’éduquer son oreille et ne cesse d’être à l’écoute. « Aller aux concerts des autres a toujours été un apprentissage pour moi, car je peux visualiser les erreurs que je peux commettre, le pourquoi de l’incommunicabilité avec le public ou entre les musiciens. Peu de musiciens le font sur la scène libanaise et c’est dommage. Pour moi, c’est ma meilleure école musicale. »

Ma naissance

Elle ne m’a pas marqué puisque je ne m’en souviens pas.

La première date se situe à l’âge de cinq ans, lorsque je me suis assis devant un piano à queue

À 18 ans

En écoutant le disque « Olé » de John Coltrane qui a changé ma vision de la musique

À 20 ans

C’est encore l’écoute d’un disque de piano de Cecil Taylor

À 23 ans

Le premier concert que j’ai donné à Paris en 1999

En 2008

Lorsque le « A » Trio a découvert pour la première fois un « son de groupe ». Cette orientation fut rééditée lors d’un concert dans un festival en Autriche

En 2018

Un set composé par la formation Karkhana et interprété dans le cadre d’Irtijal

En 2018 bis

Un concert ininterrompu de quatre heures, interprété par le « A » trio et trois autres

musiciens australiens à Berlin.

La dernière heure était incroyable car on puisait dans nos ressources pour faire des choses nouvelles.


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