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Culture - L’artiste de la semaine

Mounira al-Solh, à pile ou farce

Alors qu’elle vient d’ouvrir « The Mother of David and Goliath », son exposition solo à la galerie Sfeir-Semler, la pétulante artiste pluridisciplinaire continue de faire feu de tous ses talents et cultive son œuvre qui se balance entre candeur et colère...


Mounira al-Solh. Photo Whitten Sabbatini

Il suffit d’établir un premier contact visuel avec Mounira al-Solh pour comprendre, avec bonheur, qu’elle n’a aucun lien de parenté avec la froideur hautaine de ces artistes « conceptuels », de plus en plus nombreux, qui se cachent derrière une âme artificiellement tourmentée ou une impossibilité de parler de leurs créations, croyant ainsi se donner de l’envergure ou faire mousser leur œuvre. Si lui est consacrée en ce moment The Mother of David and Goliath, une exposition solo à la galerie Sfeir-Semler qui interroge la féminité et les pratiques féminines du monde arabe, on a l’impression que l’artiste, joueuse et enjouée, nous reçoit dans sa chambre de gamine où ses œuvres s’empilent comme autant de jouets qu’elle ne se lasse pas de déchiffrer et réinventer. Pupille écarquillée comme toute Alice émerveillée, elle confirme d’emblée cette première impression : « J’ai eu la chance d’avoir des parents fabuleux qui m’impliquaient beaucoup, au cours de mon enfance, dans leurs activités et m’éveillaient par le biais du jeu. C’était extraordinaire. Je crois que j’ai hérité d’eux ce côté ludique dont j’ai du mal à me séparer dans ma pratique. »


Un univers féminin
Mounira al-Solh raconte avoir grandi au sein d’une tribu familiale bienveillante qui, la portant de bras en bras, a fait de son enfance, pourtant foncièrement conditionnée par la guerre civile, « quelque chose qui ressemble au bonheur. Car étrangement, il y avait, au cours de cette époque, quelque chose de très communautaire qui faisait qu’on grandissait à proximité de nos parents, de la famille. C’est sans doute la seule chose que je chéris de la guerre ». À cette période, elle partage ses journées entre Broummana et Zarif, soit l’institut al-Amal pour enfants à besoins spéciaux fondé par sa grand-mère paternelle Mounira al-Solh et le jardin d’enfants dirigé par sa mère, au cœur d’un univers féminin, de « femmes fortes et dévouées » comme elle aime à souligner, qui l’encouragent à cultiver le potentiel de ses mains de fée. La nuit tombée, elle se souvient que « sur la pointe des pieds, en silence et en catimini, j’allais découvrir les vinyles de mon père, ses livres à partir desquels j’imaginais un tas de choses que je retranscrivais à ma manière, en images. Au matin, la famille se réveillait et découvrait mes dessins. Tout le monde attendait cela ! ». Au moment de faire ses armes, celle qui refuse catégoriquement « de finir dans une fac bourgeoise ! » rejoint les bancs de l’Université libanaise, sur les bons conseils de son premier pygmalion, Hussein Madi, aux côtés duquel elle s’essaye plus sérieusement au dessin. Cela dit, al-Solh regrette qu’« à l’époque, juste après la guerre, les galeries d’art étaient loin d’être ce qu’elles sont aujourd’hui. Il était demandé à l’artiste de créer des toiles qui s’assortiraient bien avec un sofa ou un motif de rideaux. Chose que je ne me voyais évidemment pas faire ». Elle ressent le besoin viscéral de s’éloigner, quitte à se perdre, pour mieux se retrouver.



(Pour mémoire : Mounira el-Solh et Rayyan Tabet inaugurent le Jameel Arts Center)



Un grand écart
Au terme de pérégrinations qui la conduisent dans toute l’Europe, c’est à Amsterdam, plus précisément à la Gerrit Rietveld Academy, que Mounira al-Solh pose finalement ses bagages pour des études d’art, même si elle tient à nuancer : « J’ai toujours un pied dans chaque ville, Beyrouth et Amsterdam. Je ne sais toujours pas répondre à la question “où vis-tu ?”. » À partir de ce grand écart dont elle affectionne l’aspect libérateur, l’artiste affûte sa griffe qui brouille les limites entre colère et candeur, en faisant feu de tous ses talents et médiums : vidéo, installation, peinture, dessin ou broderie. En 2008, elle fonde même le magazine NOA qui se libère des formes prédéfinies du format pour offrir, plutôt, « une expérience au lecteur qui ne peut consulter NOA que par rendez-vous, et dans des lieux souvent secrets. Le premier numéro parlait de trahison et le deuxième d’arrestation, l’idée étant aussi de créer une sorte d’histoire qui se prolonge sur chacune des éditions ». De son enfance, Mounira al-Solh aura donc conservé, d’une part, ces appétences pour le jeu, « c’est un mécanisme de survie, tout simplement », affirme-t-elle, et, d’autre part, une capacité certaine à (se) raconter des histoires.

… Ses histoires
Ainsi, elle a beau avoir fait voyager ses œuvres au Art Institute of Chicago en 2018, au KW Institute for Contemporary Art à Berlin en 2014, à Documenta 14 à Athènes et Kassel en 2017, à la Biennale de Venise de 2015, au New Museum de New York en 2014 ou aux Homeworks de Ashkal Alwan en 2013, elle a beau s’intéresser à des thèmes brûlants qui la prennent aux tripes, l’environnement (comme son installation d’extraits d’eau des rivières et sources d’eau libanaises dans le cadre de son expo solo du moment), l’impact du déplacement des populations, la relation avec le langage ou les droits de la femme, l’artiste conjugue toujours son geste fondamentalement politique à une poésie qui lui est propre. Nulle surprise donc qu’elle ait choisi d’intituler I strongly believe in our right to be frivolous, sa série d’esquisses réalisées à partir d’histoires récoltées auprès de réfugiés syriens. Laquelle se retrouve aujourd’hui à la galerie Sfeir-Semler, dans le cadre de son exposition, où l’artiste enrubanne ses propos acerbes – une réflexion autour des pratiques féminines et de la condition de la femme dans le monde arabe – d’un voile tendre et coloré, esthétique proche parfois d’un art brut qui pourrait passer pour de la naïveté. « Je pense que c’est plutôt de la sincérité. C’est ainsi que j’ai eu envie d’ouvrir le chapitre de la féminité », affirme-t-elle. C’est-à-dire en criant et en riant, façon Mounira al-Solh.


« The Mother of David and Goliath » jusqu’au 10 août, galerie Sfeir-Semler.

11 juin 1978

Naissance à Beyrouth.

1996

Premiers cours de dessin avec Greta Nawfal.

1998

Cours de dessin avec Hussein Madi.

2004

Entrée à la Gerrit Rietveld Akademy d’Amsterdam.

2007

La Biennale de Venise avec un groupe d’artistes libanais qui

représentaient le pays pour la première fois.

2009

Participation à Ashkal Alwan et lancement du magazine « NOA ».

2012

Exposition collective « The Ungovernables » au New Museum de New York et démarrage de la série « I strongly believe in our right to be frivolous ».

2017

Participation à Documenta 14 à Athènes et Kassel.

2019

« The Mother of David and Goliath » à la galerie Sfeir-Semler, à Beyrouth, et préparation d’un nouveau documentaire qui sera finalisé en juin.




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