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Liban - Liban

Recyclage des déchets électroniques au Liban : une ONG à la barre

Ecoserv s’attaque à un épineux problème totalement ignoré par les autorités libanaises, source d’une pollution dangereuse.

Un employé d’Ecoserv démantelant un objet électronique. Un processus particulièrement sensible. Photo Ecoserv

Dans le sous-sol d’un bâtiment à Jounieh, au nord de Beyrouth, des appareils électroniques en fin de vie s’entassent au sol. D’autres sont impeccablement emballés et placés sur des étagères.

Au siège de l’ONG Ecoserv, on prend très au sérieux le traitement des déchets électroniques, un processus long et complexe qui passe par le démantèlement, l’emballage, puis l’envoi vers des usines de recyclage. En atteste l’activité de deux techniciens spécialisés qui s’affairent, équipés de masques et de gants, à séparer les multiples composants de ces objets (ordinateurs, radios…). Une étape essentielle en vue du recyclage des déchets électroniques.

Gaby Kassab, fondateur et président de cette association créée en mars 2018, a passé toute sa carrière dans de grandes entreprises d’électronique, dont plusieurs années à l’étranger. « J’ai vécu de près le défi de la gestion des déchets électroniques », confie-t-il.

Et quel défi ! Selon un rapport de 2017 l’Université des Nations unies, le monde a généré 44,7 millions de tonnes de déchets d'équipements électriques et électroniques en 2016, soit le poids équivalent de près de 4 500 tours Eiffel. Cela représente 6,1 kilogrammes par habitant, par an. Ce volume devrait passer à 52,2 millions de tonnes d'ici à 2021 (6,8 kilogrammes par habitant). Seuls 20 % de ces déchets seraient collectés et recyclés selon le rapport.

« Quand je suis rentré au Liban, j’ai voulu contribuer à trouver une solution à ces déchets que l’on comprend encore mal, puisque l’on ne sait que rarement ce qu’ils contiennent vraiment », explique le Libanais.

Comme pour tous les autres types de déchets, la gestion des appareils électroniques usagés est plus que sommaire dans ce pays : ils échouent dans la nature, des décharges ou entre les mains de personnes non qualifiées. Ces dernières, pour récupérer métal et plastique, brûlent les appareils usagés ou les démantèlent n’importe comment. Au risque d’engendrer une pollution toxique, notamment par des métaux lourds et des plastiques traités particulièrement dangereux quand ils contaminent les sols, l’eau ou l’air.

S’il existe, au Liban, des ONG consacrant une partie de leur activité au démantèlement encadré des déchets électroniques, rares sont celles qui s’intéressent à leur destination finale, souligne Gaby Kassab. « Or c’est précisément sur ce point que nous concentrons notre action, affirme-t-il. Nous sommes aujourd’hui les seuls à pouvoir délivrer un certificat de destruction des déchets en question. Nous avons passé un accord avec un recycleur britannique, EnviroServ, qui a une branche à Dubaï, pour les matériaux qui ne peuvent être traités localement (à l’instar des cartes électroniques qui comportent de nombreux matériaux qui ne peuvent être traités que par des recycleurs certifiés, NDLR). En ce qui concerne le plastique et les métaux, nous les transférons vers des usines libanaises de recyclage. »

Ecoserv se targue en outre de traiter les déchets électroniques dans toute leur diversité de manière sûre et professionnelle. « Nos techniciens sont formés par le recycleur avec lequel nous avons signé un contrat. Une mise à jour des formations a lieu tous les trois mois afin que nous appliquions les méthodes les plus sûres de démantèlement, explique M. Kassab. Nous avons déjà collecté quelque quinze tonnes de déchets depuis la fondation de notre ONG. »


Étendre le réseau de collecte
Pour assurer sa mission, Ecoserv fait face à de nombreux défis. « Notre objectif est de couvrir tout le territoire, souligne M. Kassab. Une des difficultés est de concevoir un itinéraire pour la collecte. Afin de faciliter les choses, nous avons placé des bennes dans près de 40 points de collecte (magasins, universités, municipalités…). »

Étendre le réseau de collecte a néanmoins un coût, surtout dans un pays où personne ne veut payer pour ce service. Si les usines de recyclage, au Liban et à l’étranger, paient pour la matière première envoyée par Ecoserv, ces revenus ne couvrent pas les frais de transport. C’est donc grâce à un partenaire silencieux que l’ONG emploie six salariés et tourne depuis sa création.

Si les difficultés sont réelles, Ecoserv envisage quand même le long terme. « Notre objectif est qu’il existe, un jour au Liban, une véritable usine de traitement des déchets électroniques, couvrant toutes les opérations, du démantèlement au recyclage. » Pour que des investisseurs soient intéressés par un tel projet, il faudrait au préalable que la collecte se fasse à une autre échelle, et donc que les mentalités changent. « Il faudrait une législation adaptée qui responsabiliserait les citoyens sur les conséquences du fait de jeter de tels déchets à la poubelle », estime M. Kassab, qui ajoute : « On peut même imaginer qu’une telle usine reçoive et traite les déchets électroniques de la région, ce qui serait un atout pour le Liban. »


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O-Life, une plate-forme pour valoriser la recherche commune sur l’environnement


« Nous sommes la dernière génération qui pourra faire quelque chose pour préserver l’environnement tel qu’il existe aujourd’hui. Il est encore temps. » Carla Khater est une optimiste. Avec les scientifiques de l’Observatoire libano-français de l’environnement (O-Life), dont elle est coordinatrice, la chercheuse du CNRS libanais a pour objectif de mutualiser les moyens et compétences pour développer une réponse transdisciplinaire aux questions environnementales qui affectent le pays du Cèdre.

Cette plate-forme, initiée en 2012 par le CNRS français, le CNRS libanais et l’Institut de recherche pour le développement (IRD), est devenue en janvier 2019 un groupement de recherche international, le GDRI-Sud O-Life, avec l’élargissement du partenariat à l’Agence universitaire de la francophonie (AUF). Son but est de valoriser la recherche pour le développement durable, notamment dans la prise des décisions publiques. « Au Liban, on note un éveil de plus en plus important face aux défis environnementaux, mais les gens réagissent surtout aux scandales. De notre côté, nous essayons de ne pas tenir de discours catastrophiques », explique Carla Khater.

O-Life regroupe aujourd’hui 63 chercheurs au Liban, 70 en France, travaillant dans 32 universités et laboratoires en France et huit universités au Liban. Pour Carla Khater, c’est la synergie entre les chercheurs qui fait la force de la plate-forme. « Dans le monde de la recherche scientifique, il y a beaucoup de travaux bilatéraux, c’est une culture bien établie. Quand un géologue travaille avec un hydrogéologue, c’est un travail interdisciplinaire. Dans notre réseau, un sociologue va travailler avec un hydrologue biologique et ils vont réfléchir ensemble à des problématiques communes. Nous avons relevé le défi de la pluridisciplinarité et nous l’avons gagné ensemble », se réjouit cette spécialiste de la mise en place et de la gestion des aires protégées, ainsi que de la réhabilitation des écosystèmes dégradés. O-Life a également pour objectifs de mieux faire passer les messages entre chercheurs et société civile, d’orienter les jeunes chercheurs et de construire une communauté scientifique.

Aujourd’hui, les chercheurs planchent sur quatre grands axes thématiques : la biodiversité, les ressources en eau, les risques sismiques et telluriques, et la mer. Chaque axe compte une quinzaine de chercheurs et est animé par deux coordinateurs scientifiques, un Français et un Libanais. Il y a également deux axes transversaux, un sur les outils de la recherche, l’autre sur la réponse aux enjeux sociétaux.

« Dans notre groupe, il n’y a que des gens passionnés. Et leur passion est communicative, poursuit Carla Khater. Aujourd’hui, nous sommes tous responsables de ce que va devenir l’environnement demain. »


Cet article est publié dans le cadre de Earth Beats, une initiative internationale et collaborative rassemblant 18 médias d’information du monde entier autour des solutions aux déchets et à la pollution. En partenariat avec l'Agence universitaire de la Francophonie.


Lire dans notre dossier

Des épiceries contre le gaspillage alimentaire, par Caroline De Malet, Le Figaro

En Inde, une solution ingénieuse et rentable contre la pollution des générateurs diesel, par Jacob Koshy, The Hindu

Les huîtres peuvent-elles nettoyer le port de New York ?, par Eva Botkin-Kowacki, The Christian Science Monitor

Composter au Liban une tonne après l’autre, par Anne Ilcinkas, L'Orient-Le Jour

Une plate-forme open source pour trier les déchets, par Chitra Ramani, The Hindu

Aux Caraïbes, des routes en plastique pour sauver les dauphins, par Glenda Estrada, El Heraldo

San Fernando, ville zéro déchet modèle, par Jan Victor R. Mateo, The Philippine Star

Protégeons les battements de la Terre, l'édito de Christian de Boisredon, fondateur de Sparknews, et l’équipe de Sparknews


Dans le sous-sol d’un bâtiment à Jounieh, au nord de Beyrouth, des appareils électroniques en fin de vie s’entassent au sol. D’autres sont impeccablement emballés et placés sur des étagères.Au siège de l’ONG Ecoserv, on prend très au sérieux le traitement des déchets électroniques, un processus long et complexe qui passe par le démantèlement, l’emballage, puis l’envoi...

commentaires (3)

TRES BONNE INITIATIVE ET RENTABLE PAR DESSUS LE MARCHÉ !

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 28, le 24 avril 2019

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • TRES BONNE INITIATIVE ET RENTABLE PAR DESSUS LE MARCHÉ !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 28, le 24 avril 2019

  • Bravo!!!!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 46, le 24 avril 2019

  • Excellente initiative. Existe-t-il des lieux de dépôt autre que l'atelier de Jounieh?

    Yves Prevost

    07 h 01, le 24 avril 2019

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