Depuis sa mise en cause implicite par le Hezbollah dans sa gestion des comptes publics, l’ancien Premier ministre Fouad Siniora a reçu de la part de plusieurs pôles sunnites, dont le mufti de la République Abdellatif Deriane et les membres du courant du Futur, un soutien inconditionnel. Hier, c’était au tour de l’ancien chef de gouvernement Tammam Salam de se mettre de la partie en défendant bec et ongles la réputation de M. Siniora, une « grande personnalité d’envergure nationale », selon ses termes.
Dénonçant à l’issue d’un entretien avec lui une « tempête » qui vise celui qui fut « un exemple de professionnalisme, d’éthique et de transparence », M. Salam a voulu répondre indirectement à tous ceux qui ont critiqué la levée de boucliers, au sein de la communauté sunnite principalement, pour soutenir l’ancien chef de gouvernement.
« M. Siniora n’a pas besoin d’immunité parlementaire ni communautaire, encore moins d’immunité politique. Il jouit d’une immunité nationale qui lui est garantie et à tous ceux qui recherchent l’intérêt du pays », a déclaré M. Salam devant la presse.
Le 28 février dernier, le député du Hezbollah Hassan Fadlallah avait transmis à la justice des documents révélant selon lui de nombreuses irrégularités dans les écritures comptables, notamment au cours de la période 1993-2012, rendant leurs auteurs passibles de poursuites judiciaires. Le député avait au passage fait état de milliards de livres libanaises qui auraient « disparu », selon lui, pendant cette période au cours de laquelle M. Siniora avait occupé les postes de ministres des Finances puis de Premier ministre.
Dans une allusion à peine voilée sur le manque de confiance dans la justice libanaise, M. Salam a déclaré : « J’insiste sur la nécessité d’éloigner la politique de la justice. Je vous le dis haut et fort : que les politiques cessent de s’ingérer dans le cours de la justice. »
Dans une déclaration à L’Orient-Le Jour, M. Salam a affirmé que « la justice au Liban n’était pas indépendante ». À la question de savoir si M. Siniora devait, selon lui, comparaître devant le juge d’instruction s’il était convoqué, il a répondu : « Il faut d’abord que tout le monde soit convaincu que ce dossier est traité loin de la politique. Or nous constatons que cette affaire a été mal menée dès le départ et s’est transformée en une tribune ostentatoire servant à lancer des accusations devant les caméras. »
Samedi dernier, le Conseil islamique supérieur chérié, qui s’était réuni sous la présidence du mufti de la République, avait pourtant estimé que la lutte contre la corruption doit se faire dans un cadre légal. « Laissons la justice indépendante faire son devoir sans ingérences », avait indiqué le Conseil.
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La volonté de réformer
Pour sa part M. Siniora a rappelé sa « volonté incessante (durant les années où il assumait ses fonctions) de réformer et d’œuvrer contre la dissémination de la corruption ».
« Si j’avais la possibilité de revenir en arrière, j’aurais agi de la même façon », a-t-il dit, avant de souligner que les accusations lancées dans sa direction font partie d’« une bataille orchestrée pour faire dévier l’attention des réformes réelles. Elle s’inscrit également dans le cadre d’une tentative de la part de certains de gagner une confiance qui leur fait défaut », a ajouté M. Siniora dans une allusion au Hezbollah.
Perçue par ses proches comme une campagne vindicative visant la communauté sunnite et à travers elle le camp politique qui la représente majoritairement, la campagne de lutte contre la corruption, dont le Hezbollah a pris les commandes depuis quelque temps, a alimenté depuis une polémique sur ses objectifs réels, les accusations de corruption s’étant confondues, selon certains observateurs, avec une volonté de règlement de comptes politique.
À maintes reprises, le Hezbollah s’est évertué à proclamer que la campagne qu’il mène n’avait rien de communautaire, encore moins de politique, mais ces assurances ne semblent pas avoir convaincu les milieux sunnites du 14 Mars, qui persistent et signent en affirmant que cette « guerre » est éminemment politique.
Vendredi dernier, Hassan Nasrallah avait déclaré, dans un discours d’une extrême virulence, que le parti chiite, déterminé à mener cette bataille jusqu’au bout, allait tout faire pour éviter « les tentatives de transformer la lutte contre la corruption en discorde confessionnelle ou politique ».
Le cheikh Abdellatif Deriane avait affirmé, il y a une semaine, que l’ancien Premier ministre Fouad Siniora est considéré comme « une ligne rouge » à ne pas franchir.
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Une campagne maladroite
Dans les milieux sunnites indépendants, on soutient que cette campagne visant l’ancien chef de gouvernement « est d’autant plus maladroite qu’elle s’est voulue sélective, occultant des affaires de corruption qui continuent d’être déballées jusqu’à ce jour ». « Il aurait fallu ouvrir en parallèle plusieurs dossiers pour ne pas qu’une communauté et un camp politique précis se sentent ainsi dans le point de mire du camp adverse », commente une source proche de ses milieux.
Selon un analyste du même bord, les sunnites sont aujourd’hui dans un état de « désenchantement nourri par un sentiment d’échec pesant, comme ce fut le cas avec les chrétiens lorsque Samir Geagea était en prison et Michel Aoun en exil ». Selon lui, cette guerre politique par communauté interposée se reproduit toutes les fois qu’une composante de l’équation libanaise se trouve en position de faiblesse. « Maintenant que la communauté chiite représentée est montée en puissance, elle cherche à utiliser l’arme de la corruption pour faire du chantage en politique », dit-il.
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commentaires (12)
Pour faire barrage aux rumeurs, il n'y a que les chiffres qui parlent. Il est temps que les politiciens, fonctionnaires et affairistes libanais rendent public leur patrimoine et qu'une instance indépendante et loin de tout soupçon vérifie ces chiffres et leurs origine. C'est quand même remarquable que tout le monde au Liban parle de corruption et que tout le monde soit propre. Il y a un problème, non? Min aina laka haza? C'est une question libanaise aussi vielle que le Liban et qui n'a pas de réponse encore car tout le monde est propre! Alors min aina laka haza? El ghamid comme a dit feu Philimone Wihbe dans la comédie musicale Ya3ich Ya3ich des Rahbani années 70 avant la guerre. Ce gahmid qui donne et que personne ne connait ou n'attrape! Si Sanioura et d'autres n'ont rien à se reprocher, alors qu'ils sortent leurs fortune avant et après accession au pouvoir. Et la rumeurs partira ou pas.
PPZZ58
21 h 30, le 12 mars 2019