Le 10 juin 2014, la foudre s’abattait sur le monde : Mossoul, la deuxième ville d’Irak, était tombée aux mains d’une organisation jihadiste que l’on appelait encore à l’époque l’État islamique en Irak et au Levant. Son chef, Abou-Bakr al-Baghdadi, allait quelques jours plus tard se proclamer calife. Daech fut ainsi capable de contrôler un vaste territoire, disposant de ressources, notamment pétrolières, entre le Tigre et l’Euphrate. Elle abolissait la frontière irako-syrienne qui datait de l’époque mandataire. Elle créait une forme d’entité étatique, imposant à tous les habitants une théocratie particulièrement intransigeante, tout en utilisant les méthodes et certains cadres de l’ancien parti Baas irakien et en développant une politique de communication extrêmement moderne. Des jihadistes venus d’Europe, d’Afrique du Nord, d’Asie affluèrent. Les exactions barbares contre la population, notamment certaines minorités (yazidis), les meurtres ignobles hypermédiatisés, les attentats en Europe, tout cela devint une réalité quotidienne pendant des mois.
Près de cinq ans plus tard, alors que la dernière poche de résistance est en train d’être réduite à Baghouz, dans le fin fond de l’Est syrien, Daech, en tant qu’organisation « territorialisée », selon l’expression consacrée, est désormais détruite. Pourquoi, compte tenu de l’image d’horreur absolue qui s’attache à cette organisation, la victoire contre Daech n’est-elle pas davantage célébrée dans les capitales occidentales ? On avancera, à titre d’hypothèses, trois raisons d’inégale importance.
D’abord, tous les experts en terrorisme sont d’accord pour estimer qu’en dépit des apparences, la défaite de Daech n’est pas totale : des cellules dormantes ou des militants cachés se terrent certainement dans la province d’al-Anbar, qui jouxte la Syrie et la Jordanie ; si l’organisation paraît coulée, l’idéologie, la légende, le mythe qu’elle laisse derrière elle vont continuer à travailler de nombreux sunnites mécontents ou frustrés ; enfin, les conditions qui ont présidé à l’émergence de Daech continuent à exister, au moins en Syrie, où le régime d’Assad savoure sa propre victoire contre son peuple.
Dans un ordre d’idées voisin, il faut ajouter que dans la province d’Idlib, une autre centrale terroriste, Hay’at Tahrir al-Cham (HTC), renforce son pouvoir, en attendant une offensive probable du régime et de ses alliés ; celle-ci risque d’être sanglante, compte tenu notamment de la masse de déplacés civils qui s’est réfugiée dans cette zone. Comme pour Daech et même si HTC a plus de racines dans la population syrienne locale que ce n’était le cas pour le soi-disant califat, Hay’at Tahrir al-Cham compte dans ses rangs de nombreux fanatiques francophones, ainsi d’ailleurs que russophones et des Ouïghours.
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« Blame game »
En second lieu, la campagne contre Daech s’achève, du fait de Donald Trump, dans des conditions à vrai dire lamentables. On sait que le président des États-Unis, dans un tweet du 20 décembre, a fait savoir qu’il allait retirer les forces américaines présentes dans le Nord-Est syrien. On pense que ce retrait sera achevé en avril. La victoire contre Daech a été obtenue en partie grâce à l’action au sol d’une coalition kurdo-arabe (« Forces démocratiques syriennes »), dirigée en fait par la milice kurde, le PYD, affilié au PKK turc. Le départ précipité des Américains expose les Kurdes du PYD soit à une offensive de l’armée turque, soit à une prise de contrôle par le régime Assad. La décision de Donald Trump offre aussi une incitation inespérée à l’expansionnisme iranien et prive les Occidentaux de l’une des dernières cartes qui leur restait pour tenter d’influencer un règlement politique final en Syrie.
La désertion américaine – pour appeler les choses par leur nom – place en outre certains gouvernements européens, dont la France, devant de terribles dilemmes, s’agissant de leurs ressortissants encore présents sur le terrain, soit comme prisonniers des forces kurdo-arabes, soit comme combattants encore en liberté. Ajoutant l’insulte à la blessure, M. Trump vient d’enjoindre aux Européens de « récupérer leurs jihadistes » ; et il prétend même que ses alliés européens devraient quant à eux, aux côtés de forces régionales, maintenir des contingents sur place – pour servir de « tampons » entre les Turcs, les Kurdes et les forces du régime. Ce dernier point a fait l’objet d’échanges acrimonieux entre Américains et Européens lors de la Conférence de Munich de cette année.
L’invitation à rester sur place quand les forces américaines s’en vont peut être interprétée comme relevant du pur « blame game » (qui consiste à rejeter sur d’autres la responsabilité d’une mauvaise action) car l’administration américaine n’a transmis aux Européens aucun plan précis, aucun schéma concret qui leur permettraient d’envisager une telle option en toute hypothèse extrêmement dangereuse. À moins que l’annonce faite ce 22 février, à la suite d’une nouvelle conversation téléphonique entre M. Trump et M. Erdogan, du maintien de deux cents soldats américains dans une mission de « maintien de la paix » soit l’amorce d’une vraie proposition.
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Incertitude sur l’avenir
Enfin, une troisième raison, plus diffuse, tend à relativiser la victoire contre Daech : c’est l’incertitude totale qui plane sur l’avenir de cette région. La bataille contre la centrale terroriste de M. Baghdadi a été depuis cinq ans la priorité des priorités pour les gouvernements occidentaux – au détriment sans doute d’un véritable investissement sur la question syrienne dans son ensemble. La défaite de Daech étant consommée, tous les autres défis que pose la Syrie réapparaissent au premier plan : la menace que constitue Idlib, comme on l’a vu, avec la probabilité d’un nouveau drame humanitaire et de mouvements massifs de populations ; la victoire complète du régime et donc l’improbabilité d’un règlement politique, rendant dérisoires les débats sur une reconstruction éventuelle du pays ; les risques d’escalade du conflit entre Iran et Israël, entre la Turquie, le régime Assad et les Kurdes, et bien d’autres risques encore.
Si l’on ajoute à tous ces défis l’incohérence de la politique américaine et le fossé qui s’est créé entre les États-Unis et leurs alliés, il y a de la sagesse à ne pas pavoiser. Toutefois, le succès de la campagne contre Daech reste sur le fond l’une des très rares bonnes nouvelles dans le Proche-Orient d’aujourd’hui. Il serait regrettable que les puissances qui ont vaincu cet hydre maléfique ne soient pas capables d’en tirer un bénéfice politique, au moins une capacité d’influence accrue sur les évolutions de la région.
La version intégrale de ce texte est consultable sur le blog de l’Institut Montaigne.
Michel Duclos est conseiller spécial à l’Institut Montaigne (Paris) et ancien ambassadeur de France en Syrie.
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mais dite moi j'ai besoin de clarification … quand certains affirmaient que Daesh et Qaeda et autres sont des creations de l'iran … tous on rie a leur nez … mais dans ce cas comment explique que le fils de ben laden (bien que ben laden lui meme est partie en iran plusieurs fois) se sot marier effectivement en ………… Iran !?
15 h 38, le 03 mars 2019