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Idées - Commentaire

État islamique : étrange fin de partie à Baghouz

Un membre des Forces démocratiques syriennes monte alors qu’une femme et un enfant quittent le dernier bastion du groupe État islamique à Baghouz, dans la province syrienne de Deir ez-Zor, le 27 février. Bulent Kilic/AFP

Le 10 juin 2014, la foudre s’abattait sur le monde : Mossoul, la deuxième ville d’Irak, était tombée aux mains d’une organisation jihadiste que l’on appelait encore à l’époque l’État islamique en Irak et au Levant. Son chef, Abou-Bakr al-Baghdadi, allait quelques jours plus tard se proclamer calife. Daech fut ainsi capable de contrôler un vaste territoire, disposant de ressources, notamment pétrolières, entre le Tigre et l’Euphrate. Elle abolissait la frontière irako-syrienne qui datait de l’époque mandataire. Elle créait une forme d’entité étatique, imposant à tous les habitants une théocratie particulièrement intransigeante, tout en utilisant les méthodes et certains cadres de l’ancien parti Baas irakien et en développant une politique de communication extrêmement moderne. Des jihadistes venus d’Europe, d’Afrique du Nord, d’Asie affluèrent. Les exactions barbares contre la population, notamment certaines minorités (yazidis), les meurtres ignobles hypermédiatisés, les attentats en Europe, tout cela devint une réalité quotidienne pendant des mois.

Près de cinq ans plus tard, alors que la dernière poche de résistance est en train d’être réduite à Baghouz, dans le fin fond de l’Est syrien, Daech, en tant qu’organisation « territorialisée », selon l’expression consacrée, est désormais détruite. Pourquoi, compte tenu de l’image d’horreur absolue qui s’attache à cette organisation, la victoire contre Daech n’est-elle pas davantage célébrée dans les capitales occidentales ? On avancera, à titre d’hypothèses, trois raisons d’inégale importance.

D’abord, tous les experts en terrorisme sont d’accord pour estimer qu’en dépit des apparences, la défaite de Daech n’est pas totale : des cellules dormantes ou des militants cachés se terrent certainement dans la province d’al-Anbar, qui jouxte la Syrie et la Jordanie ; si l’organisation paraît coulée, l’idéologie, la légende, le mythe qu’elle laisse derrière elle vont continuer à travailler de nombreux sunnites mécontents ou frustrés ; enfin, les conditions qui ont présidé à l’émergence de Daech continuent à exister, au moins en Syrie, où le régime d’Assad savoure sa propre victoire contre son peuple.

Dans un ordre d’idées voisin, il faut ajouter que dans la province d’Idlib, une autre centrale terroriste, Hay’at Tahrir al-Cham (HTC), renforce son pouvoir, en attendant une offensive probable du régime et de ses alliés ; celle-ci risque d’être sanglante, compte tenu notamment de la masse de déplacés civils qui s’est réfugiée dans cette zone. Comme pour Daech et même si HTC a plus de racines dans la population syrienne locale que ce n’était le cas pour le soi-disant califat, Hay’at Tahrir al-Cham compte dans ses rangs de nombreux fanatiques francophones, ainsi d’ailleurs que russophones et des Ouïghours.


(Lire aussi : Combats intenses pour chasser l'EI de sa dernière poche en Syrie)


« Blame game »

En second lieu, la campagne contre Daech s’achève, du fait de Donald Trump, dans des conditions à vrai dire lamentables. On sait que le président des États-Unis, dans un tweet du 20 décembre, a fait savoir qu’il allait retirer les forces américaines présentes dans le Nord-Est syrien. On pense que ce retrait sera achevé en avril. La victoire contre Daech a été obtenue en partie grâce à l’action au sol d’une coalition kurdo-arabe (« Forces démocratiques syriennes »), dirigée en fait par la milice kurde, le PYD, affilié au PKK turc. Le départ précipité des Américains expose les Kurdes du PYD soit à une offensive de l’armée turque, soit à une prise de contrôle par le régime Assad. La décision de Donald Trump offre aussi une incitation inespérée à l’expansionnisme iranien et prive les Occidentaux de l’une des dernières cartes qui leur restait pour tenter d’influencer un règlement politique final en Syrie.

La désertion américaine – pour appeler les choses par leur nom – place en outre certains gouvernements européens, dont la France, devant de terribles dilemmes, s’agissant de leurs ressortissants encore présents sur le terrain, soit comme prisonniers des forces kurdo-arabes, soit comme combattants encore en liberté. Ajoutant l’insulte à la blessure, M. Trump vient d’enjoindre aux Européens de « récupérer leurs jihadistes » ; et il prétend même que ses alliés européens devraient quant à eux, aux côtés de forces régionales, maintenir des contingents sur place – pour servir de « tampons » entre les Turcs, les Kurdes et les forces du régime. Ce dernier point a fait l’objet d’échanges acrimonieux entre Américains et Européens lors de la Conférence de Munich de cette année.

L’invitation à rester sur place quand les forces américaines s’en vont peut être interprétée comme relevant du pur « blame game » (qui consiste à rejeter sur d’autres la responsabilité d’une mauvaise action) car l’administration américaine n’a transmis aux Européens aucun plan précis, aucun schéma concret qui leur permettraient d’envisager une telle option en toute hypothèse extrêmement dangereuse. À moins que l’annonce faite ce 22 février, à la suite d’une nouvelle conversation téléphonique entre M. Trump et M. Erdogan, du maintien de deux cents soldats américains dans une mission de « maintien de la paix » soit l’amorce d’une vraie proposition.


(Lire aussi : « Certains enfants nous racontent avoir assisté à des scènes de décapitation »)


Incertitude sur l’avenir

Enfin, une troisième raison, plus diffuse, tend à relativiser la victoire contre Daech : c’est l’incertitude totale qui plane sur l’avenir de cette région. La bataille contre la centrale terroriste de M. Baghdadi a été depuis cinq ans la priorité des priorités pour les gouvernements occidentaux – au détriment sans doute d’un véritable investissement sur la question syrienne dans son ensemble. La défaite de Daech étant consommée, tous les autres défis que pose la Syrie réapparaissent au premier plan : la menace que constitue Idlib, comme on l’a vu, avec la probabilité d’un nouveau drame humanitaire et de mouvements massifs de populations ; la victoire complète du régime et donc l’improbabilité d’un règlement politique, rendant dérisoires les débats sur une reconstruction éventuelle du pays ; les risques d’escalade du conflit entre Iran et Israël, entre la Turquie, le régime Assad et les Kurdes, et bien d’autres risques encore.

Si l’on ajoute à tous ces défis l’incohérence de la politique américaine et le fossé qui s’est créé entre les États-Unis et leurs alliés, il y a de la sagesse à ne pas pavoiser. Toutefois, le succès de la campagne contre Daech reste sur le fond l’une des très rares bonnes nouvelles dans le Proche-Orient d’aujourd’hui. Il serait regrettable que les puissances qui ont vaincu cet hydre maléfique ne soient pas capables d’en tirer un bénéfice politique, au moins une capacité d’influence accrue sur les évolutions de la région.

La version intégrale de ce texte est consultable sur le blog de l’Institut Montaigne.

Michel Duclos est conseiller spécial à l’Institut Montaigne (Paris) et ancien ambassadeur de France en Syrie.


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commentaires (7)

mais dite moi j'ai besoin de clarification … quand certains affirmaient que Daesh et Qaeda et autres sont des creations de l'iran … tous on rie a leur nez … mais dans ce cas comment explique que le fils de ben laden (bien que ben laden lui meme est partie en iran plusieurs fois) se sot marier effectivement en ………… Iran !?

Bery tus

15 h 38, le 03 mars 2019

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Commentaires (7)

  • mais dite moi j'ai besoin de clarification … quand certains affirmaient que Daesh et Qaeda et autres sont des creations de l'iran … tous on rie a leur nez … mais dans ce cas comment explique que le fils de ben laden (bien que ben laden lui meme est partie en iran plusieurs fois) se sot marier effectivement en ………… Iran !?

    Bery tus

    15 h 38, le 03 mars 2019

  • Parmi des archives de l'ancien chef d'el-Qaëda saisies lors du raid américain de 2011 et dévoilées fin 2017 par la CIA, figure par ailleurs une vidéo du mariage de Hamza ben Laden, apparemment en Iran. El quaeda .... en Iran ?!?!?!?

    Bery tus

    14 h 34, le 03 mars 2019

  • Depuis des lustres , les capitales occidentales affirment que l’ennemi commun est daech. Elles se sont perdu dans un premier temps et ont confondu révolution véritablement démocratique et révolution islamique radicale . Mélange d’incompréhension d’ignorance et d’incompétence, il leur a fallu plusieurs mois pour en comprendre les enjeux réels . Côté américain , ce fut une véritable catastrophe avec Bush puis Obama à l’origine de la possibilité de création de l’état islamique en Irak puis en Syrie . Même en faisant exprès , il eut été difficile de mener une politique aussi désastreuse ! Puis Il faut dire qu’a l’époque , côté français en 2014, Hollande et Fabius n’avaient absolument rien compris au problème , pire ils se sont laissés entraînés dans un plan Arabe . Ils ont enfin compris le problème après que des experts et opposants politiques français éclairés aient martelé de concert que s’attaquer à Assad était une véritable bêtise.... Macron va redresser la barre fort heureusement. Bref on en est là !

    L’azuréen

    11 h 52, le 03 mars 2019

  • FINISSEZ LES TARES!

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 39, le 03 mars 2019

  • Désertion américaine, lâcheté complotiste des Européens, ça se tire dans les pattes entre alliés et coalisés, j'ai l'impression d'avoir écrit cet article depuis 2011, année de cet HONTEUX COMPLOT occidental qui se sont servis des wahabites manipulés par le pays USURPATEUR. Cet occident du complot qui pensait se servir des turcs l'ont eu dans le baba. LES VAINQUEURS VÉRITABLES SONT LES PAYS RÉSISTANTS DE L'AXE DE LA RÉSISTANCE. CONTINUER À CROIRE QUE LES BACTÉRIES VONT RENAÎTRE DE CENDRE OU DE BOUE PUANTE C'EST DE LA PURE IMAGINATION DE LOOSER.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 10, le 03 mars 2019

  • PETROLE, QUAND TU NOUS NE TIENS PLUS AUSSI FORTEMENT !

    Gaby SIOUFI

    08 h 58, le 03 mars 2019

  • En effet, tout est dit, rien de gagné dans la région, et ce n’ est que le retour à la case départ: le conflit syrien non résolu et tous les scénarios catastrophe possibles... Résultat d’une hypocrisie et de lâcheté sans pareil du camp occidental, soit-disant champion des droits de l’homme, protecteur des opprimés et des libertés... Bla-bla honteux qui les a débusqués, de la couardise d’Obama, qui avait une occasion en or pour se débarrasser du boucher de Damas, au monstre raciste de Trump, en face d’européens désorganisés et seulement inquiets de l’afflux des réfugiés chez eux... On ne récolte que ce qu’ on a semé et jeté ces pauvres gens désespérés dans les mains de ces extrémistes fanatiques qui ne jurent que de vengeance contre les infidèles ingrats et menteurs qui les ont abandonnés... Non, le phénomène Daech ne disparaîtra pas et va renaître de ses cendres si rien n’ est fait!

    Saliba Nouhad

    02 h 21, le 03 mars 2019

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