Près de quatre mois après l’entrée en vigueur de l’obligation pour les propriétaires de générateurs privés d’installer des compteurs individuels chez leurs abonnés, le gouvernement sortant continue de faire pression pour qu’elle soit appliquée dans tout le Liban.
Mardi dernier, le ministre sortant de l’Économie et du Commerce, Raëd Khoury, dont les services sont chargés de surveiller l’application de cette mesure, avait affirmé, lors d’une conférence de presse conjointe avec celui de l’Énergie et de l’Eau, César Abi Khalil, que la décision avait été respectée dans « 60 à 70 % » des régions du pays, sans plus de détails. Samedi, M. Khoury a cette fois déclaré lors d’un entretien à Radio Liban qu’il visait un taux de déploiement de « 95 % dans les deux mois ».
« Beaucoup de nos clients dans le Mont-Liban, le Liban-Nord et le caza de Jbeil ont récemment fait installer des compteurs chez eux pour pouvoir être facturés selon leur consommation réelle, pour ne parler que des régions que nous visitons le plus souvent », constate pour L’Orient-Le Jour un expert en solutions d’ingénierie électrique. S’il estime que les chiffres communiqués par le ministre « semblent cohérents », il reconnaît toutefois qu’il est difficile de vérifier leur exactitude sans recensement.
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Arrestations
Il reste que le gouvernement sortant s’est donné les moyens de faire appliquer la mesure en intensifiant les tournées d’inspection avec l’appui des agents de la Sécurité de l’État, qui multiplient les mises en demeure – le ministre a annoncé que les contrevenants avaient 48 heures pour se mettre en conformité – et ont même procédé à des interpellations. Jeudi, un propriétaire de plus de 300 générateurs dans le Mont-Liban, Joseph Béchaalani – surnommé « l’empereur des générateurs » – a par exemple été arrêté pour avoir continué de facturer certains de ses abonnés alors que l’unité de production à laquelle ils étaient branchés avait été saisie. Le ministre a également mis la pression au courant de la semaine sur les municipalités « laxistes » qu’il a une nouvelle fois menacées de poursuites samedi. Si la majorité des municipalités sont généralement chargées de contrôler l’application des tarifs réglementaires, dans certaines localités ce sont elles qui possèdent et opèrent des générateurs.
Illégaux mais tolérés depuis des années, les « moteurs » fournissent du courant à plus de 1,5 million de foyers branchés sur le réseau d’Électricité du Liban, qui ne produit pas assez de courant pour pouvoir alimenter tous ses abonnés 24 heures sur 24. Depuis le 1er octobre, le gouvernement oblige leurs propriétaires à installer des compteurs chez leurs clients pour pouvoir les facturer selon leur consommation, en kilowattheure (kWh), au lieu des forfaits évoluant selon la puissance en ampères (A) appliqués auparavant. Le compteur ne doit s’activer que pendant les heures de coupures d’EDL.
La mesure s’est heurtée à une fronde, finalement réprimée, des propriétaires de générateurs, tandis que son application a été marquée par un début de polémique après qu’une avocate, May el-Khansa, a saisi la justice en août pour dénoncer un « marché douteux » bénéficiant à une société ayant importé les compteurs que le ministère aurait souhaité imposer. Le dossier n’a toutefois plus refait surface depuis.
Si l’installation des compteurs est supposée être à la charge de l’exploitant, ce dernier peut demander un dépôt de garantie (une soixantaine de dollars en principe) à ses abonnés qu’il doit en principe rendre en cas de changement de propriétaire. Enfin, l’installation d’un compteur est en principe obligatoire, mais peut être déclinée à certaines conditions très restrictives – le refus doit émaner de l’usager, et l’exploitant ne gagne pas d’argent en facturant un forfait.
(Lire aussi : Générateurs privés : le taux de déploiement des compteurs atteint près de 70 %, selon Khoury)
Chauffe-eau, climatiseur et fontaine à eau
Les tarifs sont fixés chaque mois par le ministère de l’Énergie, tenant en compte les cours du carburant ainsi que les coûts de fonctionnement des exploitants. Début janvier, le ministère a ainsi publié la grille tarifaire applicable pour décembre, avec un kWh à 0,23 dollar, plus un forfait variant en fonction de la puissance maximale délivrée, 10 dollars pour 5A ; 15 dollars pour 10A, 20 dollars pour 15A ; et enfin un supplément de 3,3 dollars par tranche de 5 A supplémentaires. Ces tarifs sont plus chers que ceux d’EDL, qui sont subventionnés par l’État et fixés par la loi (entre 0,02 et 0,14 dollar le kWh en fonction du palier de consommation).
Concrètement, un foyer qui a par exemple consommé 100 kWh fournis par le générateur privé auquel il est connecté pendant un mois (ce qui correspond à une consommation moyenne plutôt basse au Liban) et pour une puissance maximale de 5A devra payer à son exploitant 33 dollars, hors dépôt de garantie réglé au moment de l’installation du compteur et hors factures réglées à EDL.
Selon l’expert contacté par L’Orient-Le Jour, « la majorité » des foyers qui ont fait installer des compteurs ont constaté une baisse de leur facture, dans des proportions variables en fonction de leur consommation et des tarifs fixés. Il espère en outre que ce changement va encourager les Libanais à limiter le gaspillage d’énergie. « Avec les facturation au forfait, beaucoup de foyers avaient l’habitude de surconsommer lorsqu’ils étaient branchés sur le générateur privé. Avec les compteurs, ils consommeront moins et mieux, au risque d’avoir de mauvaises surprises sur leurs factures », explique-t-il encore.
Selon lui, le premier réflexe est de surveiller le fonctionnement des appareils qui consomment le plus d’énergie, comme les chauffe-eau, les climatiseurs et surtout les fontaines à eau, qui peuvent faire bouillir de l’eau plusieurs fois par jour pour rien si elles ne sont pas éteintes. Il appelle également à limiter l’utilisation des vieux appareils électroménagers, comme les réfrigérateurs ou les fers à repasser, qui consomment beaucoup plus d’énergie que des appareils plus récents.
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commentaires (6)
Que sera le sort de la capitale Beyrouth qui paye cher pour trois heures de coupures de courant seulement ?.
Antoine Sabbagha
18 h 46, le 28 janvier 2019