Le blocage politique qui empêche depuis huit mois déjà le nouveau gouvernement de Saad Hariri de voir le jour risque fort de durer jusqu’à ce que le paysage politique commence progressivement à se décanter dans la région et plus particulièrement en Syrie, où les États-Unis ont commencé à préparer leur désengagement militaire, annoncé il y a près d’un mois par le président Donald Trump.
Le Liban, qui a de tout temps vibré au rythme des fluctuations de la politique régionale, se trouve plus que jamais aujourd’hui au cœur d’un bras de fer coriace entre un camp (8 Mars) déterminé à capitaliser au plan politique local ce qu’il considère être une victoire de l’axe auquel il appartient en Syrie et un autre (courant du Futur et partis souverainistes) plus que jamais déterminé à empêcher un glissement du pays dans le giron syro-iranien. Ce bras de fer continue de s’articuler autour de deux axes principaux : celui de la formation du gouvernement avec l’insistance du Hezbollah à faire intégrer un représentant des sunnites de son camp au gouvernement et, plus récemment, celui de la tenue du sommet économique arabe les samedi et dimanche prochains à Beyrouth. Ce sommet se tient comme on le sait à l’initiative d’une Ligue arabe à qui le tandem Amal-Hezbollah semble de toute évidence vouloir faire payer aujourd’hui le prix de sa décision de suspendre la Syrie, prise en 2011, pour sanctionner le régime de Bachar el-Assad qui refusait de mettre en œuvre le plan de paix arabe de sortie de crise.
Dans un contexte de tiraillements locaux qui ne font que s’exacerber, le mandat du président Aoun paraît ainsi comme la première victime d’un blocage dont le règlement ne dépend en définitive que du bon vouloir du Hezbollah, comme l’ont montré les derniers épisodes du feuilleton des contacts menés pour dégager une solution médiane à l’affaire de la représentation des six députés sunnites de la Rencontre consultative (anti-Hariri) au sein du gouvernement. Les récentes péripéties politiques liées au dossier du gouvernement ont surtout montré les limites de l’entente de Mar Mikhaël du 6 février 2006 entre le CPL fondé par Michel Aoun et le Hezbollah qui ne pouvait que bénéficier d’une couverture chrétienne, un an après la révolution du Cèdre qui avait fait sortir la Syrie du Liban et affaiblit ses alliés locaux. À l’époque, le CPL expliquait son initiative par une volonté de rassurer le Hezbollah, de trouver une solution progressive à ses armes et de le détourner de son allié syrien.
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Otage d’une entente ?
Treize ans plus tard, l’alliance entre le parti de Dieu et Damas est on ne peut plus solide et le Hezbollah table sur un retour en force de la Syrie au Liban. Bon gré mal gré, au grand dam du chef de l’État qui ne cache pas son mécontentement devant un blocage qui perdure. À Bkerké où il présentait ses vœux de Noël au patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, le chef de l’État avait fustigé, rappelle-t-on, ceux qui « tentent de créer de nouvelles coutumes dans le processus de formation du gouvernement, des coutumes inconnues par le passé ». Ses propos avaient été interprétés comme une critique indirecte au Hezbollah. Otage d’une entente qui lui a été bénéfique sur certains plans, le chef de l’État voit aujourd’hui sa marge de manœuvre limitée. Son mandat a pourtant du mal à démarrer et le concept de « président fort », institué par le CPL, est sérieusement malmené.
Pour le Hezbollah, la configuration de la nouvelle équipe ministérielle devrait répondre aux résultats des législatives de mai dernier qui avaient débouché sur un certain recul du courant du Futur en faveur de figures prosyriennes. Les contacts au sujet de la formation du gouvernement restent de ce fait bloqués puisque chaque partie continue de camper sur sa position. Le parti de Hassan Nasrallah insiste toujours pour qu’un représentant des députés de la Rencontre consultative soit intégré dans le nouveau gouvernement, en sa qualité de sunnite faisant partie de la quote-part du Premier ministre mais devant s’aligner sur la politique du camp qu’il représente. Saad Hariri continue de s’opposer fermement à cette formule. Selon lui, si l’un des six députés sunnites doit être représenté au gouvernement, il devra faire partie de la quote-part du tandem chiite.
L’épreuve de force engagée autour du gouvernement paraît sans issue. Pas plus tard qu’hier, cheikh Nabil Kaouk, membre du conseil central du Hezbollah, a attribué aux « exploits de la Résistance l’échec des projets jihadistes, israéliens et américains en Syrie ». Le responsable hezbollahi, qui a vu dans la décision de Donald Trump de se retirer de Syrie « une reconnaissance officielle de l’échec des États-Unis dans la région », a fait état, lors d’un meeting oratoire dans le village de Hanaway, au Liban-Sud, d’une « victoire de la Syrie et de l’axe de la Résistance face au repli américain ». « Ces victoires, a-t-il ajouté, imposent des équations nouvelles dans la région. Elles renforcent la Résistance et affaiblissent l’axe israélo-saoudo-américain. » Il a poursuivi en promettant que « les visites américaines au Liban et dans la région resteront sans effet et ne pourront surtout pas dissimuler l’échec américain dans la région ou modifier les équations nouvelles consacrées par les victoires de l’axe de la Résistance ». Cheikh Kaouk faisait notamment allusion à la visite du sous-secrétaire US pour les Affaires politiques, David Hale, au Liban et de la tournée régionale du secrétaire d’État US, Mike Pompeo. Selon le responsable du Hezbollah, « Washington n’aura aucun acquis politique au Liban ».
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Les deux 6 février
Lui faisant écho, le député Ali Fayad a estimé, également lors d’un meeting oratoire, que nul au Liban ne peut plus espérer bénéficier d’une conjoncture régionale qui lui est favorable, « étant donné l’incapacité américaine à contrôler des données stratégiques dans la région ». Il a insisté sur « le respect des résultats des législatives » pour former un gouvernement d’entente nationale.
Quant au deuxième volet de l’épreuve de force entre les formations, il porte sur la tenue du sommet économique arabe à Beyrouth, d’abord jugée inopportune par le président de la Chambre, Nabih Berry, en l’absence d’un gouvernement, puis considérée inadéquate par lui-même et par le Hezbollah, parce que la Syrie n’y a pas été invitée et parce que la Libye y prendra part. La querelle autour de la participation libyenne, qui s’était accentuée en fin de semaine entre Baabda, organisatrice du sommet, et Aïn el-Tiné, a repris hier à la faveur d’un échange acerbe entre le chef du CPL, Gebran Bassil, et le député Ali Khreiss, membre du bloc Berry.
« Nous ne reconnaissons que le 6 février de Mar Mikhaël. L’autre 6 février ne nous concerne pas », a affirmé M. Bassil lors d’un séminaire de son parti au collège du Mont-La Salle, en faisant allusion au 6 février 1984 lorsque le mouvement Amal que préside M. Berry et le PSP avaient pris le contrôle de Beyrouth-Ouest, après d’âpres combats avec l’armée. « Le 6 février 2006, nous avions conclu une entente (avec le Hezbollah) pour favoriser l’unité et le rapprochement entre les Libanais », a ajouté M. Bassil, répondant ainsi indirectement au président de la Chambre qui avait menacé d’un « nouveau 6 février politique ou autre, si jamais la Libye participait au sommet ». Le chef du CPL s’est attiré une réplique cinglante du député Ali Khreiss, qui a estimé que « le ministre ne connaît certainement pas le 6 février 1984, cette date qui a transposé le Liban vers l’ère de la résistance et de la libération et qui l’a doté de sa force et de sa dignité ». « Nous ne lui en voulons pas parce qu’il n’appartient pas à l’école de la résistance, du don et du sacrifice, fondée par l’imam Moussa Sadr et dont le flambeau a été repris par le président Nabih Berry », a-t-il encore dit, au moment où son collègue du même parti, Hani Kobeyssi, assurait qu’Amal « n’acceptera en aucun cas la participation de la Libye au sommet, advienne que pourra ».
Dans l’après-midi, de jeunes partisans d’Amal ont remplacé le drapeau libyen, installé sur le site qui accueillera le sommet économique arabe, au Seaside Arena (ex-BIEL), par un drapeau de leur formation. En début de soirée, des partisans de la formation de M. Berry se sont rassemblés à Saïda, au Liban-Sud, pour protester contre une participation de la Libye au sommet.
La chaîne de télévision al-Mayadine, citant une source arabe, indiquait que Tripoli tend à décliner l’invitation au sommet. Il n’a pas été cependant possible de vérifier cette information.
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Le comportement de voyous à la solde de Amal et du Hezbollah, est inacceptable et doit être fermement condamné par le Président et Premier Ministre désigné. La Ligue Arabe ferait mieux de boycotter le Liban et de reporter cette conférence à une date ultérieure et dans un lieu plus accueillant que le Liban.
22 h 05, le 14 janvier 2019