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Idées - Commentaire

Inévitables les « fake news » ?

Il faut s’attendre à ce que la lutte contre les « fake news » demeure un jeu du chat et de la souris entre ceux qui les colportent et les sociétés dont les plateformes exploitent ces fausses informations. Illustration tommaso79/Bigstock

Fake news est devenu le terme que le président américain Donald Trump associe à toutes les informations d’actualité qui ne lui sont pas favorables. Mais il s’agit également d’un terme analytique, qui décrit toute désinformation présentée sous la forme d’une annonce d’actualité habituelle.

Le problème n’est pas totalement nouveau. Dès 1925, Harper’s Magazine publie un article sur le danger des fake news. Seulement voilà, deux tiers des Américains adultes consultent aujourd’hui certaines informations d’actualité sur les réseaux sociaux, qui reposent sur un modèle d’affaires propice aux manipulations extérieures, et dont les algorithmes peuvent facilement être truqués à des fins de profit ou de malveillance.

Qu’elles soient novices, criminelles ou gouvernementales, de nombreuses organisations – intérieures et étrangères – sont très habiles dans la rétro-ingénierie du fonctionnement d’analyse d’informations des plateformes technologiques. Le gouvernement russe est l’un des premiers à avoir compris comme faire des réseaux sociaux une arme, et comment retourner les entreprises américaines contre leur pays.


(Lire aussi : Tristan Mendès France : Tout le monde se fait la guerre en ligne)


Attention et émotion

Submergés par l’abondance des informations disponibles sur internet, les individus ne savent plus vraiment à quoi s’en tenir. L’attention, plus que l’information, devient la ressource précieuse qu’il s’agit de capter. Le big data et l’intelligence artificielle permettent un microciblage des communications, si bien que les informations reçues par les individus se limitent à une « bulle de filtres » axée sur une seule et même vision des choses. Les services « gratuits » qu’offrent les réseaux sociaux reposent sur un modèle économique dans lequel ce sont les informations et l’attention des utilisateurs qui constituent les produits, lesquels sont vendus aux publicitaires. Les algorithmes sont conçus pour apprendre ce qui maintient l’engagement des utilisateurs, afin de leur proposer plus de publicités, et de générer davantage de revenus.

Les émotions telles que l’indignation stimulent l’engagement des individus : une étude récente du Massachusetts Institute of Technology a révélé que les contre-vérités sur Twitter étaient 70 % plus susceptibles d’être retweetées que les vraies informations. De même, une étude de démonstration réalisée en Allemagne cette année a révélé que l’algorithme de YouTube orientait directement les utilisateurs vers des contenus extrémistes, où les « clics » et les revenus sont les plus élevés. La vérification des faits menée par les médias d’actualité classiques échoue bien souvent à suivre le rythme, et se révèle parfois même contre-productive en attirant encore davantage l’attention sur les fake news.

En raison de sa nature, le modèle économique des réseaux sociaux peut être transformé en arme par les États comme par les acteurs non étatiques. Facebook a fait l’objet de nombreuses critiques pour sa conduite imprudente sur le plan de la protection du droit à la vie privée des utilisateurs. Son PDG Mark Zuckerberg a reconnu qu’en 2016, Facebook n’était « pas préparé aux opérations d’information coordonnées auxquelles nous sommes régulièrement confrontés ». La société a toutefois « beaucoup appris depuis, et a développé des systèmes sophistiqués (…) pour empêcher les interférences ». Parmi ces efforts interviennent des programmes automatisés capables de détecter et de supprimer les faux comptes, une moindre visibilité des pages diffusant de fausses informations, la vérification de la nationalité de ceux qui placent des contenus publicitaires politiques, le recrutement de 10 000 employés supplémentaires, ainsi qu’une amélioration de la coordination avec la justice et d’autres entreprises pour faire face aux activités suspectes. Le problème n’est cependant pas résolu.


(Lire aussi : Malgré le grand ménage, les "junk news" prospèrent toujours sur les réseaux sociaux)


Jeu du chat et de la souris

Un bras de fer est voué à se poursuivre entre les entreprises de réseaux sociaux et les acteurs étatiques comme non étatiques qui investissent pour exploiter leurs systèmes. Les solutions technologiques telles que l’intelligence artificielle ne sont pas une solution miracle.

Dans sa préparation à l’élection présidentielle américaine de 2016, l’Agence de recherche sur internet basée à Saint-Pétersbourg, en Russie, a consacré plus d’un an à la création de dizaines de comptes de réseaux sociaux se prétendant organes d’information américains locaux. Parfois, les contenus présentés favorisaient un candidat, mais ils visaient le plus souvent à propager tout simplement une impression d’anarchie et de dégoût de la démocratie, pour ainsi mettre à mal la participation électorale.

Lorsque le Congrès a promulgué la loi de 1996 sur la décence des communications, les entreprises de réseaux sociaux, encore très jeunes, étaient seulement considérées comme des prestataires de télécommunications neutres permettant à leurs clients d’interagir. Ce modèle est aujourd’hui clairement obsolète. Sous la pression politique, les plus grands médias sociaux ont commencé à réglementer plus attentivement leurs réseaux, ainsi qu’à supprimer les fake news évidentes, notamment celles propagées par les botnets. Or, l’imposition de restrictions sur la liberté d’expression, protégée par le 1er amendement de la Constitution américaine, soulève plusieurs problèmes d’ordre pratique. Tandis que les machines et les acteurs non américains ne jouissent pas des droits consacrés par le 1er amendement (les sociétés privées n’étant en tout état de cause pas liées par cet amendement), des groupes et citoyens américains malintentionnés en bénéficient, eux, et peuvent servir d’intermédiaires à des influenceurs étrangers.

Quoi qu’il en soit, les dommages créés par les acteurs étrangers sont sans doute moindres que les dégâts que nous nous infligeons à nous-mêmes. Le problème des fake news et des imposteurs étrangers qui se prétendent sources de vraies informations est difficile à résoudre, dans la mesure où il exige un compromis entre plusieurs de nos valeurs importantes. Craignant de faire l’objet d’accusations de censure, les entreprises de réseaux sociaux cherchent à échapper aux réglementations de législateurs qui leur reprochent un péché à la fois d’omission et de commission.

L’expérience des élections en Europe révèle combien le journalisme d’investigation et la sensibilisation préalable du public contribuent à immuniser les électeurs contre les campagnes de désinformation. Il faut toutefois s’attendre à ce que la lutte contre les fake news demeure un jeu du chat et de la souris entre ceux qui les colportent et les sociétés dont les plateformes exploitent ces fausses informations. Cette opposition est vouée à se joindre dorénavant au bruit de fond de toutes les élections à travers le monde. Seule une vigilance constante nous permettra de protéger nos démocraties.


Traduction : Martin Morel

© Project Syndicate, 2018.

par Joseph S. NYE, Jr

Professeur de sciences politiques à l’université Harvard et président du groupe nord-américain au sein de la Commission trilatérale. Dernier ouvrage : « Is the American Century Over?  » (Global Futures, 2015).


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